« Management bonsaï ? » : Comment libérer le potentiel de vos équipes ?

management bonsaï

Florence Marty, experte des Ressources Humaines et auteure de En finir avec le management bonsaï (Ed. Eyrolles), pose un regard critique sur un mode de gestion souvent trop rigide qui limite la croissance des collaborateurs, à l’image des arbres miniatures soigneusement taillés par leurs maîtres. À travers cette interview, elle partage ses observations sur les effets néfastes de cette approche managériale et offre des pistes concrètes pour libérer les potentiels et redynamiser les équipes.

Pouvez-vous expliquer le concept de « management bonsaï » et pourquoi il est problématique selon vous ?

En finir avec le management bonsaï – Florence Marty (Ed. Eyrolles)

Florence Marty : Le « management bonsaï » consiste à adopter un style de management inadapté et trop contraignant pour ses collaborateurs. À la façon d’un bonsaika, le manager crée un cadre d’action restreint, et freine, consciemment ou non, la progression des collaborateurs qui auraient pu avoir le potentiel pour s’épanouir pleinement, tel un arbre majestueux, s’ils avaient été mieux accompagner. Malheureusement, ils finiront par se « bonsaïser », incapables de véritablement grandir dans cet environnement beaucoup trop contraint. Ici, le manager ne parvient pas à s’adapter à son équipe, il manage pour lui ou dans des croyances qui sont limitantes pour les autres.

Dans ce schéma, tout le monde est perdant. À terme, les salariés finissent par se désengager purement et simplement de leur mission, n’osant plus prendre la moindre initiative. Ils attendent qu’on leur dise quoi faire. Les managers, eux, se plaignent souvent d’équipes démotivées, « sous perfusion », et de devoir toujours tout expliquer sous peine d’inaction. Ce cercle vicieux de contrôle accru génère insatisfaction et baisse de performance.

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Quels sont les signes révélateurs d’un management bonsaï dans une organisation ?

Florence Marty : Dans les entreprises soumises à une forte pression réglementaire (restauration, construction, nucléaire, banque-assurance…), le risque d’instaurer une culture managériale de type bonsaï est plus élevé. La nécessité de répondre à des règles strictes, d’autant plus si elles sont légales, nécessite de mettre en place des contrôles réguliers et justifiés par la nature même de l’activité ce qui peut facilement se traduire au quotidien par du micro-management.

Aussi, dans ce type d’entreprises, comme souvent aussi dans les entreprises familiales, on retrouve un modèle de management pyramidal qui peine à évoluer vers plus d’horizontalité. Les responsabilités en cascade sont strictes, tout comme la « ligne de commandement », la moindre initiative nécessite souvent des autorisations formelles. Cela peut conduire à des dérives en management de proximité, les managers sont eux-mêmes formatés à encadrer strictement leur équipe.

Dans ces structures, le pouvoir est souvent concentré entre les mains d’un dirigeant ou d’une équipe dirigeante, ce qui renforce une culture de contrôle et d’autorité, au détriment d’une culture axée sur les compétences et la croissance professionnelle des salariés.

Les conséquences du management bonsaï sont variées et nécessitent d’être analyser finement au cas par cas, néanmoins, on peut noter :

  • Turnover important, surtout au moment de la période d’essai, les plus autonomes ne supportant pas, et à juste titre, ces modèles trop contraignants. Inversement, dans les entreprises établies, on peut constater une ancienneté excessive ce qui n’est pas bon signe non plus. Les personnes qui se développent professionnellement finissent par avoir l’envie de vivre d’autres expériences. Une ancienneté trop importante peut signifier l’absence de prise de risque professionnel dû à un manque de confiance.
  • Absence de droit à l’erreur, même si l’inverse est souvent prôné, il ne faut pas hésiter à regarder factuellement ce qui se passe et à écouter les équipes parce que le management bonsaï conduit à une insécurité dans l’équipe : peur de prendre la parole en public, de partager une opinion, de formuler une objection…
  • Dictature des chiffres et des reportings pour que le contrôle s’effectue à tous les niveaux. On met en place des reportings dans tous les sens, et on met la pression pour faire du résultat à court terme au lieu de la mettre sur le développement des compétences. Ce système organisé permet aussi de comparer les managers entre eux, et de faire jouer un esprit de compétition qui peut aggraver la situation et générer une surcharge de travail les managers.
  • Conformisme et homogénéité des équipes managériales. Pour instaurer un telle culture il faut une ligne managériale uniforme. Les entreprises vont alors choisir le même type de profils, souvent des managers motivés par la performance ou l’expertise, mais assez peu pour le développement des équipes. Il est rare qu’on choisisse les managers pour leur qualité pédagogique, leur empathie et leur capacité d’adaptation aux autres.

Comment le management bonsaï affecte-t-il l’innovation et la créativité au sein des entreprises ?

Florence Marty : Demander aux salariés d’être innovants et créatifs alors qu’ils subissent du management bonsaï, revient à demander à un artiste de peindre une toile avec les mains attachées dans le dos. C’est tout simplement incongru. L’innovation et la créativité ont besoin d’air pour respirer, d’espace pour s’épanouir et de liberté de se tromper.

Dans des environnements trop contraints, les collaborateurs font le choix de l’immobilisme qui passe inaperçu au quotidien, plutôt que de chercher à sans arrêt à s’exposer. Cela au risque de s’opposer à leur manager en prenant trop d’initiatives. Ils finissent par garder leurs idées pour eux. Qu’il s’agisse d’une innovation révolutionnaire ou d’une simple amélioration de processus, ils renoncent à se fatiguer à faire des propositions dont la grande majorité sera rejetée.

