Si le manager d’aujourd’hui veut être à l’écoute de ses équipes, prendre des décisions éclairées ou fédérer ses collaborateurs, l’appui des neurosciences peut être d’une grande aide. Elles permettent de comprendre le fonctionnement du cerveau humain et les réactions de chacun. Explications.
En matière de management, les pratiques ne cessent d’évoluer. Et à l’image d’une société en pleine mutation, ce qui était valable autrefois ne l’est plus toujours au 21ème siècle. « Nous ne cessons d’apprendre, d’évoluer grâce aux fruits de l’expérience », confirme Bertrand Samson, consultant expert en management, directeur de l’Observatoire du Management© d’Oasys et co-auteur avec le Pr Pierre-Marie Lledo et David Destoc de « Dans le cerveau du manager », paru aux éditions Vuibert.
Si les pratiques managériales peuvent s’appuyer sur les fruits de l’expérience et l’évolution de la société, elles gagnent aussi à se nourrir des dernières découvertes neuroscientifiques. « Notre cerveau a acquis plus de complexité au fil des siècles. Il est plus prompt à détecter du changement mais ça a un coût car il est aussi plus vulnérable au stress, au burn out… C’est important de prendre en compte ces paramètres en tant que manager pour se protéger et prendre soin de ses collaborateurs », ajoute le Pr Pierre-Marie Lledo, neuroscientifique, directeur du département des neurosciences et du laboratoire « Perception et Action » à l’Institut Pasteur et du laboratoire « Gène et Cognition » au CNRS.
Pas deux mais quatre cerveaux…
Les recherches en neurosciences ne cessent de progresser et de nous en apprendre davantage sur le fonctionnement de notre cerveau. Si depuis les années 70, on parlait volontiers de cerveau droit et de cerveau gauche, la recherche tend aujourd’hui à en présenter plutôt quatre :
- Un cerveau situé dans tout le corps (intestin, cœur…). Il est le substrat de l’intuition.
- Un cerveau assurant les automatismes, les fonctions vitales.
- Un cerveau limbique qui gère les émotions et en tire des leçons pour apprendre.
- Un cerveau dédié aux projections dans un futur souhaitable, siège des désirs personnels et collectifs.
Tous ces cerveaux ont pour objectif commun de nous permettre d’agir face à des situations diverses.
Comment tirer le meilleur de ses cerveaux pour prendre une décision ?
Lancement d’un nouveau produit, arrêt de projet, résolution de conflit, externalisation de services ou non… Au quotidien, un manager est amené à prendre de nombreuses décisions. Pour y parvenir, il peut recourir à trois systèmes :
- le mode automatique : C’est une décision intuitive, rapide et inconsciente.
- le mode adaptatif : il s’agit de peser le pour et le contre des diverses options pour avoir une réaction raisonnée. C’est le cortex préfrontal qui analyse un vaste ensemble de données et cela prend plus de temps.
- le mode inhibiteur : C’est un système hybride entre les deux premiers modes, entre intuition et raison.
« Quand on explore une problématique, on est attendu par ceux qui dépendent de notre décision. Il vaut mieux ne pas prendre trop de temps pour décider car seule l’action dissipe les doutes. Une décision, comme le fait de déménager les bureaux par exemple, fait toujours des heureux et des mécontents. Une décision discutable est toujours préférable à l’attente d’une décision. Il faut oser se lancer quand on est manager », estime Bertrand Samson.
Un constat partagé par le Professeur Lledo qui invite à se méfier de son cerveau et à ne pas le surestimer. « Il faut rester modeste car dans un temps très court le cerveau peut apporter une réponse fausse. Et au contraire, il peut aussi prendre son temps pour opter pour la bonne décision et alors il rumine, met en place des filtres négatifs et génère de l’anxiété, de la dépression », prévient le neuroscientifique.
Comprendre le fonctionnement du cerveau pour motiver un collaborateur
L’une des missions du manager est de motiver ses collaborateurs autour d’un projet, d’un objectif. Pour être efficace, encore faut-il comprendre quels sont les points qui vont vraiment parler aux employés. Le Professeur Pierre-Marie Lledo explique en effet que le processus de motivation est intrinsèque à la personne. Il vient d’elle et permet qu’elle soit concentrée. Il est ainsi difficile de transmettre sa motivation, son énergie à une autre personne – en l’occurrence un collaborateur – car ses motivations peuvent différer.
La solution ? « Il faut identifier ce qui crée du désir dans le cerveau de l’autre. Auparavant, le manager donnait un ordre et ça suffisait pour que ce soit fait mais les temps ont changé », ajoute Bertrand Samson. En tenant compte de ce changement, on peut créer de la motivation. Il s’agit alors de créer un cadre, d’offrir des outils et des objectifs propices à motiver le salarié.
En période de changement, comment accompagner au mieux ses équipes ?
Les habitudes permettent de rassurer, de donner des repères et d’assurer un certain confort. Aussi lorsqu’une entreprise est confrontée à une période de changements, cela peut susciter des doutes, des inquiétudes, des questions, des peurs qui peuvent vite se communiquer au sein des équipes. L’ambiance de travail et les performances peuvent s’en ressentir. Pour contrer cela, le Pr Lledo et Bertrand Samson encouragent à changer de paradigme et à adopter une vision à long terme.
Cela permet d’éviter de s’engluer dans les obstacles du moment pour voir le bénéfice à long terme. Par exemple, un changement de logiciel au sein d’une entreprise peut susciter des problèmes techniques momentanés, une perte de temps, des contrariétés mais faciliter les démarches et gagner en efficacité plus tard. « Il y aura une phase de résistance face à ce changement, mais il s’agit déjà des prémices de l’acceptation. Les personnes demandent une contrepartie à ces difficultés passagères et les tractations s’opèrent », soulignent les experts. Comprendre la manière dont fonctionnent les cerveaux humains est une clé pour manager aujourd’hui et à l’avenir.
Dorothée Blancheton