Marie Dasylva, “coach de survie” pour les personnes victimes de racisme au travail

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Après avoir travaillé 10 ans dans le milieu de la mode, Marie Dasylva a ouvert son agence Nkali Works destinée à proposer des stratégies concrètes de survie et de riposte aux femmes et hommes victimes de racisme au travail. Rencontre.

Vous vous décrivez comme « coach de survie en entreprise pour les personnes racisées » En quoi être une personne racisée et surtout une femme racisée dans une entreprise aujourd’hui relève de la survie quotidienne?

Il y a la question du fait minoritaire. Quand on est minoritaires dans une entreprise, il y a toutes les dynamiques qui vont avec. Si je suis une femme noire en entreprise et que toutes les personnes au dessus de moi sont des hommes blancs, j’ai une idée implicite de jusqu’où je peux aller en terme d’évolution. De même si je suis une femme dans le milieu de l’ingénierie et qu’au dessus de moi il n’y a que des hommes. 

Vous entrevoyez la hauteur de votre plafond de verre et je pense que le plafond est beaucoup plus bas pour les femmes issues d’une minorité ethnique. C’est d’ailleurs une donnée qui transparait dans le dernier rapport du défenseur des droits qui montre que les personnes les plus exposées aux expériences de discrimination dans le monde professionnel sont les femmes de 18 à 44 ans vues comme d’origine extra-européenne qui présentent un taux global de discrimination de 65%.

Donc oui cela relève de la survie parce que d’une part on a tout de suite conscience de la hauteur de notre plafond et parce qu’être en minorité veut dire être constamment alterisé.es : remarques par rapport aux origines, à la couleur de notre peau, à nos cheveux, à une supposée religion. Dans ces espaces qui se sont organisés pour préserver leur exclusivité, on sera traité.es comme des accidents industriels. 

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La situation de crise que nous vivons aujourd’hui due à la pandémie mondiale a fait prendre conscience à la majorité des travailleurs et des managers de la notion de résilience, d’urgence, d’instabilité. Finalement cette situation de crise pour les personnes racisées au travail, elle est constante ? 

Les crises que j’ai pu connaitre au travail, ma mère les a connues, mon père les a connues. Le racisme au travail, c’est un continuum qui traverse toutes les générations de personnes non-blanches. Donc en effet, on voit le monde s’éveiller aux questions de résilience et autres mais en tant que personnes minorisées, la résilience, elle est inscrite en nous. La résilience a toujours été notre outil.

En parlant de resilience, qu’est-ce que vous pensez de ce mot et quelle définition vous lui donnez ? 

J’ai une relation très ambiguë à ce terme. Parfois la résilience va se retourner contre nous puisque, quelque part, on se galvanise de notre capacité à supporter. Or dans cette situation on devrait se dire « je n’ai pas à supporter cela ». Toute les personnes que j’ai pu coacher ont été au moins une fois dans leur vie en burn-out. On vient quand même de famille où l’on nous a dit « tu devras travailler quatre fois plus ». Et les entreprises le savent.

Donc il y a un côté pervers dans la notion de résilience puisqu’elle nous fait puiser notre valeur dans le fait de supporter l’insupportable, d’accepter l’inacceptable. La résilience dont j’ai envie de parler est une résilience de combat, qui nous met au centre et qui met notre dignité au centre. 

Au niveau pratique, comment se met en place votre coaching ?  

Cela dépend vraiment du problème de la personne. Je considère que j’ai des missions, je vais d’un point A à un point B et ça prendra le temps que ça prendra. Je fais ce que j’appelle des séances stratégiques. Je travaille de manière extrêmement concrète, je ne fais pas de développement personnel. Je fais de la programmation neurolinguistique c’est-à-dire incarner ce que l’on veut dire, et cela passe beaucoup par des cours de théâtre. Je considère que le monde du travail est un théâtre social où il faut connaitre sa partition. Je mets à disposition des pépites (personnes que Marie Dasylva coach, ndlr) des outils qui vont leur permettre de sortir de certaines situations et le théâtre marche vraiment bien en cas de harcèlement. 