Pouvez-vous expliquer comment passer d’un management bonsaï à un management plus épanouissant et productif ?

Florence Marty : Passer d’un management bonsaï au management de l’autonomie n’est pas un processus uniforme. Cela dépend du type d’effet bonsaï en jeu et du profil du manager. Dans mon livre, j’identifie trois types d’effets bonsaï :

  • la forme sévère (le contrôlant),
  • la forme sérieuse (l’omniprésent),
  • et la forme modérée (le limitant).

Chaque forme correspond à des profils de managers variés, comme les dominants, méfiants, sauveurs, perfectionnistes ou opportunistes, pour n’en citer que quelques-uns.

La première étape nécessaire pour évoluer vers un management plus épanouissant est l’auto-diagnostic. J’ai développé des tests, disponibles sur mon site web florencemarty.com, qui permettent aux managers de s’auto-évaluer et d’identifier leur type d’effet bonsaï ainsi que leur profil spécifique. C’est un point de départ essentiel pour prendre conscience de ses comportements et de leurs impacts.

La deuxième étape consiste à comprendre comment se développent les professionnels. Dans mon livre, j’explique les phases de développement des collaborateurs et comment les managers peuvent adapter leur approche à chaque étape, notamment en matière de communication. Cette compréhension est indispensable pour passer d’un management bonsaï à un management qui favorise réellement l’épanouissement et la productivité.

La troisième étape, souvent négligée, est de conclure un « contrat » clair avec le salarié. Il s’agit d’aborder ouvertement le sujet lors d’un entretien, de définir ensemble les attentes, les objectifs de développement, et les moyens pour y parvenir. Cette conversation franche permet de poser les bases d’une relation de confiance et d’un développement mutuel.

Enfin, la dernière étape, et peut-être la plus difficile, est de s’adapter au quotidien. Cela implique une vigilance et des efforts de la part du manager pour ajuster son comportement en fonction des situations et des besoins de chaque collaborateur. C’est un processus continu qui demande de la flexibilité, de l’empathie et une remise en question régulière de ses pratiques. À moyen et long terme, c’est vraiment une stratégie gagnante, y compris pour l’entreprise.

Comment voyez-vous l’évolution des pratiques managériales dans les prochaines années ?

Florence Marty : Cela fait près de 25 ans que je suis une professionnelle des RH. J’ai vu les choses évoluer considérablement. C’est fascinant de voir à quel point le paysage managérial s’est déjà transformé, même si on a encore envie que ça aille plus vite et plus loin.

D’un côté, je constate des progrès significatifs. Il y a moins de rapports dysfonctionnels qu’auparavant, ce qui est une excellente nouvelle. On observe une augmentation de la sécurité psychologique au sein des équipes, ce qui est indispensable pour un environnement de travail sain. Les gens n’hésitent plus autant à s’exprimer lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes, comme le harcèlement par exemple. Les besoins des collaborateurs sont mieux exprimés et, je l’espère, mieux pris en compte.

Cependant, je remarque aussi une tendance inquiétante : de plus en plus de professionnels talentueux ne veulent plus devenir managers. C’est un signal d’alarme que les entreprises ne peuvent pas ignorer. Je pense que dans un futur proche, les organisations vont devoir se pencher sérieusement sur la charge de travail des managers eux-mêmes. Il faut repenser ce rôle pour le rendre plus attractif et soutenable.

Globalement, je crois que l’avenir des pratiques managériales va s’articuler autour de deux valeurs clés : la singularité et l’équilibre. La singularité, parce que chaque individu est unique et aspire à être reconnu comme tel dans son environnement professionnel. L’équilibre, parce que nous prenons de plus en plus conscience de l’importance d’une vie professionnelle qui s’harmonise avec la vie personnelle. Mais aussi du nécessaire équilibre des forces internes à l’entreprise, entre notamment, la performance et la durabilité.

Quel serait votre plus grand souhait pour les managers qui lisent votre livre ?

Florence Marty : C’est sans doute la question la plus difficile à laquelle répondre. Comme je l’explique dans mon livre, la volonté seule ne suffit pas. En fait, en tant que manager, il faut même parfois savoir la tempérer. Mais si je devais exprimer un souhait, ce serait que chaque lecteur trouve dans ces pages ne serait-ce qu’un seul élément qu’il pourra cultiver et faire grandir tout au long de sa vie professionnelle.

Cet objectif peut sembler modeste, mais je crois sincèrement à l’effet papillon. Une seule phrase, une idée, un petit changement peut nous transformer durablement. C’est ce que j’observe souvent lors de mes formations, et c’est ce que j’espère accomplir avec ce livre. Plus que tout, j’aimerais que les managers qui le liront ne le perçoivent pas comme un énième ouvrage théorique déconnecté de la réalité. Au contraire, j’aimerais qu’ils sentent combien moi aussi j’ai été confrontée au même questionnement et difficultés qu’eux.

Et si je peux me permettre un tout dernier vœu, j’espère que les lecteurs se sentiront soutenus et accompagnés avec bienveillance tout au long de leur lecture. Mon intention n’est pas de pointer du doigt… Mais d’inviter chacun à regarder sa situation sous un angle nouveau, avec tendresse et compassion envers soi-même et ses équipes.

 

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