Muriel Mayette-Holtz ou la Comédie d’une vie

Muriel Mayette-Holtz ou la Comédie d’une vie
Depuis Molière, elle est la 477ème sociétaire du théâtre de Louis XIV, mais l’unique femme à en avoir conquis le plus haut poste.

Muriel Mayette-Holtz, amoureuse des planches et des belles-lettres, est depuis 2006 l’administratrice générale de la Comédie-Française. Un titre convoité, cible parfois des critiques. Pas de quoi pour autant empiéter sur la passion de cette comédienne-née : avec sa troupe, elle met en scène La Maladie de la Mort, à découvrir à partir du 15 janvier. Rencontre dans son bureau place Colette.

Comment est née votre passion pour le théâtre ?

Muriel Mayette : Je n’ai pas choisi ma passion, c’est l’inverse ! C’est quelque chose de magnifique mais en même temps de très lourd. La passion est une aiguille qui oriente une vie, qui nous guide mais qui peut parfois aussi nous absorber complètement. Ainsi, je ne me suis jamais dit : « Tiens, je vais être actrice ». Je n’ai jamais su faire autre chose. J’ai commencé le théâtre à l’école, à l’âge de 14 ans. J’étais scolarisée à Versailles. A l’époque, nous avions la possibilité de donner des représentations au Théâtre Montansier. J’y ai notamment joué l’infante du Cid, rôle qui débute par : « Page, allez avertir Chimène de ma part/Qu’aujourd’hui pour me voir elle attend un peu tard ». Lorsque mes parents m’ont vue  sur scène, ils se sont dit : « Flûte, le théâtre va être incontournable ». J’ai ensuite passé le concours de “la rue Blanche”, en cachette et avec une dérogation car je n’avais pas encore 18 ans. J’ai été reçue. Mes parents m’ont autorisée à suivre cette formation à condition que je termine le lycée. J’ai donc passé mon bac par correspondance, en même temps que le Conservatoire.

Vous entrez au Conservatoire à 18 ans. L’un de vos professeurs vous place alors dans la catégorie « comique ». Cela vous a-t-il fait plaisir ?

Muriel Mayette : A l’époque, c’était terrible ! En France, on a cette idée que ce qui est drôle est suspect, plus facile ou léger. Tout cela est entièrement faux car faire rire un public est ce qu’il y a de plus compliqué. Mais à 18 ans, je ne voulais pas être comique, mon rêve était d’être une grande tragédienne. Du coup, lorsque l’on m’a informée que j’étais douée pour faire rire, je l’ai très mal pris. Mais aujourd’hui, je considère que c’est un grand compliment car tout le monde n’en est pas capable. D’ailleurs, lorsque j’ai monté mes premiers spectacles, il s’agissait de numéros de clown !

Vous devenez pensionnaire de la Comédie-Française à 20 ans. Est-ce le rêve ultime de tout comédien de rentrer au “Français” ?

Muriel Mayette : Aujourd’hui oui ! Je le constate car les acteurs se bousculent pour intégrer la troupe. Mais à l’époque où je suis rentrée, la Comédie était considérée comme une institution conservatrice, manquant de projets et de modernité. Pas mal d’amis m’ont alors tourné le dos car ils estimaient mon parcours un peu trop attendu. Pour ma part, j’ai choisi de devenir pensionnaire car le plus important à mes yeux était de jouer. Le théâtre est un artisanat qui s’apprend en se pratiquant. J’ai interprété tout Molière et cela m’a beaucoup formée.  

Qu’est-ce qui vous émerveille tant dans le théâtre ?

Muriel Mayette : Le rêve éveillé, la magie partagée. Lorsque l’on est sur scène, on échange avec l’autre. C’est un art de l’ensemble : l’un regarde, l’autre agit. Cette interaction suspend le temps pendant les quelques heures durant lesquelles le rideau est levé. Le jeu permet de vivre à travers les œuvres des poètes, des auteurs.

Il y a une femme que j’admire beaucoup : Charlotte Delbo. Elle a été résistante et a fait partie des femmes déportées à Auschwitz. En revenant, elle a raconté avoir monté une représentation du Malade imaginaire au milieu du camp ! Dans l’horreur de leur situation, ses camarades déportées et elle ont essayé pendant des jours de se remémorer les répliques de la pièce de Molière. Puis, elles sont parvenues à donner une représentation. Pourquoi ? Car, a expliqué Charlotte Delbo, deux heures durant, alors que les fours continuaient de brûler de la chair vivante, elles ont cru à leur liberté. Ça sert à ça le théâtre.