J’ai une équipe composée d’une directrice des opérations, d’une juriste et d’un réseau d’avocats, psychologues et médecins. L’idée c’est d’avoir un seul point de contact et d’avoir accès à tous ces acteurs.  J’anime aussi des workshops. Il y a quelque chose d’extrêmement fort dans le fait de réunir des personnes qui comprennent du premier regard ce que l’on ressent, cela crée une sorte de communion. Et ça, je ne me lasserai jamais de le voir. 

Dans quel type de boîtes exercent les gens qui font appel à vous ?  Est-ce qu’il y a des domaines qui sont « pire » que d’autres ?

Honnêtement j’ai l’impression que cela touche tous les domaines. Les pépites vont de la femme de ménage, à l’auxiliaire de vie, à la directrice marketing. Ce qu’il y a de magique avec le racisme c’est qu’il est capable de faire un grand écart. Il ne s’exprimera pas de la même façon partout mais il sera tout aussi dévastateur et violent. Rien ne nous protège contre le racisme car c’est un pilier de la société actuelle.

Dans un podcast vous dites que « le temps c’est le medium par lequel la domination passe » et vous proposez à vos client.e.s l’outil stratégique des 300 secondes. A quoi sert-il ?

Je pense que lorsqu’on décide à qui et comment on donne son temps, on arrive plus à être en contrôle. Par exemple, moi j’ai cessé d’argumenter sur les réseaux sociaux. De manière arbitraire, je vais m’attribuer un crédit d’oppression. 300 secondes c’est 5 minutes dans la journée et comme je n’ai que 5 minutes dans la journée, je vais choisir mes batailles. Face à une remarque raciste à la machine à café ? C’est deux phrases et on tourne les talons. C’est un outil pour contrôler le temps qu’on passe à la réaction et c’est un outil qui nous fait, jour après jour, reprendre le contrôle de notre vie pour que celle-ci ne soit plus cette gigantesque réaction au racisme. 

Toujours en terme de stratégie, vous conseillez à vos client.es de maîtriser la “génance”. En quoi créer des malaises peut être une bonne réponse aux attaques racistes et sexistes quotidiennes selon vous ? 

Oui moi honnêtement je suis pro « génance » et je trouve que les femmes dans leur ensemble doivent apprendre à être gênantes. Cela signifie sortir de soi parce qu’on va à l’encontre de notre socialisation. Moi en tant que femme noire, j’interpelle : je suis imposante physiquement , j’existe dans une largeur qu’on ne voulait pas m’attribuer. Je provoque déjà la génance dans la manière dont je me présente au monde. Je dis toujours « qui maîtrise le malaise maîtrise la situation ». Comme au judo où l’on se sert de la force de l’adversaire pour le déstabiliser, l’idée ici c’est que la honte change de camp.

Vous avez décidé de quitter le monde de l’entreprise et du salariat pour créer votre propre agence, NkaliWorks. Qu’est-ce que l’entrepreneuriat vous a apporté ?  

C’est une catharsis. Aujourd’hui je mène des batailles que je n’ai pas pu mener auparavant parce que je n’avais pas les ressources. À un moment donné, on a envie que nos blessures ne soient plus béantes, on a envie de les cautériser et une fois qu’on les a cautérisées, de les embellir pour qu’elles servent. Il y a aussi le fait que pour la première fois de ma vie, je me sens utile, efficace et intelligente. Ce travail m’a permis d’aller vers mon vrai moi.  Je choisis les personnes avec lesquelles je travaille et j’ai une équipe incroyable. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer le podcast Better Call Marie cette année ?

C’est une entreprise purement narcissique (rires, ndlr). Je suis une personne d’oralité et j’avais envie de concevoir un objet qui soit un peu comme un doudou, qui réconforte. Je pense qu’il faut remettre de l’insouciance dans nos vies parce que le racisme comme toutes les oppressions, que ce soit le sexisme ou le validisme, nous enlève énormément d’insouciance. Je me bats pour qu’on ne nous enlève pas notre capacité à rêver, créer, idéaliser. C’est pourquoi, même quand je parle de sujets graves, je le fais avec humour.

Amélie Tresfels

 

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