« Tu ne sais jamais à quel point tu es fort, jusqu’au jour où être fort reste ta seule option », Bob Marley. C’est avec cette citation que Dorothée Leurent, auteure de l’ouvrage « Les chemins de la résilience », débute notre entretien. Meurtrie par le décès de son fils à l’âge de 29 ans, cette ancienne journaliste reconvertie dans la publicité après son mariage avec Jacques Séguéla, a su embrasser à nouveau la vie. Après un premier livre dans lequel elle raconte sa renaissance lors d’un séjour dans un ashram en Inde, elle relate ici les parcours tourmentés de personnalités ayant elles-aussi été confrontées au deuil. De riches enseignements qu’elle désire partager pour aider chacun à dompter les coups de la vie.
Dans « Les chemins de la résilience », vous avez convoqué le témoignage de personnalités touchantes comme Patrick Chesnais, Nadine Trintignant, Stéphanie Fugain… Pourquoi avoir eu envie de leur donner la parole ?
Dorothée Leurent : Je voulais écrire depuis longtemps un livre sur ces premiers pas vers la vie. Comme le démontre Boris Cyrulnik, la résilience, ce n’est pas la résistance. C’est une agonie psychique que l’on connaît lors d’un traumatisme comme un deuil, mais pas que. Il peut s’agir d’un divorce, un licenciement difficile etc. Mais après cette agonie, la vie revient tout à coup à travers des instants de joie. C’est ce qui m’est arrivé alors que j’étais anéantie. Avec ce témoignage, j’espère que les personnes dans la douleur se sentiront moins seules. On n’imagine pas que des personnalités comme John Travolta ou Pierce Brosnan ont traversé de telles épreuves. Ou encore Victor Hugo qui a connu une vie de gloire et de peines immenses.

C’est notamment une interview de France Gall en 2017 qui vous a donné le déclic ?
Dorothée Leurent : Oui, dans cette interview elle disait : « Je n’ai jamais été aussi heureuse ». Cela m’a frappée sachant qu’elle a perdu sa fille, son mari, son père et a affronté un cancer du sein. J’ai donc décidé de contacter d’autres personnalités qui comme elle se sont transformées à l’image de Stéphanie Fugain qui est aujourd’hui capable de dire « merci Laurette », ou encore Albina de Boisrouvray, qui est devenue une réalité augmentée d’elle-même à travers son association qui lutte contre la pauvreté dans le monde. Je pense que c’est cela la résilience : éclater en mille morceaux puis les rassembler pour aller plus loin comme dans le kintsugi. Cet art japonais vise à réparer la porcelaine de la manière la plus poétique possible, en insérant de la laque de poudre d’or dans les fissures. Au final, cela donne une œuvre différente et encore plus belle. Et bien c’est pareil pour les humains. J’aime beaucoup cette interview de Christophe André qui parle des humains cabossés, qui se sont relevés, n’ont gardé aucune amertume et sont entrés dans une autre dimension.
Dans votre livre, vous parlez aussi de ceux qui ne veulent pas se transformer…
Dorothée Leurent : Pour se transformer, il faut dire oui aux appels de la vie. Et pour certains, c’est impossible comme ce fut le cas pour Romy Schneider qui ne voulait plus de cette existence, ou encore Jean-Louis Trintignant qui n’a pas voulu passer de la « mémoire souffrante » à la « mémoire de la souffrance » si l’on reprend les termes du psychiatre Jacques Lecomte. J’ai beaucoup de respect et d’amour pour ces personnalités. On a le droit de ne pas être d’accord et de vouloir mourir.
Le témoignage de Patrick Chesnais à cet égard est particulièrement touchant quand il dit : « Je n’emploie pas la mort de mon fils pour me sanctifier, me grandir. Parce que je ne veux pas qu’elle me serve ». Comment ces propos ont raisonné chez vous ?
Dorothée Leurent : Patrick Chesnais ne s’est pas transformé mais il a fait quelque chose de ce deuil, à commencer par une association qui lutte contre l’alcool au volant. A titre personnel, il s’est construit un monde avec Ferdinand, et un monde sans Ferdinand. Le monde sans Ferdinand est constitué de rites : l’anniversaire de son fils avec ses copains, des petits drapeaux sur sa tombe les jours de matchs de football… Et il y a le monde parallèle avec Ferdinand dans lequel il est en paix, un monde spirituel loin des fatras de la vie et qui lui apporte du réconfort. Un peu comme Victor Hugo qui naviguait d’un monde à l’autre.
Accueillir ces petits moments de « grâce » dont vous parlez dans le livre, c’est aussi accepter que son « moi » d’avant est mort à tout jamais, car le monde ne sera plus jamais pareil ?
