Quand les jeux vidéos remplacent le CV : le défi de Goshaba

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Co-fondée par la chercheuse en neurosciences Camille Morvan, la société Goshaba connaît une belle croissance et a déjà séduit de nombreux grands comptes. Son pari ? Utiliser les jeux vidéos pour détecter les compétences de chacun, plutôt que de se baser sur le CV. Interview.

Petite, étiez-vous déjà une tête chercheuse ?

Camille Morvan : En tant que cheffe d’entreprise confrontée à un univers très masculin, je me suis souvent questionnée sur ma légitimité et ma confiance. Or, je me souviens que petite, j’étais entourée de garçons et que je pensais, sûrement comme de nombreux autres enfants, que je menais la bande. Ensuite, avec ma sœur aînée, nous avons toujours aimé les jeux vidéos et avons rapidement commencé à coder des jeux. D’où ce lien que j’ai fait ensuite entre mes recherches sur la pensée cognitive et les jeux vidéos. Enfin, j’ai toujours eu l’esprit d’entreprise : je me souviens avoir monté de nombreux petits business durant mon adolescence !

Avec Goshaba, vous défendez l’idée selon laquelle nous devrions être davantage recrutés sur nos compétences, et moins sur nos diplômes. Comment cela résonne-t-il avec votre parcours personnel ?

Camille Morvan : Je n’ai pas fréquenté les grandes écoles et venant d’un milieu simple, je ne savais même pas ce qu’était une classe préparatoire. Je me suis donc d’abord formée à l’université. De stages en stages, j’ai fini par écrire une thèse et j’ai eu la chance d’être sélectionnée dans le laboratoire du collège de France. Puis j’ai trouvé un post-doctorat aux Etats-Unis et j’ai eu la chance de me faire remarquer pour mes recherches et ainsi d’intégrer Harvard à la fois comme professeure et comme chercheure. Au départ, j’avais le syndrome de l’imposteur, et je ne me sentais pas légitime dans ce milieu si raffiné. Mais j’y ai trouvé ma place et il est clair que quand je suis rentrée en France, le fait d’avoir é

volué à Harvard m’a ouvert de très nombreuses portes. Mais au final, je trouve cela injuste que l’on reconnaisse le potentiel d’un individu juste car il a la bonne ligne sur son CV. De mon côté, il m’aura fallu attendre mes 38 ans pour en bénéficier !

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Vous avez fait une thèse en neurosciences et avez réussi à appliquer cela au monde de l’entreprise : une passerelle que vous aviez toujours envisagée ?

Camille Morvan : Mes recherches étudiaient la façon dont on perçoit le monde. Notre cerveau construit sa vision à partir des informations visuelles mais aussi de tout ce que nous avons touché ou porté à la bouche (etc) depuis notre enfance. J’ai pu élargir mes recherches au monde de l’entreprise car les parties du cerveau impliquées dans cette modélisation du monde sont aussi liées à la prise de décision. Du coup, j’ai pu amener cela dans le champ des sciences politiques, de l’économie ou encore la biologie.

J’ai pu intégrer le monde de l’entreprise d’abord en développant un mini projet avec McKinsey dans le secteur de la tech. J’ai aussi pu me légitimer en expliquant que mener une thèse était une forme de gestion de projet. De plus, mes connaissances auraient pu me permettre de travailler dans des domaines très concrets comme l’UX design puisque je sais comment un humain prend ses décisions face à une information visuelle.

Vous êtes-vous associée pour créer Goshaba ?

Camille Morvan : Quand je suis revenue en France en 2014, je savais que je voulais monter ma boîte. J’ai pitché trois projets et c’est Goshaba qui a rapidement pris le pas. Je me suis associée avec un profil commercial et un profil technique, ce qui était vraiment essentiel. Nous avons vite remporté le concours mondial d’innovation. Grâce à cela, nous avons pu démarrer la boîte avec un financement de 200 000€.

Votre formation de chercheure en neurosciences vous a t-elle apporté plus de crédibilité auprès des investisseurs ?

