Les nouveaux artisans décryptés par Magali Perruchini

laurette broll céramiste, Magali Perruchini
Magali Perruchini travaille dans une agence de communication sans que la sensation de perte de temps et de vide ne la quitte. Elle se rend compte que ce qu’elle aime, c’est rencontrer des gens, raconter des histoires. « Je me suis intéressée à l’artisanat car c’est un secteur en phase avec mes valeurs » résume-t-elle. Depuis le premier portrait paru sur son blog Les Mains Baladeuses – un réparateur de parapluies – elle est devenue une experte en son domaine et en a même tiré un livre*. L’interroger sur le sujet était donc une évidence.

Qui désigne-t-on sous l’expression de nouveaux artisans ? 

Il n’existe bien sûr pas de définition académique. Cependant, le terme désigne souvent cette génération de “cols blancs” qui se reconvertit dans les métiers manuels. Qu’il s’agisse d’un retour à une vocation contrariée ou une reconversion tardive, ces personnes quittent une situation socialement valorisée pour s’orienter vers des métiers qui ont longtemps été dénigrés – relégués aux derniers de la classe – voire oubliés. En ce sens, ils bousculent les codes de la réussite sociale et questionnent notre rapport au travail.

Nous passons nos journées derrières nos ordinateurs, nous envoyons des mails, élaborons des Powerpoints… depuis plusieurs décennies, avec l’avènement du digital notamment, le travail s’est grandement dématérialisé : nous manipulons et échangeons beaucoup d’informations et nos missions deviennent de plus en plus immatériel. A la fin de la journée, on ne sait pas trop ce qu’on a réalisé ! En tout cas, la réponse « j’ai envoyé des mails » peut s’avérer être très insatisfaisante et peu gratifiante, générant une forme de vacuité et de perte de sens.

Mini Guide Reconversion professionnelle

On s’aperçoit bien du nombre de maladies liées au travail qui ont fait leur apparition : brown-out, burn-out, bore-out… Les nouveaux artisans concrétisent ce besoin de revenir à quelque chose qui a du sens, de matériel et de tangible. Voir concrètement le fruit de son travail à la fin de la journée constitue une preuve d’existence. Ce phénomène de reconversion dans les métiers manuels reste un phénomène de niche essentiellement urbain, mais cette génération a un pouvoir de prescription. En ce sens, elle peut faire évoluer les mentalités, créer des vocations et valoriser les métiers manuels.

Quels sont les métiers oubliés de l’artisanat qui resurgissent ? 

Je peux citer pour exemple l’entreprise artisanale “Antoinette Poisson” qui a redonné vie au savoir-faire de la dominoterie. Une technique d’impression qui date du XVIIIème siècle, ancêtre du papier-peint. Seules deux entreprises exercent cette technique en France. Une nouvelle génération de peintres en lettre – dont Julien Raout de 6 Lettres, que l’on suit dans le livre – fait leur apparition, alors qu’un seul exerçait à Paris il y a encore quelques années.

Le métier de brasseur ou encore celui de barbier sont aussi emblématiques du renouveau de l’artisanat. D’ailleurs, le savoir-faire du barbier qui ne s’apprenait plus en CAP de coiffure fait à nouveau partie du programme. De nombreux commerces de proximité resurgissent également comme les épiceries, les cavistes, les fromageries, les boucheries… Et les écoles de céramistes sont assaillies et doivent même refuser des candidatures !

En quoi ces nouveaux artisans sont-ils en phase avec notre époque ?

En tant que consommateur.trice.s, nous sommes totalement déconnecté.e.s de l’objet et du fabricant.e. On ne sait plus comment et par qui il a été fait. Avec tous les scandales qu’il y a eu dans les secteurs de l’alimentation et de la mode notamment, nous prenons conscience que nous faisons partie d’un cycle vicieux et vicié. Revenir à l’objet artisanal est vertueux, car il est le résultat d’un processus respectueux de l’homme et de l’environnement.

De nombreux services se sont dématérialisés via les achats en ligne ; consommer chez l’artisan qui exerce en bas de chez nous nous permet de revenir au local, de créer du lien, de la proximité. Le confinement lié au COVID-19 a révélé que les échanges de personnes à personnes sont indispensables pour faire société et pour notre bien-être psychique. En outre, on a beaucoup parlé des métiers utiles : soignants, agents de propreté, commerçants… Je pense que les gagnants de demain seront celles et ceux qui exerceront un savoir-faire manuel.

Nombreux sont ceux qui pendant le confinement on fait leur pain maison par exemple. En outre, ces artisans nouvelle génération sont pleinement inscrits dans le XXIème siècle. Ils inventent un modèle hybride en alliant tradition et modernité, geste et pensée, local et hyperconnexion. Ils maîtrisent parfaitement les codes de la communication digitale, savent mettre en scène leurs créations et leur métier ; en ce sens, ce sont de parfaits storytellers.

Quelles sont les qualités nécessaires pour devenir artisan ?

L’artisanat englobe 270 métiers, c’est très large ! Derrière cette image un peu glamour propulsée par les réseaux sociaux, la plupart de ces professions sont difficiles. Les artisans ne comptent pas leurs heures et sont entièrement dévoués à leur métier. On a tendance à omettre la pénibilité de leur travail : se tenir debout ou contortionné, avoir mal au dos, aux mains… Et puis il y a aussi la difficulté d’en vivre. On voit beaucoup les success stories. Mais pour combien d’élus et combien de déçus ?

Quels conseils donneriez-vous à des femmes souhaitant opérer une reconversion et se diriger vers l’artisanat ? 

Je rencontre beaucoup de personnes qui souhaitent se reconvertir sans savoir encore vers quel métier se tourner. Dans ces cas-là, je leur conseille de tester ; de trouver la matière qui les fait vibrer. Il y a beaucoup d’artisans qui proposent des ateliers, notamment via la plateforme Wecandoo qui les met en contact avec des particuliers. Aller à la rencontre des artisans est fondamental pour connaître la réalité du métier. L’association Artisans d’Avenir propose aussi des programmes d’accompagnement.

Elle organise des talks avec un artisan “vedette” qui s’exprime de manière très transparente sur son parcours d’entrepreneur, les difficultés et les recettes de sa réussite. Ces rencontres permettent aussi de se construire un réseau : c’est essentiel de ne pas rester seul.e quand on est en reconversion et de s’entourer de personnes qui vivent la même chose, traversent les mêmes phases. 

Parmi les rencontres que vous avez faites, lesquelles ont été les plus marquantes ? 

Le savoir-faire qui m’a particulièrement marquée, c’est celui de Jeremy Maxwell Wintrebert, souffleur de verre. C’est un métier physique, qui demande une concentration de chaque seconde pour être à l’écoute de la matière, et c’est l’un des savoir-faire les plus beaux, les plus émouvants que j’ai pu voir. Jeremy a un parcours de vie chaotique et il atteint une forme de rédemption grâce à son travail. Il m’a expliqué que chaque jour, devant son four,il jète tout le négatif pour le transformer en beauté.

J’ai aussi été marquée par ma rencontre avec Sara Daniel-Hamizi, La barbière de Paris. Elle a été la première barbière de France et a dû faire sa place dans ce métier très masculin. Aujourd’hui, elle est à la tête de huit salons à Paris… C’est une vraie cheffe d’entreprise. 

Magali Perruchini, Nouveaux Artisans, portrait d’une génération qui bouscule les codes, paru aux éditions Eyrolles, 28 €
Crédit photo : Magali Perruchini pour Lesmainsbaladeuses.com

Vanina Denizot

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