« Je ne te pensais pas si fragile » : le récit glaçant d’un harcèlement au travail

Dans ce roman inspiré de son histoire personnelle, Kikka raconte sa descente aux enfers alors qu’elle devient la proie d’un harceleur au travail. Directrice commerciale surinvestie et ultra-performante, elle tente de se plier à toutes les exigences de son supérieur jusqu’à y laisser sa santé physique et mentale, sombrant dans un violent burnout. Epreuve dont elle sort aujourd’hui grandie et qu’elle désire partager à travers un éloge de la fragilité profondément universel.

L’ouvrage débute alors que vous vous trouvez en clinique psychiatrique. « L’obligation d’abdiquer m’a anéantie », écrivez-vous. C’est ce lâcher-prise, pourtant salvateur, qui a été si difficile à trouver ?

Kikka : Oui, pourquoi les autres tiennent et pas vous ? L’environnement vous fait ressentir un profond sentiment de culpabilité. Et le harceleur fait en sorte de vous faire penser que c’est VOUS le problème. Pour sortir de cet état de victime, la clef est donc d’accepter ce qui est.

La culpabilité est effectivement au cœur de votre récit. Elle est aussi celle d’une épouse et d’une mère entourée par une famille aimante ?

Kikka : Lorsque tout se met sur pause et que l’on regarde la situation avec un peu de recul, on se sent effectivement coupable face à ce gâchis. Dans les moments où j’ai été profondément affectée par cette culpabilité, j’ai essayé de trouver des livres dans lesquels je retrouverais les mêmes émotions afin de me défaire de cette culpabilité, et me dire que ce n’était pas MOI. Le problème, c’est que la majorité des ouvrages sont écrits par des médecins ou psychologues. Alors, certes, je cochais toutes les cases des symptômes, mais cela ne m’ôtait pas cette profonde culpabilité. Souvent, on nous conseille de laisser nos problèmes de travail au bureau, et vice-versa, mais on est une personne entière… Le burnout, c’est une déflagration qui sort du contexte du travail et touche tout l’environnement de la personne, qu’il soit social ou familial.

De cette culpabilité d’avoir craqué face à une charge mentale et professionnelle trop lourde, vous vous posez cette question terrible : « dorénavant, mes filles auront-elles peur d’oser ? » Quelle est votre réponse aujourd’hui ?

Kikka : Tenir un exemplaire de ce livre entre mes mains a été une émotion incroyable. Avec mon mari, nous avons préféré impliquer les filles dans son écriture car je pense qu’il est important de ne pas les surprotéger. Elles rencontreront aussi des épreuves très douloureuses dans leur vie. Mais le plus important est : que fait-on pour transformer cette étape de vie en quelque chose de beau et grand ?

Votre récit retrace très bien les étapes du harcèlement. Votre harceleur s’est d’abord montré tantôt charmant, tantôt déconcertant. Puis il s’est immiscé partout dans votre travail, a repris vos victoires à son compte, a remis en cause vos décisions, puis vous a isolée de vos collègues alors que vous étiez très appréciée. Au début, vous vous êtes défendue du mieux que vous pouviez, mais à un moment, face à ce type de personnalité, on ne peut que fuir ?

Kikka : C’est effectivement un combat truqué. Le problème, c’est que je ne m’en suis pas rendue compte au départ, à cause de mon éducation, de ma conscience professionnelle. Pourquoi l’autre voudrait-il m’assassiner ? En tant que lecteur, certaines choses peuvent sembler évidentes, et c’est pour cela que j’ai voulu avancer dans le récit sans jugement. Mais quand on est face à un harceleur, rien ne semble évident. C’est réellement grâce au travail de psychothérapie que j’ai pu enfiler toutes les perles.

Pensez-vous que votre tempérament perfectionniste, jusqu’au-boutiste et dévoué, a pu faire de vous une victime parfaite ?

Kikka : Peut-être. Le travail est essentiel dans la construction psychologique de notre utilité au monde. J’ai effectivement toujours pris plaisir à bien faire mon travail, et au début, je bénéficiais de beaucoup de reconnaissance. Malheureusement, dans le contexte de l’entreprise, il est difficile de maintenir un travail de qualité car on ne dispose souvent pas de moyens humains et financiers suffisants. Beaucoup de personnes sont donc susceptibles de faire un burnout car elles sont fières d’appartenir à une société et s’y investissent sans compter.

Alors que vous finissez par fondre en larmes face à votre harceleur, il vous lance cette phrase assassine : « je ne te pensais pas si fragile ». Pourquoi en avoir fait le titre de votre livre ?

Kikka : Sur le coup, cette phrase m’a fait beaucoup de mal car elle m’a été lancée alors que j’étais au fond du trou. C’était tellement pervers. Puis je l’ai beaucoup aimée car j’ai eu envie de faire l’éloge de la fragilité dans ce livre. C’est dans la découverte de cette fragilité que j’ai découvert mon humanité. Au début, Clotilde, l’héroïne, était une sorte de super-héros. Désormais, pour moi, cette fragilité est une force.

Après la réflexion de trop, ça a été le burnout. Plus possible de vous lever. Vous avez littéralement eu l’impression d’être écrasée ?

