Manager bienveillant : comment développer votre regard Pygmalion ?

Manager Bienveillant

Parce que les regards portés sur elle – qu’ils soient positifs ou négatifs – ont eu un impact fondamental sur sa trajectoire professionnelle, Dina Scherrer a choisi de pratiquer la bienveillance lors de ses 20 années passées dans le top management d’une grande entreprise. Aujourd’hui reconvertie en coach, elle accompagne les jeunes en décrochage scolaire et les cadres en souffrance dans le monde de l’entreprise. Une expérience de vie qu’elle retranscrit dans son ouvrage « La magie de la bienveillance : Développez votre regard Pygmalion » (éd. Leducs).

Quelle est votre définition personnelle de la bienveillance ?

Dina Scherrer : Dans ce mot, il y a la notion de « bienveiller », c’est-à-dire de prendre soin des autres, de ses collègues, de ses enfants, de sa famille, et ce, à différents niveaux. Dans ma pratique auprès des jeunes en difficulté, cela commence déjà par leur poser des questions qui les rendent dignes. C’est leur offrir l’opportunité de montrer qui ils sont vraiment. Bref, être bienveillant, c’est honorer le plein plutôt que d’insister sur le vide. Malheureusement, je constate que dans le management, on a encore tendance à appuyer sur ce qui ne va pas, plutôt que de souligner les réussites.

La bienveillance est-elle innée ? Dépend-t-elle du cadre affectif dans lequel on a été élevé ? Ou a contrario, peut-elle se développer ?

Dina Scherrer : Bien sûr, il est possible de développer sa bienveillance. Être bienveillant, cela commence par regarder les autres. J’utilise pour cela une métaphore simple : si vous êtes en voiture et que vous ne regardez personne, forcément vous allez écraser tout le monde. Quant à la question de l’environnement familial, je crois qu’un individu qui n’aurait pas bénéficié d’un cadre bienveillant peut aussi se construire en opposition. D’ailleurs, je suis convaincue qu’être bienveillant de manière consciente est encore plus fort. Pendant 20 ans, je pense avoir été un manager bienveillant auprès de mes équipes. Mais aujourd’hui, je conscientise cela et je mesure à quel point j’ai le pouvoir de changer la vie d’une personne selon la manière dont je la regarde. Ce regard « Pygmalion », c’est ce que j’appelle « l’œil d’amour ». C’est un regard d’accueil inconditionnel de l’autre, sans jugement, sans a priori.

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Quels sont vos outils pour développer ce regard Pygmalion ?

Dina Scherrer : Je dirais qu’il en existe trois.

  1. Si je prends mon exemple, j’ai commencé par prendre conscience de l’impact que les regards posés sur moi ont eu sur ma trajectoire. Certains m’ont dégradée, notamment au sein de l’institution scolaire, et d’autres m’ont fait grandir comme celui de mon manager qui m’a immédiatement regardée comme une personne capable. C’est ainsi que j’ai réussi à me propulser du bas de l’échelle vers un poste à hautes responsabilités. En fait, je suis convaincu que d’une entreprise à l’autre, un manager peut être ultra-performant comme en situation d’échec. C’est pourquoi je commence toujours par inviter mes coachés à se souvenir d’un épisode réussi et durant lequel on a porté un regard bienveillant sur eux. C’est en se basant sur cette mémoire que l’on peut ensuite transmettre cela comme un relai.
  2. L’autre manière de développer son regard bienveillant, c’est de s’affranchir des attendus, des diktats de la réussite. Par exemple : ne pas faire de fautes d’orthographes, parler parfaitement anglais… Je suis convaincue qu’il faut être plus ouvert et donner leur chance à des personnes qui sortent du lot, comme ce fut mon cas à mon époque. Au final, je suis quand même devenue cette personne qui parle anglais. Mais il y a de nombreux chemins pour arriver au même point. C’est une manière d’entrer en résistance.
  3. Le dernier levier selon moi est de se dire que la personne n’est jamais le problème. Par exemple, si elle ne cesse de râler, c’est certainement parce que l’une de ses valeurs n’est pas honorée. Que se passe-t-il dans la relation pour expliquer tel ou tel comportement ? Il ne faut selon moi pas réduire les personnes à de simples étiquettes comme elle est timide, il est taiseux. J’invite chacun à explorer le côté « multi histoires » des gens.

Quelles sont les caractéristiques du manager bienveillant ?

Dina Scherrer : Dans l’entreprise libérée, on en parle de plus en plus. Mais une fois encore, je crois qu’il s’agit avant tout de voir ses collaborateurs comme des personnes capables. Et surtout, ne pas avoir peur d’embaucher des personnes meilleures que soi. Je me souviens que j’étais très heureuse et fière quand l’un de mes talents partait pour mieux.  C’est enfin respecter le style de chacun en embauchant des profils très différents. Cela demande donc de la curiosité afin de respecter la singularité de chaque individu.

Comment maintenir le collectif en célébrant cette diversité ?

Dina Scherrer : En tant que coach, j’ai accompagné beaucoup d’équipes qui dysfonctionnaient. Un de mes axes de travail, c’est justement d’encourager les collaborateurs à reconnaître la valeur ajoutée de chacun. D’aller à la rencontre des autres. Ce n’est qu’une fois que chacun a reconnu sa place singulière que l’on travaille l’identité du groupe. Il faut d’abord trouver cette place unique avant de trouver sa place dans le collectif.

Et en tant que manager, il est également important de cultiver son propre style ? 

Dina Scherrer : Lorsque l’on est en permanence à contre-courant de qui l’on est vraiment, c’est le burnout assuré. Je suis convaincue qu’être manager, cela ne s’apprend pas vraiment. Il existe des formations, mais on n’apprend pas à être qui l’on est au fond de soi. C’est pour cela que j’invite les dirigeants à travailler leur propre style de management. Je les encourage à se questionner sur ce qui leur a plu lorsqu’ils ont été managés. Mais aussi sur leurs valeurs, leurs forces, leurs talents. C’est tout cela qui permet au manager de voir sa valeur ajoutée. Et c’est ce qui le met en mouvement et donne du sens à sa pratique.

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

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