Vincent Cespedes, philosophe o féminin

Vincent Cespedes

L’ambition ? « Une volonté absolument nécessaire, extrêmement puissante. La passion de la passion », pour Vincent Cespedes. Dans son essai L’ambition ou l’épopée de soi (Flammarion), le philosophe revient en profondeur sur les ressorts féminins de cette notion, longtemps considérée l’apanage de l’homme…

En quoi l’ambition est-elle historiquement attachée à la masculinité ?

Vincent Cespedes : On l’a toujours associée à l’homme car l’ambition c’est : « comment rendre politique ma passion ? Comment faire pour imprimer ma marque dans l’histoire grâce à ma passion ?” S’il n’y a pas de volonté de bouger les choses, ce n’est pas de l’ambition, c’est du développement personnel. L’ambition, c’est vouloir changer le monde. La tradition patriarcale, pendant des siècles, a fait interagir l’homme avec la société, la femme étant plutôt relayée aux tâches domestiques. Du coup, tous les hommes devaient être ambitieux pour laisser leur empreinte, accéder à la gloire dans le monde social. Ainsi, jusqu’à la libération des femmes, notamment avec l’accès au travail, c’était à l’homme de laisser sa marque. Chez les artistes par exemples, 92% des œuvres exposées ont été réalisées par des hommes.

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Pendant longtemps, associer ambition et femme relevait quasiment de l’oxymore. Une femme ambitieuse était un garçon manqué, à part peut-être pour les princesses à la Catherine II, les reines à qui d’ailleurs l’on donnait des attributs masculins. Hatchepsout, pharaonne égyptienne, était représentée avec la barbe postiche et toutes les représentations mâles.

De nos jours, tout cela change car maintenant les femmes interagissent aussi avec la société. Mais dès qu’elles sont ambitieuses, elles deviennent concurrentes des hommes qui se cooptent beaucoup. Il y a une sorte de communautarisme masculin qui consiste à orienter les femmes non pas vers une ambition à destination politique mais vers une sorte de bien-être. Or, aucun ambitieux ne s’est jamais soucié de son bien-être. Einstein ne se préoccupait pas de savoir s’il avait une bonne alimentation ou bien s’il était heureux en famille ! Le bonheur n’entre pas du tout dans les prérogatives de l’ambition. C’est pourtant ce que l’on essaie d’instaurer comme but de l’ambition féminine.

Quant à celles qui deviennent ambitieuses malgré tout, on a le sentiment qu’elles sont parfois hystérisées : on parle des « passionaria » en politique par exemple.

Vincent Cespedes : Oui. Pour les phallocrates, la femme est censée être plus dans l’émotionnel. Or, être ambitieux nécessite par moment de frapper du poing sur la table, de recadrer les gens, d’avoir un tempérament fort. Du coup, forcément, dès qu’une femme affiche de tels signes, elle est victime de critiques sur sa masculinité. Elle ne correspond plus aux archétypes féminins passifs aidant l’ambition de l’homme.

Trouvez-vous les femmes d’aujourd’hui suffisamment féministes ?

Vincent Cespedes : Pas du tout ! Ce n’est pas du tout à la mode ! Très peu de femmes se disent féministes. D’ailleurs, le mot lui-même a depuis sept ans été attaqué par les sexistes comme si c’était une sorte d’idéologie alors qu’il s’agit juste de l’égalité des droits. Des personnes comme Eric Zemmour et compagnie ont voulu faire croire que le féminisme renvoie à l’égalité des corps. Aucune féministe n’a jamais dit « on veut l’égalité des corps » ! On parle d’égalité des droits. Les écarts de salaire qui persistent sont quelque chose d’intolérable et de scandaleux.

Concernant l’ambition des femmes en entreprise, beaucoup n’hésitent pas à remettre en question les femmes elles-mêmes, arguant qu’elles n’osent pas assez. Quel est votre pont de vue ? 

Vincent Cespedes : On infantilise les femmes en leur faisant croire qu’elles ont peur, ce qui n’est absolument pas le cas. C’est juste qu’elles doivent gérer une grande part des tâches domestiques. Elles ont donc une réalité limitante.

Sheryl Sandberg, la numéro 2 de Facebook, préconise : « Allez-y les femmes, bougez-vous, vous n’osez pas assez. » Je précise qu’elle a une maison de 900m2 et du personnel domestique. Le linge, elle ne sait même pas ce que c’est ! Ses conseils sont un peu faciles. Si vous donnez des domestiques à toutes les femmes, vous verrez que beaucoup de problèmes disparaîtront !