Vous avez été nommée en 2006 administratrice générale de la Comédie-Française. Vous êtes la première femme à occuper ce poste. Il était temps !

Muriel Mayette : Il était temps, je suis d’accord ! C’est le président de la République qui nomme l’administrateur général en Conseil des ministres, sur proposition du ministre de la Culture. En 2006, c’est Renaud Donnedieu de Vabres qui a soumis mon nom à Jacques Chirac. Puis, Frédéric Mitterrand, sous Nicolas Sarkozy, a renouvelé mon mandat. En prenant mes fonctions, j’ai découvert à quel point la France était en retard sur la question de l’égalité homme-femme, combien on avait encore du mal à accepter la présence de femmes à des postes à responsabilités. Je suis administratrice depuis presque huit ans maintenant et l’on continue de me demander : « Qu’est-ce que ça vous fait d’être la première femme ? » J’ai toujours envie de répondre : « Rien, c’est normal ». Je me rends compte que certaines attitudes sont très machistes en France, a fortiori à un poste de pouvoir très convoité.

Etes-vous parvenue à vous blinder contre les critiques avec le temps ?

Muriel Mayette : Surtout pas ! Je ne veux pas devenir quelqu’un d’autre. Puis, on ne s’habitue pas à la méchanceté. J’en souffre parfois mais je ne m’y arrête pas. Le jour où j’aurai une miette de cœur en moins, je m’en irai.

Lorsque vous avez pris vos fonctions, vous vous faisiez appeler « Madame l’administrateur général ». Puis, vous avez opté pour « Madame l’administratrice générale ». Pourquoi avoir décidé, en cours de route, de féminiser votre titre ?

Muriel Mayette : Lorsque j’ai été nommée, tout a été très rapide. Et puis, à l’Académie française, on vous explique qu’il faut distinguer la fonction de la personne. Du coup, j’ai penché pour « Madame l’administrateur ». Mais en évoquant le sujet, notamment avec Gisèle Halimi, il m’est apparu normal de féminiser mon titre. Au fond, c’était aussi un moyen de lutter contre la violence qui me tombait dessus et d’apparaître légitime. Le jour où l’on a dit « étudiante », il est devenu normal que les femmes étudient !

Quelles sont vos prérogatives en tant qu’administratrice générale ?

Muriel Mayette : Je suis d’abord chef d’entreprise, un rôle beaucoup plus proche du métier de metteur en scène que de celui d’actrice ! Je dirige 450 personnes avec un directeur général, qui m’aide d’un point de vue budgétaire. Je m’occupe de toute la programmation : à peu près trente spectacles par an. On donne environ 850 représentations sur une saison, dont une centaine de dates en tournée. Récemment, nous étions à Buenos Aires pour Le Jeu de l’Amour et du Hasard. J’estime qu’une partie de la mission de service public qui m’incombe consiste à faire rayonner mon pays à l’étranger. Grâce au Malade Imaginaire, nous avons remporté un prix au festival Juste pour Rire à Montréal, en 2008. Nous sommes allés en Chine pour la première fois en 2011. Le public a ri aux éclats devant les scènes de Molière !

Des centaines de représentations sont ainsi données chaque année au sein de la Comédie-Française, pour un total de 63 comédiens. Vous êtes donc représentés par une ruche !

Muriel Mayette : Oui, car tous les acteurs sont réunis dans leurs différences : différence des générations, différence d’histoires, différence de styles, etc. Ils ne s’agrègent pas autour d’une seule et unique personnalité artistique. Ainsi, notre devise est “simul et singulis” : « ensemble et chacun en particulier ». L’idée est d’aller chercher l’excellence à l’extérieur pour produire le meilleur miel !

Vous êtes la première à avoir fait entrer un texte de langue arabe au répertoire de la Comédie-Française. Pourquoi ce choix ?