Dorothée Leurent : Albert Moukheiber, chercheur en neurosciences, a dit des choses très pertinentes sur le sujet. Lors de notre entretien, il m’expliquait que le cerveau a ses habitudes, et que cela est essentiel pour lier des relations fortes avec les autres. Mais cela signifie aussi qu’il met du temps à se dire qu’il n’est plus père, mari, PDG… Alors, face à un traumatisme, soit on reste dans la résistance et on ne va jamais dans la chambre noire avec le risque d’exploser, soit on accepte sa souffrance et on la transforme en autre chose. Pour en revenir à France Gall, c’est en se retrouvant seule qu’elle a eu l’opportunité de monter un projet toute seule pour la première fois de sa vie avec son opéra rock. D’un coup, elle s’est sentie exister. C’est aussi ce que j’ai éprouvé lors de la sortie de mon premier livre. Comme si j’allais là où la vie me demandait d’aller. C’est ce que Paulo Coelho décrit comme « accomplir sa légende personnelle ». Quand on perd tous ses repères, il faut forcément trouver un nouveau chemin. Et la vie va se charger d’apporter de nouvelles opportunités que l’on choisira de saisir ou pas.
Croyez-vous donc que nous avons tous le pouvoir de devenir résilients ?
Dorothée Leurent : Je crois que nous avons tous des gènes de résilience, mais qu’à un moment, nous décidons de les activer ou non. La résilience est un apprentissage de la vie. L’étude d’Emmy Werner, la mère de la résilience, a ainsi démontré que sur 200 enfants abandonnés qui vivaient dans la rue, 70 s’en sortaient parce qu’ils avaient saisi des opportunités. Par exemple, une femme venait leur apprendre la lecture dans une petite cour. On a découvert que pour développer une forme de résilience dès l’enfance, il faut tout de même bénéficier de deux ingrédients : la loi (un cadre qui soit un minimum structuré), et l’amour (estime de soi). Ces deux choses permettent ensuite d’aller vers le sens (trouver du sens à son manque de repère).
Vous insistez aussi sur l’importance des tuteurs de résilience ?
Dorothée Leurent : Effectivement, certaines personnes ne peuvent pas s’en sortir seules et ont besoin qu’on leur tende la main. Par exemple, Albina du Boisrouvray raconte que c’est Bernard Kouchner qui est venu la chercher et ne lui a pas laissé le choix en l’emmenant en mission humanitaire au Liban. C’est comme cela qu’elle a retrouvé peu à peu une place dans le monde. De mon côté, ce sont les éclairs de joie ressentis dans des choses très simples qui m’ont permis de me réinstaller dans la vie. Je ne les attendais pas, ils m’ont surprise. Pour ma part, je crois qu’il faut accepter d’être dans le courant de l’univers. Il nous porte et les grâces arrivent. Maintenant, je savoure encore plus qu’avant ces moments de joie. Bien sûr, il y a des jours où je retourne dans la chambre noire, comme à Noël ou le jour de la fête des mères. La résilience, c’est un long parcours.
En lisant votre ouvrage, on a l’impression que la résilience est une forme d’énergie, un amour de la vie envers et contre tout. Mais en cela, elle est aussi fragile. Et parfois, on atteint un seuil de rupture ?
Dorothée Leurent : Les résilients sont plus forts car ils savent qu’ils peuvent résister à des chocs énormes. Mais ils sont aussi plus faibles car ils ont une cicatrice qui peut se rouvrir à n’importe quel moment. Parfois pour des choses qui semblent insignifiantes comme une contravention injuste, la trahison d’une amie. Cela n’a rien à voir avec ce qu’ils ont vécu mais leur force diminue et ils en arrivent au découragement. Une célèbre parabole raconte que l’instrument préféré du diable est justement le découragement. Albert Moukheiber explique que nous n’avons aucune prise sur notre première pensée : « je suis découragé », mais que par contre, nous pouvons agir sur la seconde : « je sais que je vais rebondir, il faut juste que je me laisse du temps ». Personnellement, il y a des jours où je me sens très mal. Dans ce cas, je me dis simplement que c’est normal, que j’ai le droit et que ça finira par aller mieux.
Pour terminer, quel serait l’unique message que vous souhaiteriez transmettre à travers cette interview ?
Dorothée Leurent : L’univers place des petits cailloux blancs sur le chemin, et je suis surprise que les gens ne les voient pas. J’ai un bocal à papillon dans lequel je mets des post’it de ce qui m’arrive de bien. Il est rempli à ras bord. Chacun est libre d’ignorer ou non ces petits cailloux, mais sachez juste qu’ils existent et que le jour où vous en aurez la force, vous pourrez les ramasser. Je crois qu’il suffit parfois de peu de choses pour que la vie change.
Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola
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