Je n’ai jamais rencontré une femme ayant peur de faire carrière, qui disait « Oh mon Dieu, qu’est-ce que je vais dire aux gens, j’ai peur de prendre la parole en public. » Ce serait plutôt : « Je redoute d’y aller car que va devenir mon couple ? Comment vais-je élever mon enfant avec mon conjoint qui ne s’implique pas ? » C’est l’institution du couple qui limite l’ambition féminine et fait en sorte que les femmes se coltinent toutes les micro-tâches qui prennent la tête : les crèches, les rendez-vous chez le dentiste, etc. Cela crée une surcharge mentale dont la femme est complètement harassée. A l’inverse, le couple aide complètement l’ambition masculine : si un homme veut réussir une carrière politique, scientifique, je lui conseillerais vivement d’être en couple !

Les hommes se mettraient donc en couple pour se débarrasser des contingences matérielles ?

Vincent Cespedes : Evidemment, tous ! Platon, lui n’avait pas simplement des femmes, mais aussi des esclaves. Tous les philosophes sont des bourgeois. Le grand intellectuel russe Soljenitsyne a eu une femme qui fut sa secrétaire pendant quarante ans ! Elle relisait tout, elle corrigeait, elle l’aidait. Quand il n’allait pas bien, il avait une femme à la maison qui le soutenait psychologiquement. On retrouve cela aussi dans les soirées mondaines où les femmes sont là pour aider les hommes à s’habiller, à se mettre bien, à reprendre confiance en eux. Une femme c’est une psy, c’est formidable.

En cela, le couple dessert totalement l’ambition féminine. A tel point que dans les années 80, les Etats-Unis interdisaient à une femme souhaitant devenir ambassadrice d’être mariée et d’avoir des enfants.  En revanche, il était obligatoire pour les hommes qui voulaient être ambassadeurs d’être mariés et d’avoir des enfants.

Pour beaucoup de femmes, faire une croix sur leur vie amoureuse est inenvisageable. Quelle solution prônez-vous donc ?

Vincent Cespedes : La solution serait que les femmes tombent sur des bonshommes très ambitieux eux-mêmes et qu’elles trouvent là une compatibilité ambitionnelle, c’est-à-dire une ambition de même nature. Deux ambitions expressives par exemple (deux artistes, deux visionnaires). Deux ambitions de même calibre et qui se servent mutuellement : l’homme est éditeur, la femme est écrivaine par exemple. Ça, ça marche !

En tout cas, les femmes doivent bien comprendre que l’ambition féminine ne renvoie pas à la vie personnelle, qui ne doit rester qu’un moyen d’atteindre ses objectifs. L’idée qu’il faille distinguer les deux et essayer de manager une sorte d’équilibre entre vies professionnelle et personnelle est une arnaque masculine organisée pour que les femmes continuent à faire la popote et à s’occuper du foyer. Il ne faut pas sous-estimer le cynisme masculin, y compris de gens dont on est très proche, avec qui l’on a une vie intime, voire des enfants.

L’idée de compromis qui circule dans tous les magazines féminins doit être éradiquée : si l’on est ambitieux, on fait tout pour sa passion.

Doit-on apprendre dès l’école aux fillettes à avoir plus confiance en elles ?

Vincent Cespedes : Ce qu’il faut, c’est plutôt apprendre aux petits garçons à repasser, à faire à manger. Il faut leur dire : « tu vas faire à manger plus tard mon gars, joue à la dinette ! » Le but est de faire des hommes libres, indépendants, c’est cela aussi la virilité : le mec qui est bien seul, qui n’a pas besoin de femme ou qui, naturellement, partage les tâches.

Qu’est-ce que la philosophie peut apporter à l’égalité hommes-femmes ?

Vincent Cespedes : La philosophie universitaire est complètement sexiste. Il y a juste trois exemples de philosophes femmes : Simone de Beauvoir, Simone Veil et Hannah Arendt. Cela s’arrête là et on a des milliers de philosophes masculins.

Par contre, la philosophie telle que je la pratique a tout à apporter à l’ambition féminine : une philosophie appliquée au quotidien, au réel, une philosophie de combat. D’ailleurs, je crée une boîte, Matkaline, visant à développer la philosophie sur un support inédit : des ateliers interactifs où l’on fait vivre des expériences de prise de conscience. Puis, je cite beaucoup de femmes dans mes livres. Quand j’ai créé ma collection chez Larousse, j’ai fait en sorte de dénicher autant d’auteures femmes que hommes.

Claire Bauchart

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