Pour Ilona Boniwell, «l’important dans la résilience c’est la flexibilité »

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Ilona Boniwell, l’une des fondatrices de la psychologie positive en Europe et directrice de Positran, nous propose des outils pour faire face à la crise actuelle.

Comment analysez-vous cette crise et quels outils de la psychologie positive pourraient nous aider à nous relever individuellement et collectivement ? 

Je pense que cette crise peut être décrite par l’acronyme anglais VUCA, acronyme qui est utilisé dans le business depuis les années 90, composée de quatre éléments : la volatilité, l’incertitude (uncertainty en anglais), la complexité et l’ambiguïté. Cela décrit très bien ce qu’il se passe dans la société actuellement et dans le monde du business depuis la crise du coronavirus. La volatilité s’apparente à la vitesse du changement ; le monde change de plus en plus vite, tout le temps, les choses ne durent pas. L’incertitude fait référence aux nombreuses interrogations actuelles dû au fait qu’on ne puisse pas se projeter.

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Les entrepreneurs ne peuvent pas anticiper ce qu’il va se passer en terme de chiffre d’affaire ou concernant le cadre légal. Ceux qui voient une augmentation de demande avec la crise ne savent pas si cette demande sera durable. La situation actuelle est aussi complexe. Il  y a tellement de facteurs à prendre en compte que cela rend la prise de décisions difficile. Et cette complexité crée beaucoup d’ambiguïté, le contexte lui-même n’est pas clair. On n’a toujours pas de certitudes par rapport au virus et à ses conséquences. 

La psychologie positive prône une approche par la résilience pour faire face à ces changements. Même s’il est un élément important, le bonheur ne semble pas être d’actualité. Cela parait  hors sujet compte-tenu de la situation, surtout dans le monde du business. On se demande plutôt si notre business va survivre, si on va réussir à rebondir. Il faut aussi se baser sur les forces et s’interroger sur ce qui, en nous, va nous permettre de faire face à ces difficultés qu’on doit traverser. 

Comment définiriez-vous le concept de résilience?

En France, on voit la résilience comme la capacité à rebondir après quelque chose de très traumatique. Alors qu’une approche anglo-saxonne voit la résilience comme la capacité à rebondir au quotidien et comme notre capacité à maîtriser nos réactions face à l’adversité. On parle plutôt de défis quotidiens, des difficultés normales de la vie. Par exemple, faire du télétravail tout en gardant ses enfants et en suivant leur devoirs demande déjà de la résilience. L’approche anglo-saxonne normalise le concept de résilience et le transforme en un outil à développer au quotidien. 

La résilience est aussi quelque chose qui s’apprend et c’est ce que nous proposons avec notre parcours SPARK résilience. Un des facteurs clés qui va nous aider à devenir plus résilients c’est la  flexibilité de perception. Par exemple si vous pensez que votre business va s’effondrer, que vous n’allez pas vous en sortir, même si cette possibilité existe, si vous mettez les choses en place, si vous saisissez de nouvelles opportunités peut-être que vous pourriez changer votre business-model, votre manière d’appréhender les choses et trouver une solution plus adaptée à la situation actuelle.

L’important dans la résilience ce n’est pas tant la positivité mais plutôt la flexibilité. Il ne faut pas rester coincé dans un même état d’esprit. Il y a aussi des stratégies affectives qu’on peut mettre en place par exemple utiliser la pleine-conscience, faire du sport, car cela nous aide à maitriser nos émotions,  nommer ses émotions et créer des connexions sociales. Toutes ces stratégies nous permettent de développer notre résilience. 

Cette crise sanitaire va se transformer en crise sociale et économique, comment peut-on faire de cette destruction, une force créatrice ?

Il faut en effet apprendre à intégrer les difficultés traversées et à les transformer en une opportunité pour changer notre vision des choses.  Je vais prendre l’exemple du Kintsugi, l’art japonais qui consiste à réparer les objets cassés en les recollant et en soulignant leurs jointures à la poudre d’or. En effet, si un vase se casse, notre première réaction peut être de recoller les morceaux pour essayer d’obtenir un objet similaire à celui d’avant. Je pense que ce n’est pas la bonne chose à faire.

L’autre réaction va être de retrouver les morceaux et d’essayer de construire à partir de ces anciens morceaux, quelque chose de différent, qui n’existait pas, quelque chose qui, finalement, pourrait être plus beau qu’au départ. Je pense qu’après une crise il ne faut pas s’accrocher à notre vision de la vie comme elle était avant. Donc oui je pense que la destruction peut devenir source de création mais bien sûr cela demande beaucoup de réflexion, de travail sur soi, de flexibilité et de capacité à gérer ses émotions les plus profondes. 

Infirmières, caissières, aides-soignantes… les corps de métiers les plus mobilisés et exploités en ce moment sont souvent assignés aux femmes et aux groupes les plus défavorisés de la population. Comment ré-inculquer le souci de l’autre et le retour à une éthique du « care » dans la société française ? 

En effet, les métiers les plus mobilisés sont précisément les métiers qui ne sont pas valorisés. Pour moi, ce qui se passe actuellement met en lumière l’importance des métiers professionnels, ceux où l’on produit concrètement quelque chose et qui sont indispensables au bon fonctionnement de la société. Au-delà de la reconnaissance de ces métiers, il faut surtout investir dans ceux-ci. Concernant l’éthique du care, je pense que si on travaille 15 heures par jour, on n’a plus le temps de prendre soin ni de soi ni de ses enfants, ni de ses proches et le care devient quelque chose d’administré par quelqu’un d’autre. Donc je pense que le bénéfice de cette crise a été de mettre en valeur les métiers du soin et l’importance de s’accorder du temps pour prendre soin de soi et des autres au quotidien.