Camille Morvan : D’un côté oui car les investisseurs de la deep tech se disent que l’on possède un vrai avantage concurrentiel du fait que nous ne pouvons pas être copiés. C’est le cas de fonds comme Daphni Capital ou Elaia Partner par exemple . Mais ces investisseurs ne sont qu’une minorité et beaucoup pensent aussi qu’une chercheuse ne va pas forcément bien se débrouiller niveau business. Mais encore une fois, mon expérience à Harvard et en dehors de la recherche compensent cette idée reçue.

Concrètement, comment révolutionnez-vous le process de recrutement ?

Camille Morvan : Nous voulons remplacer le CV qui est déclaratif par une mesure objective des compétences. Pour cela, nous évaluons les soft skills et les hard skills via des jeux vidéos basés sur les sciences cognitives. Ce langage est compréhensible par tout le monde et les hommes et les femmes jouent autant aux casual games, avec une moyenne d’âge de 45 ans donc ce n’est pas discriminant. Nous avons des jeux qui testent par exemple la capacité d’un individu à changer de tâche, à planifier ou à gérer le risque.

A la fin, vous avez un feedback et les recruteurs ont accès aux résultats. C’est sur cette base qu’ils décident ou non de convoquer une personne en entretien. Nous ne nous substituons pas aux recruteurs, mais nous sommes un outil d’aide à la décision. Grâce à Goshaba, les décisions de recrutement sont moins biaisées, plus justes et plus rapides.

Quel est votre Business Model aujourd’hui ?

Camille Morvan : Nous travaillons avec Accenture, le groupe BCG, L’Oréal ou encore McDonald’s via des contrats annuels. Et ce, pour tout type de postes. Notre technologie n’a pas de limites, nous pouvons balayer un spectre très large de métiers et secteurs. Nous sommes davantage limités par l’aspect business que la technologie !

Justement, où en êtes-vous de votre développement ?

Camille Morvan : L’an dernier, nous avons levé 2 millions, nous avons environ 30 clients actifs actuellement. Nous sommes dans une phase de structuration importante pour accompagner la croissance. Par exemple, j’ai enfin un véritable CoDir. Avec le temps, chaque associé se spécialise spécialise et nous avons pu faire monter en responsabilité des personnes de l’équipe et recruter des personnes très compétentes – au niveau exécutif.

De mon côté, je fais moins de technique car j’ai recruté une chercheuse dans l’équipe produit et me consacre plus à la structuration de l’entreprise, la relation client, la relation partenaires, avec les investisseurs, la stratégie, etc.. En 2020, nous avons pour ambition de multiplier par quatre nos revenus. Nous souhaitons atteindre la rentabilité plus rapidement que prévu et préférons reporter notre future levée de fonds à l’année prochaine avant de nous internationaliser.   

Et pour finir, quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?

Camille Morvan : Je demande beaucoup de conseils car j’ai soif d’apprendre (et un petit syndrome de l’imposteur), alors j’en reçois beaucoup ! On a aussi la chance d’être très bien entourés. Je me rends compte cependant avec les années que notre entreprise, de par son caractère très innovant est unique, et les conseils pas toujours ajustés à nos spécificités. Alors pour utiliser au mieux les conseils et ne pas se noyer, je m’efforce à revenir à mon expertise, mes valeurs et mes convictions – j’utilise mes valeurs comme boussole.

J’ai tendance à beaucoup me remettre en question, et je pense que c’est une force car cela me permet d’apprendre beaucoup et vite et de m’adapter, néanmoins à un moment il faut aussi savoir trancher et aller dans la direction qui me parait juste. Avec le temps, l’expérience et des super coachs, j’apprends à me faire confiance – d’ailleurs ironiquement c’est peut-être l’un des meilleurs conseils que j’ai reçu, de me faire confiance et arrêter d’écouter les conseils.

Un deuxième point est de trouver la distance avec le stress et la charge de travail. Gérer une entreprise c’est une charge sans fin, on peut toujours travailler plus, les urgences sont légions, les problèmes sont multiples et quotidiens. Afin de trouver de la distance et savoir hiérarchiser je médite. Parfois il suffit d’aller se promener en forêt ou d’aller nager pour arrêter de penser en boucle : le cerveau trouve des solutions créatives quand on le laisse tranquille !

 

https://goshaba.com/

Paulina Jonquères d’Oriola

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