Enfant, rêviez-vous déjà de devenir pilote de chasse ?
Virginie Guyot : Mon père était officier dans l’armée de terre, mais il était fils d’agriculteur. Ma mère était infirmière et fille d’instituteur. Nous étions trois enfants et elle a quitté son travail pour s’occuper de nous. Dans la famille, il n’existait donc pas de longue tradition militaire. Mais mon père nous trimballait pas mal dans les meetings aériens, et j’ai toujours été fascinée par la Patrouille de France, et les avions de chasse. En les regardant, je me disais que j’aimerais être à leur place, mais cela me paraissait inaccessible.
Pas parce que j’étais une femme, mais tout simplement car ce métier est très dur et que je n’avais pas tellement confiance en moi. Mes parents nous ont également beaucoup emmenés visiter les lieux de mémoire. Défendre le pays et notre liberté ont donc été des valeurs centrales pour moi.
Puis à 12 ans, j’ai fait mon premier baptême de l’air, et ça a été l’élément déclencheur. J’ai trouvé ça magique d’être dans un engin silencieux qui dominait tout et volait comme un oiseau. C’est là que j’ai décidé d’en faire mon métier. Je rêvais d’être pilote de chasse, mais je craignais que les autres se moquent de moi en cas d’échec. Je me suis donc auto-persuadée que je voulais être pilote d’hélicoptère.
La vie a fait que lors de ma première visite médicale, j’ai été déclarée inapte au pilotage d’un hélicoptère en raison des vibrations et d’un problème aux vertèbres. Lors d’une contre-expertise, on m’a finalement déclarée apte à devenir pilote de chasse. C’est là que je me suis rendue compte que j’avais failli passer à côté de mon rêve.
Comment votre entourage vous a accompagnée dans ce projet ?
Virginie Guyot : Ma famille m’a toujours soutenue. Si je ne leur ai pas parlé tout de suite de mon désir de devenir pilote de chasse, c’est avant tout parce que j’avais peur de les décevoir.
Vous avez été brevetée à l’âge de 25 ans, à l’époque, y avait-il d’autres femmes dans votre promotion ?
Virginie Guyot : La première femme brevetée, c’était Caroline Aigle. J’étais la 4ème. Sur une promotion de 82 personnes, nous étions 4 filles, et j’ai été la seule brevetée.
Vous avez peu à peu monté les échelons dans l’armée. Est-ce que vous diriez, comme le disent d’autres femmes dans d’autres domaines, que vous avez été encore plus poussée à l’excellence parce que vous étiez une femme ?
Virginie Guyot : Je réponds souvent non à cette question. Que vous soyez homme ou femme, dans ce métier, vous devez faire vos preuves et vous dépasser au quotidien pour que les autres vous fassent confiance. Mon mari me dit souvent que je me suis malgré tout mis la pression seule. Lorsque j’ai entamé la formation pour le Mirage F1, jamais piloté par une femme, je me suis dit que si j’échouais, ce serait la porte ouverte à toutes les railleries. Mais en réalité, les hommes ne veulent pas non plus échouer. On veut tous se dépasser. Et il n’y a pas plus de machos dans l’armée que dans la société civile.
En 2008, vous rejoignez la patrouille de France : quel souvenir gardez-vous de votre première sortie ?
Virginie Guyot : La première fois que je suis montée dans l’avion bleu blanc rouge, je n’avais pas les commandes. Il s’agissait juste de nous montrer comment cela fonctionnait techniquement. J’étais super excitée ! Dès le décollage, je me suis dit « ce sont des fous », dans le sens où techniquement, c’est un autre monde même si nous faisons face à d’autres difficultés lorsque nous sommes en mission de guerre. A chaque décollage, j’ai tâché de savourer car être dans la patrouille de France est absolument magique, et ça ne dure que 2 ou 3 ans.
Un an plus tard, vous dirigez la Patrouille et êtes encore la seule femme au monde à ce jour à avoir tenu ce poste. Comment avez-vous envisagé votre rôle de leader auprès de vos paires masculines ?
