Réflexions sur l’ambition féminine

Ambition féminine

Qu’est-ce que c’est que d’avoir de l’ambition quand on est une femme ? Adoubée chez nos congénères masculins, l’ambition a encore du mal à s’ancrer dans les valeurs promues par les femmes. Réflexions personnelles et dialogue autour d’un désir complexe, pour mieux s’approprier l’ambition féminine.

You can have ambition, but not too much”, la voix de Chimamanda Ngozi Adichie résonne encore dans mes oreilles, alors que ma dernière écoute de Flawless de Beyoncé remonte déjà à plusieurs années, car elle fait écho à mon rapport personnel à l’ambition. Avec un parcours professionnel ne ressemble en rien à une ligne droite, la réussite telle qu’elle est communément admise ne m’apparaît plus comme une évidence. À mon entrée sur le marché du travail, le plafond de verre était plus que jamais mis en lumière et les agressions et difficultés rencontrées par les femmes sur leur lieu de travail étaient publiquement dénoncées. De quoi couper court à mon envie de faire carrière dans ce qui me semblait un chemin de croix. Ainsi, j’ai pu me définir un temps comme quelqu’un sans ambition. Obtenir un poste à responsabilité, diriger des gens ou être au sommet d’une grande entreprise ? Très peu pour moi. Pourtant, j’ai très vite questionné ce point de vue : ce renoncement était-il un vrai choix de ma part ? Ou bien étais-je conditionnée par les biais sociaux pour penser que je n’avais, en tant que femme, aucune chance de réussir ? Je n’arrivais pas à reconnaître mon propre désir dans une injonction si formatée.

Premiers contacts : jeunes loups et carriéristes aux dents longues

Guide Dev Persot

Mon premier contact avec l’ambition féminine s’est fait par le biais de la littérature, à travers les personnages de jeunes loups accros à la réussite sociale dans les romans français du 19e siècle : Georges Duroy, le fameux Bel Ami de Maupassant et Eugène de Rastignac de Balzac ont forgé mes premières conceptions de l’ambition. Entre ces pages, elle se trouve donc le fait d’hommes, avec à leur côté des femmes qui leur servent de marchepieds pour accéder à une situation de pouvoir. Par la suite, la fiction ne m’a pas fourni d’équivalent féminin satisfaisant auquel m’identifier. Au contraire, les femmes ambitieuses m’inspiraient plutôt un rejet tant leur égoïsme, leur hypocrisie et leur stratagème manipulateur pour se hisser au sommet haut me sautaient aux yeux. Le cliché de la femme ambitieuse est loin d’être reluisant, tout comme son équivalent masculin dont le traitement fictionnel n’est pas toujours complaisant. Mais la différence entre les deux réside principalement dans la singularité que représente encore à nos yeux une femme ambitieuse. « On manque de role model et de représentation », explique Jenny Chammas, Master Coach et cheffe d’entreprise de Coachappy et créatrice du podcast Femme Ambitieuse.

« La grande différence entre un homme et une femme ambitieuse, ce n’est pas l’ambition, mais sa perception de ce que vont penser les autres de son ambition. Pour un homme c’est normal d’être ambitieux, tandis qu’une femme ambitieuse est déjà quelque chose d’autre que ce qu’on attend d’elle. C’est donc souvent difficile pour une femme d’assumer son ambition au regard de la société ». Certes, les choses bougent, mais les clichés ont encore quelques beaux jours devant eux. Sophie Gourion, consultante en gestion de carrière, auteure jeunesse et conférencière sur les sujets d’égalité femme-homme, fait le même constat : « On constate un double standard de l’ambition : on ne juge pas pareil une femme qui réussit. Il y a une présomption d’incompétence qui accompagne les femmes qui ont réussi : on va préjugés qu’elles ont usé d’un réseau, de techniques pour y arriver. En conséquence, les femmes arrivées au sommet vont être beaucoup plus travailleuses pour faire leurs preuves.