Kikka : Oui, comme si un 38 tonnes venait de me rouler dessus. Même lever une paupière était difficile. Aujourd’hui, je vois cela comme une chance, comme un disjoncteur du corps qui se met en position de sécurité car le mental a trop pris le dessus et repoussé les limites.

Combien de temps a duré cet état de sidération, et pourquoi avez-vous eu envie d’aller à la clinique ?

Kikka : Cela a duré plusieurs mois. Puis les problèmes arrivent en cascade, notamment financiers, alors il faut se poser pour réfléchir. Personnellement, j’avais envie d’aller tout de suite dans une structure mais on me l’avait déconseillé, notamment car il n’existe pas de structure dédiée au sein des hôpitaux, et que j’allais être confrontée à d’autres pathologies qui pourraient avoir un effet miroir sur moi. J’ai finalement trouvé une clinique, mais chacun peut se retrouver dans une maison de repos, un lieu de ressourcement, un refuge. Pour moi, cette pause a été essentielle car pour m’en sortir, il fallait que je comprenne. C’était aussi une manière de me protéger tout au long de la procédure juridique avec mon ancien employeur. J’avais atteint mes limites.

Dans ce roman inspiré de son histoire personnelle, Kikka raconte sa descente aux enfers alors qu’elle devient la proie d’un harceleur au travail. Directrice commerciale surinvestie et ultra-performante, elle tente de se plier à toutes les exigences de son supérieur jusqu’à y laisser sa santé physique et mentale, sombrant dans un violent burnout. Epreuve dont elle sort aujourd’hui grandie et qu’elle désire partager à travers un éloge de la fragilité profondément universel.
Dans ce roman inspiré de son histoire personnelle, Kikka raconte sa descente aux enfers alors qu’elle devient la proie d’un harceleur au travail. Directrice commerciale surinvestie et ultra-performante, elle tente de se plier à toutes les exigences de son supérieur jusqu’à y laisser sa santé physique et mentale, sombrant dans un violent burnout. Epreuve dont elle sort aujourd’hui grandie et qu’elle désire partager à travers un éloge de la fragilité profondément universel.

Votre mal-être est allé jusqu’à des bouffées délirantes traumatiques, que vous perceviez comme des cauchemars mettant en scène votre ancien supérieur. Vous avez eu l’impression de devenir folle ?

Kikka : Aujourd’hui, je peux dire que ce qui est arrivé est fantastique. Je me suis reconnectée à moi-même et j’ai beaucoup grandi. Mais ça, on ne peut pas l’entendre tant qu’on est plongé dans le noir et qu’on ne voit pas la lumière au bout du tunnel.

Vous avez rencontré un médecin du travail alors que vous étiez victime de harcèlement. Pensez-vous que la place de ces médecins soit suffisamment importante dans ce type de situation ?

Kikka : Je pense que nous ne nous rendons pas compte de ce qu’un médecin du travail peut faire pour nous aider. Et puis on n’a pas forcément tout de suite confiance. Pourtant, de mon côté, cela a été bénéfique. Je plaide aussi pour une plus grande reconnaissance des psychologues du travail. En tant que spécialistes du travail, ils nous permettent de comprendre que c’est avant tout le geste travail qui a été abîmé, et pas nos valeurs profondes.

Lors de votre séjour en clinique, vous avez commencé à pratiquer l’écriture thérapeutique. Cela a finalement été votre voie de sortie ?

Kikka : Au début, j’étais frileuse, c’était une demande du psychiatre. Mais cela a été un réel vecteur de retour à moi. Dans l’écriture, on est vraiment soi, alors qu’en société, on est toujours en train de s’adapter. Cela m’a permis de commencer à me détacher et d’aller en profondeur dans la compréhension des émotions qui me traversaient. Et puis il y a eu ma famille et la foi.  

Vous êtes finalement passée par la voie juridique avec votre ancien employeur ?

Kikka : Pour moi, la démission est une nouvelle punition, car un démissionnaire n’a aucun droit. Je suis donc allée aux Prud’Hommes puis l’entreprise a voulu négocier à la baisse. Elle est allée jusqu’à faire écrire de fausses lettres à mes anciens collaborateurs pour leur faire dire que c’était moi qui les harcelais. Il faut savoir que globalement, c’est difficile d’aller au pénal car il faut déployer beaucoup d’argent et d’énergie dans un combat que l’on ne va pas forcément gagner. A la fin du livre, je retourne dans l’entreprise pour faire face à cet homme et cela m’a permis de guérir. Cet ouvrage n’est pas fait pour dénoncer une personne en particulier, mais bien tout un système puisque tous les échelons de l’entreprise sont concernés. J’aimerais que toutes les personnes qui désirent incarner un changement pour l’entreprise de demain puissent s’appuyer sur mon témoignage. Je suis convaincue que nous avons les entreprises que nous méritons. 

Aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Kikka : D’un point de vue juridique, nous ne sommes pas allés jusqu’au bout et j’ai réussi à retrouver ma dignité à travers un accord convenable. J’en ressors même grandie. Il est essentiel de se souvenir que nos valeurs ne nous quittent pas même quand on nous fait douter. Ce livre est un message d’espoir. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir vivre ma vie et m’occuper de moi. Je ne ressens donc pas le besoin de retourner en entreprise. Mais je n’y suis pas opposée. Il sera alors avant tout question d’humanité.

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

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