En tant que spécialiste du bonheur, comment développer un bien-être collectif face à la crise de confiance qui apparaît dans certains pays, dont le nôtre ?  

Je pense que le climat de confiance  est une des composantes les plus importantes du bien-être collectif. En général, les sociétés les plus heureuses sont les sociétés où la confiance entre les personnes est développée comme en Islande, au Danemark, en Suède, au Canada.  Dans ces pays, la confiance collective devient une base pour le bien-être collectif. On peut évoquer trois composantes nécessaires au développement de cette confiance collective :  l’authenticité, l’empathie et la logique.

Ces trois aspects peuvent s’appliquer au niveau social, individuel et entrepreneurial. En entreprise par exemple, l’employeur se doit d’être authentique et honnête dans sa communication avec ses employés même si la situation est floue et qu’il ou elle ne peut pas assurer la survie de l’entreprise. Il faut aussi de l’empathie envers les employés, prendre en compte leurs questionnements, leurs peurs, leurs incertitudes. Et il faut enfin se demander quelles sont les actions les plus logiques à mettre en place pour transformer l’entreprise, pour s’adapter à la crise. 

Et au niveau politique ? Pensez-vous que les français ont confiance en leur gouvernement ?

En France je trouve qu’il y a beaucoup de séparation entre le gouvernement et les citoyens : c’est eux et nous. Je pense qu’il faut essayer d’aller vers un discours où l’on parle avec le « nous », parler de « notre pays ». On observe au niveau psychologique que, dans les pays où la confiance collective est développée, les citoyens s’approprient beaucoup plus le pays, ils ne se séparent pas du gouvernement.

Je pense que le discours de résilience peut aider à arriver à cela puisque c’est un discours qui met en avant notre capacité à rebondir ensemble, à trouver des solutions ensemble pour transformer la société. Le plus on réfléchit ensemble, le plus  on va avoir cette capacité à rebondir. À chacun de nous de proposer une définition de la résilience. Ce n’est pas uniquement au gouvernement de le faire, c’est une tâche collective. 

Compte-tenu de votre implication dans l’éducation, quelles conséquences positives pourrait-on tirer de cette crise concernant l’enseignement et l’apprentissage ?

Une chose que nous avons appris, c’est que nous n’étions pas prêts ! Mais on a aussi appris qu’enseigner à distance c’était possible et même plus faisable qu’on ne le pensait. Personnellement, cela a été un énorme apprentissage pour moi qui croyais vraiment que ce n’était pas possible de transformer nos programmes au format digital. J’étais contre cette idée au départ. Et finalement en trois semaines, on a réussi à transformer notre entreprise de formation dans son ensemble en format digital.

Cette crise nous montre qu’on a besoin de développer davantage la créativité dans le système éducatif que ce soit à l’école, à l’université, au sein des formations et du coaching. Il faut prôner la prise de risques et l’expérimentation pour arriver à rendre le contenu intéressant et captivant même à distance.

Une autre conséquence positive de cette crise a été de mettre en avant le fait que nous devions développer, en tant qu’enseignant, nos compétences psycho-sociales.  On doit prendre en compte les besoins des personnes, que nous formons, leurs envies, leurs peurs car le digital peut faire apparaitre de nouvelles angoisses. Il faut réussir à motiver la personne en face de nous en prenant en compte ses émotions. Cette crise a mis en lumière l’importance de l’intégration d’une dimension psychologique dans l’enseignement.

Cette crise ne signe-t-elle pas la remise en cause d’une certaine forme de leadership à la fois sur le plan politique que dans la sphère économique ? Quel nouveau type de leadership doit émerger selon vous ? 

Je pense qu’en situation de crise, l’idée d’un leadership adaptable est importante. C’est un type de leadership où les personnes sont capables de gérer une situation de changement. Les quatre caractéristiques qui sont primordiales pour ce nouveau type de leadership sont  la vision, la compréhension (understanding en anglais), la connexion, et l’agilité.

Dans une situation de crise, il nous faut des leaders capables de donner une vision claire à travers le story-telling, les métaphores, une vision qui inspire les gens. Un autre élément indispensable actuellement c’est la flexibilité de compréhension, c’est-à-dire être prêt à changer et à s’adapter aux circonstances et essayer de prendre en compte le plus de facteurs possibles lors de nos prises de décisions.

L’idée de connexion montre que l’on doit développer de l’empathie pour les autres. Ce n’est qu’en connexion avec les autres, avec les membres d’une équipe, avec nos collègues que nous pouvons construire quelque chose. L’intelligence collective joue un rôle très important dans ce nouveau mode de leadership. Et enfin il faut de l’agilité au niveau émotionnel et au niveau des actions, une agilité qui va nécessiter beaucoup de créativité. L’agilité est indispensable dans la situation actuelle, au cours de laquelle les leaders doivent constamment trouver de nouvelles solutions. Ces quatre caractéristiques sont les outils nécessaires pour répondre aux quatre précédentes (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté) et donc pour répondre, je pense, à la situation de crise que nous traversons. 

Propos recueillis par Amélie Tresfels

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