Réflexions sur l’ambition féminine

Disséquer l’ambition pour mieux la comprendre

Si l’ambition se confond irrémédiablement dans nos esprits avec la réussite professionnelle et sociale, elle désigne avant tout un moteur qui nous pousse à la réussite. Mais au fond, est-ce la seule perspective ? « L’ambition c’est le souhait d’arriver à, c’est un désir d’accomplissement. Dans notre langage, elle est connotée professionnellement, mais en soi rien ne l’empêche de désigner autre chose, que ce soit professionnellement ou personnellement » analyse Jenny Chammas. « Le mot ambition ne dit pas le comment du projet, ni sa taille. Il désigne simplement le fait d’aller d’un point A à un point B ». Finalement, l’ambition me rappelle les problèmes de mathématique : celui où l’on doit relier ces deux points. À la différence que B est plus variable qu’on ne le pense : c’est quasiment une inconnue dans l’équation de l’ambition. Si la société nous propose des repères prédéfinis, rien ne nous empêche de changer d’axiome et redéfinir notre objectif. « On n’est plus dans un schéma prédéfini, mais dans une introspection. Dès lors que l’ambition est pour soi avant tout et pas juste pour les autres, elle n’est pas tout à fait la même. Il faut avant tout être alignée avec soi et connaître ses valeurs ». 

Finalement l’ambition mérite son quart d’heure de questionnement existentiel : qu’est-ce que je veux faire ? À quoi j’aspire réellement ? Quels sont les moyens que je veux mettre en œuvre pour y arriver ? Ce questionnement intime permet déjà de se détacher de notre rapport conditionné avec l’ambition « C’est une déconstruction personnelle de nos croyances qui va ensuite nous permettre de regarder autour de nous autrement.” explique Sophie Gourion. En contact avec des femmes pour les aider à gérer leur carrière, elle voit cette déconstruction à l’œuvre au cours de ses bilans : « À l’issue de ces questionnements, elles osent aller sur de nouveaux postes ou dire non sur des tâches peu valorisantes ».

Changer de perspective et ne pas se perdre en chemin

Pour Sophie, la perspective globale est déjà en train de changer. Les ambitions d’hier ne sont plus celles promues aujourd’hui : « Avec la jeune génération, on voit que de nouvelles ambitions sont à l’œuvre, grâce à une quête de sens, qui se traduit par exemple par l’émergence de nouvelles valeurs comme l’écologie et l’impact sur la planète.» Un autre modèle de réussite est donc possible à envisager, mais ce n’est pas le seul paramètre à adapter dans notre rapport à l’ambition. Celle-ci rime aussi avec réflexion sur le long terme pour Jenny Chammas « La clé repose sur une prise de recul globale. Ce n’est pas seulement le résultat qui compte, mais le chemin, la personne qu’on devient entre-temps, notre développement, les personnes rencontrées. Si l’on ne garde que l’objectif en tête, on prend le risque de se désaligner avec nos ambitions de départ ».

Parmi les écueils, le modèle de la girlboss, plébiscité au cours des dernières années, mais désormais sévèrement écaillé. En cause, des valeurs féministes souvent mises en avant, mais qui ne sont qu’une façade au service de son ambition, sans prolongement réel dans son accomplissement professionnel. Et si cette émancipation personnelle demande un questionnement intime, elle n’est pas complètement déconnectée d’autrui : « Lorsqu’on accepte l’ambition des femmes autour de nous, et qu’on s’entraide, on rend les choses beaucoup plus facile et fun » glisse Jenny. Une sororité clé, qui permet aussi pour Sophie de se créer de nouveaux modèles auxquels se raccrocher. « Il faut aussi prendre conscience qu’on est un modèle pour les autres. Cela peut aussi être un moteur pour notre ambition que d’être une inspiration à pousser les autres en avant ». 

 

À la manière d’une fable proustienne, ces échanges entre femmes autour de l’ambition m’ont fait comprendre que la mienne reste encore à construire. Plus qu’un ressenti ou qu’une conviction, L’ambition m’apparaît désormais comme un chemin ouvert en direction d’un horizon intime et politique, entre valeurs personnelles et convictions féministes.

Florence Abitbol, 

Rédactrice et doctorante en science de l’art

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