Comment passe-t-on d’un poste d’enseignante dans l’éducation nationale à celui de dirigeante d’entreprise ?
Areeba Rehman : Effectivement, j’étais enseignante, et pour des raisons personnelles, j’ai dû partir m’installer en Île-de-France. C’était en 2006 et pour faciliter mon déménagement, j’ai voulu me débarrasser d’objets sur Ebay. Problème : la majeure partie des ventes ont été annulées en raison des coûts de transport plus élevés que ceux des objets en eux-mêmes.
Nous étions en plein boom de la vente en c to c, et je me suis rendue compte qu’aucune solution digitale n’existait pour cet aspect transport. Dans le même temps, j’ai constaté que 25% des camions roulaient à vide, et 50% à moitié remplis. FretBay est donc parti d’un constat et d’un besoin du marché : j’ai conçu une plateforme permettant de mettre en relation les particuliers avec les entreprises de transport et de déménagement pour leur permettre d’optimiser leurs déplacements. Pour les particuliers, c’est une économie de 40 voire 75% par rapport aux prix pratiqués sur le marché.
Mais vous aviez tout de même l’entrepreneuriat dans le sang ?
Areeba Rehman : Je suis fille et petite-fille d’entrepreneurs, et même si je n’ai pas fait les études pour, on peut dire que j’avais la fibre en moi. Enfant, je me débrouillais toujours pour ressortir avec un peu de monnaie même lorsque je jouais à la dinette (rires) ! Bien sûr, quand j’étais enseignante, je n’y pensais pas, mais finalement tout est venu naturellement. Pourtant, quand je me suis lancée, j’ai dû faire face à un milieu très conservateur.
Les dirigeants d’entreprises de transport que je rencontrais me disait : « ça tombe bien, je recherche une assistante …». Ce n’était pas non plus facile avec les banques car je ne semblais pas crédible. Sans oublier le fait qu’en plus, il était impossible de benchmarker car nous étions pionnier en France et en Europe. Mais je n’ai pas baissé les bras, portée par la passion ! Aujourd’hui, nous travaillons avec 8000 transporteurs déménageurs partenaires. Nous sommes une trentaine de personnes et avons réalisé 5 millions de CA en 2017.
L’aventure a été un tel succès que vous n’avez pas hésité à lancer une seconde startup dans l’économie collaborative il y a trois ans : MyBoxMan ?
Areeba Rehman : MyBoxMan concerne tous les particuliers qui peuvent faire des livraisons sur leurs trajets, dans une limite plafonnée à 400€ par mois. L’entreprise répond à la problématique du dernier kilomètre. Nous avons des partenaires comme Monoprix, Casino, Carrefour, et un partenariat officiel avec Ford. Il s’avère que 80% des gens roulent le coffre vide.
Cela répond donc au problème de pollution et à la nécessité de décongestionner les routes alors que les ventes sur internet explosent et que chacun a besoin de se faire livrer le plus vite possible. L’avantage est que je n’ai pas besoin d’avoir de commerciaux pour cette seconde boîte grâce à Fretbay qui m’a permis de dégoter mes clients. Et puis il est plus facile de séduire lorsque l’on a déjà développé avec succès une première entreprise.
Cette année, vous avez été choisie pour être sherpa de la délégation française du G20 des Jeunes Entrepreneurs. Pourquoi avoir accepté cette mission ?
Areeba Rehman : Lorsque l’on est entrepreneur, la vie ne s’arrête pas autour de notre entreprise. Nous avons le devoir de nous impliquer dans un certain nombre de sujets. Et c’est un engagement qui doit être porté au niveau international. J’y ai donc vu une suite logique d’autant plus que je me retrouve dans les thèmes proposés. Cette année, nous allons plancher sur « Imagination Economy for Sustainable Future ».
L’objectif de cette mission est de travailler avec les autres délégations pour faire ressortir de nouvelles recommandations à soumettre ensuite aux acteurs politiques. Et plus généralement, il s’agit de créer de la cohésion, de la croissance, networker et bien sûr faire du business.
Selon vous, les acteurs économiques doivent davantage prendre leurs responsabilités, notamment envers le climat ?
Areeba Rehman : Oui, et cela commence déjà par les valeurs que l’on prône via la culture d’entreprise. De mon côté, la RSE est au centre de notre réflexion. Il y a bien sûr la dimension écologique portée par mes deux entreprises, les gestes du quotidien pour éviter le gaspillage, et la thématique de l’ascension sociale qui me tient particulièrement à cœur.
Cela passe notamment par le recrutement non pas sur diplôme mais en fonction des aptitudes humaines comme la bienveillance, la responsabilité et l’autonomie. Je constate d’ailleurs que les personnes que j’ai formées en interne sont sûrement les meilleures que j’ai au sein de mon entreprise.
Bien entendu, il y a aussi la question des femmes. C’est un point auquel vous allez porter une attention particulière pour le prochain G20 des jeunes entrepreneurs ?
Areeba Rehman : L’an dernier il n’y en avait que 20%, ce qui est très peu. De mon côté, j’aimerais que l’on soit proche de l’égalité. Ce serait pour moi la délégation française idéale ! Le problème est que moins de femmes candidatent car elles se posent des questions du type : comment vais-je faire garder mes enfants ? Les femmes ont beaucoup de barrières dans la tête, il leur manque des rôles modèles.
Vous n’êtes pas très médiatisée bien que vous ayez reçu le prix national du Jeune entrepreneur en 2013. Est-ce que vous êtes prête aujourd’hui à jouer ce rôle de leader auprès des jeunes ?
Areeba Rehman : Je suis restée longtemps la tête dans le guidon, seule avec mon idée. Je n’avais pas de modèle féminin à part celui de ma mère. Aujourd’hui, je serais prête à partager mon expérience. Je pense d’ailleurs que pour booster l’entrepreneuriat auprès des femmes, nous devons apprendre beaucoup plus tôt dans notre parcours scolaire à prendre la parole en public.
Vous qui avez participé à beaucoup de jury sur les jeunes entrepreneurs : regardez-vous davantage le porteur de projet, que le projet en lui-même ?
Areeba Rehman : Clairement ! On peut avoir l’idée du siècle, si l’exécution n’est pas là, le projet va tomber à l’eau. On investit sur une personne, pas un projet.
Et de manière générale, comment percevez-vous la jeunesse d’aujourd’hui ?
Areeba Rehman : Les chiffres nous disent que l’on est sur la bonne voie. Les jeunes entreprennent de plus en plus sous l’action d’associations comme 100 000 entrepreneurs. En même temps, cette génération n’est pas toujours simple, je le vois en interne. Les jeunes n’ont pas le même rapport à la hiérarchie, ils ont besoin d’obtenir les choses très vite ! Mais le bon côté est qu’ils sont maîtres d’eux-mêmes et savent vers quoi ils veulent tendre.
@Paojdo
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