Virginie Guyot : Je ne l’ai pas envisagé différemment de mes précédents postes. Nous sommes formés à devenir leader de patrouille d’avions de guerre. C’était bien entendu un gros challenge en tant que pilote, mais je l’ai abordé comme le reste de ma carrière. J’ai toujours beaucoup observé mes supérieurs hiérarchiques, et cela m’a aidée à forger mon propre leadership. Notre formation nous aide aussi à cela, car les qualités de leadership ne sont pas forcément naturelles au départ.
Il y a quelques mois, vous avez décidé de stopper votre carrière dans l’armée, et de partir vers de nouveaux horizons. Quel a été votre moteur pour prendre cette décision, et comment l’a accueillie votre famille ?
Virginie Guyot : J’ai fait tout ce dont j’avais rêvé dans ma carrière de pilote, et la Patrouille de France a été la cerise sur le gâteau. J’étais ensuite amenée à devenir officier de carrière, avec des postes à responsabilité très intéressants, mais ce n’était pas mon objectif. Aussi, j’ai fait mon deuxième et troisième enfant après la Patrouille de France, et ce n’était pas évident de tout concilier. J’avais aussi besoin d’être comblée d’un point de vue personnel.
Cela fait 9 mois et je ne regrette pas ce choix. Je peux me consacrer davantage à mes conférences en entreprise, et cet échange est très gratifiant. Je pense aussi que les méthodes de l’armée de l’air gagnent à être connues ! Je suis aussi très active dans le milieu associatif.
Mes parents ont compris mon choix, ma mère ayant tout sacrifié pour sa famille et mon père n’ayant lui-même pas beaucoup vu ses enfants grandir. Quant à mon mari, il me soutient pleinement, et c’est un choix pris aussi à deux. C’est mon coach ! Je n’aurais jamais eu la même carrière sans lui.
Depuis plusieurs années déjà, vous aimez partager votre expérience auprès des entreprises. Quel pont faites-vous avec votre activité de pilote de chasse ?
Virginie Guyot : Le dénominateur commun entre ces deux univers qui peuvent sembler éloignés, c’est la richesse humaine. Les gens ont souvent une vision autoritaire de l’armée, mais celle-ci évolue, tout comme la société. Tout est fondé sur des valeurs universelles, l’humain, la confiance. Des valeurs sur lesquelles l’armée met des mots et qui nous rappellent chaque jour le sens de notre action. Tout n’est pas transposable à l’entreprise mais cela peut être inspirant.
La confiance et l’esprit d’équipe étaient quelque chose de central dans votre activité. Quelles sont selon vous les clefs pour les développer en entreprise ?
Virginie Guyot : Pour commencer, il faut avoir une vision commune, qui rassemble. La communication est essentielle pour créer la confiance, les mails ne suffisent pas. Cela demande du temps et de l’investissement de la part de tous. Il faut réellement s’intéresser au travail de l’autre pour mieux comprendre ses attentes, poser des questions sans avoir en tête les réponses. C’est comme cela qu’on crée du lien. Et puis il y a l’exemplarité, pas seulement pour les chefs. Il faut faire preuve de leadership à tous les niveaux.
Dans votre métier, vous avez pris des risques, mais ces risques étaient toujours maîtrisés ?
Virginie Guyot : Effectivement, dans la Patrouille, les équipes changent chaque année. Alors, il faut sans cesse répéter, et surtout se remettre en question. Le feedback est essentiel. Nous faisons des briefs avant chaque sortie car l’anticipation est fondamentale, et après chaque sortie, notamment grâce aux films. Chacun doit avoir de l’humilité et du courage pour reconnaître ses propres atteintes à la sécurité. Nous capitalisons sur les erreurs des uns et des autres afin que ces dernières ne se reproduisent pas. Le travail par binôme ou parrainage est également essentiel pour amener la jeune génération au plus haut niveau. Ainsi, nous nous servons des recueils écrits par les anciennes générations pour progresser et nous entraider.
Quelle est votre vision personnelle du leadership ?
Virginie Guyot : Il n’existe pas de leadership idéal, c’est très personnel. Cela vient de notre éducation, de notre sensibilité, de notre personnalité. Ce qui importe, c’est de toujours se remettre en question et surtout de rester naturel et de ne pas jouer un rôle.
@Paojdo