Muriel Mayette : Prenez le répertoire russe par exemple. Il n’est rentré à la Comédie qu’en 1954 alors qu’aujourd’hui il nous semble incontournable ! Jouer un Tchekhov nous paraît très spontané. A l’heure où l’on peut faire le tour de la planète en moins de deux jours, il est important de représenter le monde dans sa diversité. Ainsi, jouer un texte de langue arabe à la Comédie-Française, alors que l’on est tellement parano et que l’on a tendance à tout mélanger, revêt une importance toute particulière.

J’ai ainsi choisi de programmer en 2013 Rituel pour une Métamorphose de Saadallah Wannous, un auteur syrien aujourd’hui décédé. La pièce parle d’une jeune femme qui se considère plus libre en étant prostituée que mariée. Le thème est très polémique ! On peut tenter de faire un parallèle avec L’Ecole des Femmes. Molière s’est mis des congrégations à dos, Saadallah Wannous, aussi. Ces deux auteurs ont des points communs. De là, on peut considérer que nous ne sommes pas si différents ! Le jeune public a été très réceptif à cette pièce, les habitués, un peu bousculés…

Vous œuvrez à la promotion des femmes « metteuses en scène ». Pourquoi sont-elles moins nombreuses que les hommes ?

Muriel Mayette : Les femmes n’ont globalement pas eu l’opportunité d’accéder à ce type de postes car les hommes ont pris toute la place. Sans effort volontaire, nous ne parviendrons pas à égaliser les choses. Dans le théâtre, les femmes sont confrontées à une autre réalité : dans les répertoires classique et contemporain, il y a dix fois plus de rôles d’hommes que de rôles de femmes. Dans une pièce de Molière par exemple, il y a la jeune première et la nounou. Chez Shakespeare, la reine et, de nouveau, la jeune première. Je fais très attention à ce que toutes les femmes aient au moins une création dans l’année. Ce n’est pas toujours facile !

En ce début d’année, vous mettez en scène Le Songe d’une Nuit d’Eté de William Shakespeare (en février) ainsi que La Maladie de la Mortde Marguerite Duras, à partir du 15 janvier. Comment cela s’articule-t-il avec votre fonction d’administratrice générale ?

Je dirige cette maison comme un metteur en scène. Si je n’avais plus de rapport avec la scène, je deviendrais une directrice sèche. Mes journées sont donc d’une amplitude délirante : je commence le matin très tôt et je finis très tard, le théâtre se jouant à partir de 20h.

Remonterez-vous sur scène un jour ?

Muriel Mayette : Bien sûr ! D’ailleurs, je n’hésite pas à le faire s’il y a un pépin. Par exemple, si une actrice n’est pas disponible et que je connais sa partition, je la remplace. Si on m’annonce à 18h qu’elle n’est pas là, je suis sur scène à 20h30.

Jacqueline Maillan est montée sur scène quatre jours après le décès de son mari. Un comédien doit-il jouer quoi qu’il arrive ?

Muriel Mayette : Mais bien sûr ! Je l’ai fait, on l’a tous fait ! Le théâtre est un espace sacré. D’autre part, si l’on ne se remet pas à jouer tout de suite, pourquoi remonter sur scène deux semaines plus tard ? Le chagrin n’est pas ponctuel. Nous jouons les jours où nous sommes malades, où nous avons mal à la tête, la jambe cassée… Il faut vraiment être au bord de la mort pour ne pas jouer. Pour moi, la chose la plus grave serait de rater une représentation. Evidemment, cela est très compliqué à comprendre pour les gens de l’extérieur !

A l’ère du numérique, comment appréhendez-vous l’avenir du théâtre ?

Muriel Mayette : A mon sens, plus le numérique gagnera du terrain, plus nous aurons besoin d’aller au théâtre pour voir de vraies personnes interagir. Nous aurons toujours besoin d’être ensemble, de rire…

En revanche, il est important de s’adapter aux changements. J’ai fait venir sur scène des marionnettes, de la musique. Nous faisons désormais des cabarets, quasiment toute la troupe chante. Je collabore même avec des cinéastes. Le théâtre doit continuer d’ouvrir ses portes sur le mouvement du monde.

Comptez-vous être candidate à votre propre succession l’année prochaine ?

Muriel Mayette : J’aimerais beaucoup continuer, ce serait mon dernier mandat.

Claire Bauchart

 

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