Comment apprivoiser sa procrastination ?

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“La procrastination, comme le retard, est toujours le symptôme d’une résistance plus profonde.”

Qu’est-ce qui nous pousse à procrastiner ? Pourquoi cherchons-nous à repousser des tâches pourtant incontournables de notre agenda, alors même que nous redoutons l’angoisse du travail fait à la dernière minute ? La procrastination est un défi universel qui touche chacun de nous à un moment ou à un autre de notre vie.

Préparez-vous à une conversation captivante et enrichissante avec Mathilde Ramadier, auteure du livre “Apprivoiser sa procrastination, l’art de faire autrement” aux éditions Eyrolles dans lequel nous explorons les clés pour apprivoiser la procrastination et découvrir un chemin vers une vie plus productive et épanouissante.

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Pourquoi procrastinons-nous ?

Mathilde Ramadier : Il y a plusieurs causes à notre procrastination, elle est multi-factorielle. Des études récentes en neurosciences ont démontré que les connexions entre l’amygdale (centre du plaisir et de la peur, pour faire simple) et le cortex (centre de la raison) sont plus faibles chez les personnes qui procrastinent. Ce qui peut expliquer qu’elles ont plus de mal à faire le tri entre les actions à réaliser et celles qui sont moins importantes. Nous fonctionnerions en outre en permanence selon un calcul effort-bénéfice. Ainsi, une tâche pénible apparaît comme moins insurmontable quand elle est lointaine, c’est-à-dire quand on la repousse au surlendemain (ou sine die).
Mais cela n’explique pas tout. Je pense que la procrastination est le symptôme de résistances plus profondes, qu’elle est, en quelque sorte, la cousine de l’acte manqué. Quand on ne fait pas ce qu’on devrait faire, qu’on s’adonne au plaisir immédiat (par exemple en regardant une série) au lieu de finaliser une tâche urgente, c’est qu’on a des raisons, plus ou moins conscientes, de vouloir l’éviter. Des blocages, des peurs… Qui peuvent faire fléchir notre volonté. Or cela vaut le coup d’être de bonne foi quand on procrastine — au moins vis-à-vis de nous-même ! — et de se demander franchement pourquoi on repousse sans cesse telle ou telle chose.

Y a t-il des personnes plus enclines, il y a des niveaux dites-vous ?

Mathilde Ramadier : Certaines personnes y seraient plus enclines, nous l’avons vu avec l’architecture du cerveau, qui varie d’un individu à un autre, mais là ne se situe pas mon propos. À mon avis, nous procrastinons tous et toutes, dans un domaine ou un autre. Quand ce n’est pas le travail ou l’administratif (domaines qui arrivent largement en tête de mon enquête), c’est pour nos décisions existentielles, nos tâches ménagères, nos résolutions morales, sportives, ou encore, nos relations amoureuses…
Les personnes qui procrastinent de façon très chronique et visible sont celles qui tentent de réprimer de grandes décisions, qui pourraient être douloureuses, en bouleversant leur quotidien. Cela cache des doutes, des peurs, des regrets. Par exemple, on tarde à boucler un dossier pour notre travail parce qu’au fond, nous n’y sommes pas épanoui. On repousse une discussion franche avec notre partenaire parce qu’on ne veut pas voir qu’en réalité, ce n’est plus ce que c’était entre nous…

Qu’est-ce que cela dit de nous ?

Mathilde Ramadier : Depuis les Lumières on veut nous faire croire que nous sommes des êtres de raison, mais il n’en est rien ! Enfin, ce n’est pas si tranché : notre volonté est traversée de désirs, qui sont pulsionnels, et peuvent être contradictoires. Nous sommes en outre manipulateurs (vis-à-vis de nous-mêmes avant tout), ambivalents, de mauvaise foi… Bref, nous avons un inconscient qui cherche à émerger, aux dépens de notre conscience qui tente, elle, de se défendre, de nous protéger en nous mettant des œillères et cela nous joue des tours, que nous prenons pour des comportements absurdes. La procrastination en est un exemple. Or c’est un comportement humain, et mieux vaut chercher à la comprendre que la réprimer à coup de to do lists et de bonnes résolutions… qu’on ne tiendra pas.

La procrastination n’est-elle pas une réaction à un monde en permanence dans l’immédiateté ? N’est-ce pas un besoin de retrouver un temps long ?

Mathilde Ramadier : Cela peut. Certaines formes de procrastination, chez certains individus, peuvent générer des moments suspendus, propices à la créativité, à l’émergence d’idées novatrices. Il faut voir que ça existe. C’est aussi une forme de résistance à l’accélération de la société, dans laquelle nous sommes tout le temps pris, et pas seulement au travail. Mais ça, c’est de la procrastination “positive“, en quelque sorte, et je le dis sans jugement moral (mon livre vise justement à sortir la procrastination d’une question de morale). Disons que par ailleurs certaines formes de procrastination restent handicapantes, elles sont source de déséquilibre, de frustration, tant pour l’individu qui en souffre que pour son entourage, qui la subit.

Procrastiner est-ce la manifestation d’une absence de volonté ?

Mathilde Ramadier : Les philosophes ont parlé de la procrastination sans la nommer ainsi en travaillant sur l’akrasia : l’acrasie. C’est-à-dire la faiblesse de la volonté. Je ne dirais pas que la volonté est absente, quand on procrastine, mais simplement qu’elle est ailleurs, déportée, dérivée du but raisonnable (ou socialement accepté) qu’on s’était fixé pour faire autre chose, de plus plaisant, ou dans une posture d’évitement. On ne fait pas rien, quand on procrastine ! Souvent, le cerveau est en ébullition, et nous ressentons tout un tas de choses (fût-ce de la culpabilité, ou du moins, du plaisir coupable…).

Comment apprivoiser sa procrastination ou plutôt la structurer ?

Apprivoiser sa procrastination, l'art de faire autrement - Mathilde Ramadier (éditions Eyrolles)
Apprivoiser sa procrastination, l’art de faire autrement – Mathilde Ramadier (éditions Eyrolles)

Mathilde Ramadier : Dans mon livre, j’invite à l’apprivoiser (cf. son titre) et non à la structurer, comme nous enjoint à le faire John Perry, philosophe à Stanford qui aime avancer un côté chaotique comme preuve du génie intellectuel. L’apprivoiser, oui, car on ne pourra jamais la réduire à néant. Elle est comme un lapsus, une manie, une pulsion. Il faut l’ausculter, la comprendre, l’analyser, la contourner, parfois, l’embrasser, aussi. Je donne différents outils issus de la philosophie, de la psychanalyse, de la vie quotidienne et de l’enquête que j’ai menée auprès de 182 personnes.

La procrastination n’est-elle pas l’anti-chambre de la création ?

Mathilde Ramadier : Pour les professions créatives et intellectuelles, oui, et à condition que ces personnes arrivent à gérer leur stress, voire même, qu’elles chérissent ce stress de dernière minute, ces nuits blanches d’ébullition. Mais attention, tout le monde ne peut pas se permettre de procrastiner au travail, et l’affirmer entretient une vision aristocratique du travail (“je peux me permettre d’être en retard puisque de toute façon tout le monde m’attend…“)

Vos conseils pour procrastiner à bon escient ?

Mathilde Ramadier : Lire cette interview puis mon livre au lieu de boucler un dossier urgent pour le travail !
Propos recueillis par Véronique Forge
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