En 2022, cette avocate de formation crée, avec son frère, Intact. La start-up propose un système novateur de production d’alcool neutre et de protéines végétales, à base de légumineuses : des plantes aux puissantes vertus écologiques et régénératrices.
Vous êtes avocate de formation. D’où vient votre lien avec l’agriculture ?
Fanny de Castelnau : Il est né au cours de l’enfance : mon grand-père et mon père travaillaient dans l’agroalimentaire, plus particulièrement dans le domaine de la distillerie… tout comme mon frère avec qui j’ai co-fondé mon entreprise.
Néanmoins, lors de mes études supérieures, je me suis éloignée de ce secteur en devenant avocate en propriété industrielle, spécialisée en protection de la création et de l’innovation. J’ai travaillé en cabinet pendant environ huit ans… avant d’être rappelée par mon histoire familiale et d’officier en tant que directrice juridique pour des entreprises de l’alimentation, notamment St-Hubert.
Comment s’est opérée votre reconversion ?
Fanny de Castelnau : En 2022, mon frère, Alexis Duval, et moi avons eu l’idée de créer notre propre distillerie, sur un modèle différent de celui qui prévaut actuellement, au très fort impact environnemental.
Nous avons fait le constat qu’il n’y avait pas de solution sur le marché susceptible de répondre aux attentes de décarbonation, de biodiversité pour l’alcool neutre. Pour l’heure, ce-dernier, ingrédient indispensable à la confection des produits cosmétiques, pharmaceutiques et des spiritueux, est issu généralement de matières premières agricoles, comme les betteraves ou le blé. En Europe, il émet tous les ans deux millions de tonnes de carbone. Le défi d’Intact est de fournir un alcool bas carbone et de repenser cette industrie afin de répondre aux enjeux écologiques.
Mon envie d’entreprendre est née ainsi, avec cette volonté très forte de m’engager dans la transition agricole. Concrètement, j’ai élaboré une partie du projet d’Intact lorsque j’étais encore en poste. J’ai démissionné lorsque le concept était déjà bien avancé.
Justement, quel est le principe d’Intact ?
Fanny de Castelnau : Mon frère et moi avons pour idée de produire un alcool neutre à bas carbone, grâce à des nouvelles technologies. Comment ? En repensant l’amont agricole et en nous basant sur la transformation de légumineuses, c’est-à-dire de lentilles, pois, féverolles… Ces légumes secs sont les engrais naturels qu’on utilisait autrefois, avant la Seconde Guerre mondiale, pour enrichir les terres agricoles : une époque précédant celle de l’utilisation massive d’engrais azotés chimiques.
Par ailleurs, Intact a développé une technologie brevetée pour produire un alcool neutre avec des procédés naturels et bas carbone adaptés aux légumineuses.
Cette innovation nous permet de produire le seul alcool de légumineuses au monde qui émet de l’ordre de 80% de CO2 de moins que ceux existants sur le marché.
Vous avez levé 55 millions d’euros. Comment avez-vous convaincu vos investisseurs ?
Fanny de Castelnau : Nous avons passé un partenariat avec notre premier investisseur, la coopérative agricole Axéréal, regroupant 11.000 adhérents, en Centre Val de Loire. Cela avait du sens pour eux : avec un débouché valorisé de leurs légumineuses, les agriculteurs peuvent ainsi décarboner, régénérer leurs terres et réduire leur utilisation d’engrais chimiques importés… Les légumineuses constituent une solution. Avec Axéréal, nous développons ensemble une filière d’agriculture de légumineuses en agriculture régénérative de 65.000 hectares….
D’autre part, en 2023, nous avons été lauréats et donc soutenus par France 2030, un programme de la Banque Publique d’Investissement, à hauteur de 14, 3 millions d’euros.
Aujourd’hui, vingt-cinq experts et spécialistes travaillent pour Intact, essentiellement en R&D. Nous avons aussi une équipe commerciale. Nous serons soixante-dix lors de l’ouverture de notre site industriel au deuxième semestre 2025 : en attendant, nous fonctionnons avec des équipements pilotes.
Avec l’ouverture de votre site, vos premiers produits seront commercialisés. De l’alcool neutre, mais également, des protéines végétales…
Fanny de Castelnau : On a une production circulaire, sans déchet. La légumineuse est composée d’amidon et de protéines. Nous utilisons l’amidon pour produire notre alcool neutre. Puis, avec la protéine, nous fabriquons de la protéine végétale pour les industriels de l’agroalimentaire et de la restauration collective. Cela constitue une alternative au soja (très largement importé aujourd’hui), à la viande, aux œufs, produits laitiers, biscuits…
Nos clients aspirent à être plus vertueux sur le plan écologique : nous leur proposons une solution clé en main.
Nous avons notamment signé un contrat de trois ans sur un gros volume d’alcool avec le groupe de spiritueux Rémy Cointreau, attiré par le fait de réduire à la fois son empreinte carbone tout en participant à la régénération des sols français, aujourd’hui dégradés au point de créer des baisses de rendement à force d’utiliser des engrais chimiques…
Quel conseil donneriez-vous à nos lectrices qui envisageraient la reconversion ?
Fanny de Castelnau : Quand on a une envie qui nous anime, je pense qu’il ne faut pas se poser un milliard de questions, auxquelles on ne pourra, de toute façon, pas apporter toutes les réponses. Ajoutons à cela qu’il n’y a jamais de moment idéal pour se lancer… Bien évidemment, lorsque cela s’y prête, il peut être fructueux de suivre une spécialisation, de décrocher un nouveau diplôme avant de sauter le pas… Mais, à un moment donné, il faut y aller… Ensuite, on adapte son projet, on rebondit selon les retours obtenus et les premiers résultats.
Je ne regrette pas mon choix : entreprendre répond à la fois à mes convictions, mais également à une volonté d’indépendance, une quête de liberté… Ce qui ne signifie pas, loin de là, que je travaille moins. Développer un projet avec sa vision demande de déployer une énergie considérable !
Claire Bauchart