Claire Vallée, c’est un parcours hors norme. Celui d’une ancienne doctorante en archéologie devenue la première Cheffe vegan à obtenir une étoile au guide Michelin. Confrontée aux aléas de l’entrepreneuriat, elle n’a de cesse de rebondir et d’innover. Entretien.
Vous avez fait un doctorat en archéologie avant de vous orienter vers la cuisine, pourquoi cette reconversion ?
Claire Vallée : C’est venu un peu par hasard, même si je pense qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. J’ai toujours cuisiné, que ce soit pendant mon enfance avec mes grands-parents ou pendant mes études pour mes camarades avec qui je faisais des chantiers archéologiques ou pour financer mes études. Ça m’a toujours passionnée. À 26 ans, j’en ai eu marre d’évoluer dans l’archéologie car le secteur ne paye pas. Sur les conseils d’une amie, je suis partie faire une saison en Suisse comme chef de rang. L’expérience s’est prolongée puisque l’on m’a proposé un poste en pâtisserie. J’avais déjà de bonnes bases et j’ai appris le reste sur le tas auprès du Chef. Je me suis beaucoup entraînée à refaire des recettes. J’ai finalement réussi à devenir Chef avant mes 30 ans.
Vous vous distinguez par votre cuisine vegan. Pourquoi ce choix ?
Claire Vallée : En Suisse, je cuisinais de la viande, du poisson. Après cette expérience, je suis partie à bord d’un catamaran de luxe sur lequel j’ai cuisiné pendant six mois. J’ai rejoint mon copain de l’époque en Thaïlande où j’ai découvert la cuisine bouddhiste non carnée, très végétale où l’on fait la part belle à la fermentation, aux herbes, aux racines. Cette cuisine a pour vocation de nourrir le corps en considérant que chaque plante a un impact sur l’organisme, des vertus curatives mais la nourriture a également un aspect plus spirituel avec le respect des animaux, de la vie, de la nature.
À mon retour en France un an après, j’ai trouvé un poste comme Chef dans un restaurant à Arès sur le Bassin d’Arcachon. J’y suis restée deux ans mais j’étais devenue vegan et ce que je faisais ne correspondait pas à mes convictions. Comme il n’y avait pas de place de Chef cuisiner dans le végétal à l’époque, j’ai eu envie de créer mon propre restaurant.
Vous avez connu des difficultés pour financer et lancer votre projet…
Claire Vallée : Oui aucune banque ne voulait m’accorder de prêt. Il a fallu démontrer que j’aurais une clientèle et faire une campagne de financement participatif. Il y a eu 126 contributeurs et 10 000€ obtenus, c’était une grande première dans le secteur. Puis la Nef (une banque solidaire, ndlr) a soutenu le projet. Celui-ci avait déjà de beaux atouts et de vrais engagements avec l’utilisation prévue d’énergie renouvelable, de compostage des déchets, le recours à des produits locaux de saison, bio, le soutien à l’économie locale… C’est comme ça qu’a commencé l’histoire d’ONA (Origine Non Animale, le nom de son restaurant, Ndlr) en 2016.
Deux ans après l’ouverture de votre restaurant, vous êtes récompensée par une fourchette Michelin et deux toques au Gault & Millau. En 2021, vous obtenez la première étoile Michelin accordée à un restaurant vegan et une étoile verte pour votre démarche éco-responsable.
Vous écrivez un livre*. Pourtant, malgré le succès, vous fermez votre établissement fin 2022…
Claire Vallée : Oui, je travaillais beaucoup et j’ai fait un burn-out. Avec le Covid et les confinements, une partie de l’équipe était partie ou malade. A la reprise, il a fallu recruter et en former une nouvelle. Mais pendant la saison, on ne pouvait pas loger les employés sur le Bassin d’Arcachon car les prix étaient exorbitants. C’était compliqué. Nous avions fait des travaux pendant cette période et il fallait aussi rembourser les prêts.
La clientèle qui est venue après l’obtention de l’étoile Michelin n’était pas très facile car elle était là pour juger. La salle était pleine. Il y avait les grosses chaleurs… En septembre, j’ai fermé deux semaines car j’étais épuisée. J’ai rouvert mais, même en accordant 3 jours et demi de congés par semaine, en n’ouvrant le restaurant seulement le soir et le dimanche midi, avec de bons salaires, etc., j’ai de nouveau rencontré des déconvenues. Je n’arrivais plus à cuisiner, je me disais que ça ne finirait jamais… J’ai vendu l’établissement et remboursé tout le monde et je suis partie faire le tour du monde pendant un an. Ça m’a notamment permis de trouver des solutions pour mieux utiliser l’eau, être plus autonome sur divers plans.
Depuis votre retour, vous proposez une version déclinée d’ONA à travers des tables éphémères. De quoi s’agit-il ?
Claire Vallée : J’avais envie de renouer avec la clientèle. J’ai proposé de cuisiner dans un appartement parisien qui n’avait à disposition qu’un four et des plaques. On était bien loin des cuisines de restaurant traditionnelles et ça a permis de simplifier certains process. L’appartement accueillait six personnes qui ne se connaissaient pas entre elles. Là, je pars sur une nouvelle table éphémère jusqu’à la fin de l’été dans une maison de maître de 1904 en Gironde avec un menu de la même époque. C’est toujours en équipe réduite.
Vous avez, en parallèle, un gros projet en préparation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Claire Vallée : Oui. J’ai le projet d’acheter un ancien moulin et de le rénover de manière bioclimatique en région bordelaise. J’ai trouvé le bon endroit, fait le business plan. Il faut désormais trouver des partenaires pour le financer mais c’est un projet porteur qui séduit déjà. L’idée, c’est d’être complètement autonome sur cet établissement au niveau de l’eau, de l’électricité, de l’alimentation avec de l’agroforesterie, de la permaculture… Il y aura une table d’hôtes et des chambres, une salle de co-working et de formation, un laboratoire de recherche, des start-up innovantes… C’est un très gros projet qui sera ouvert à la recherche et qui contribuera à diffuser nos découvertes. Ce sera un patrimoine reproductible ailleurs. J’espère l’ouvrir en 2026.
Quelles leçons tirez-vous de votre parcours et pouvez-vous partager ?
Claire Vallée : J’ai connu beaucoup de moments de doutes pendant lesquels je me suis remise en question. Il ne faut pas lâcher car ça vaut le coup quand on voit le chemin accompli. Ça me tient à cœur d’être dans la transmission pour l’avenir, pour les futures générations, et même si ça demande beaucoup de don de soi, y compris de sa vie personnelle, le jeu en vaut la chandelle.
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