Gagner en leadership : mythe ou réalité ?

gagner en leadership

Le leadership est-il un don naturel ou une compétence qui se construit avec le temps ? Bertrand Duséhu, auteur de Gagner en leadership (Ed. Gereso), tranche avec une vision équilibrée : si certaines aptitudes facilitent l’émergence d’un leader, c’est le travail sur soi et l’expérience qui forgent un leadership durable. Face aux mutations sociétales et générationnelles, il nous invite à explorer comment l’adaptabilité et l’humanité redéfinissent les contours de cette qualité essentielle.

Le leadership est souvent vu comme une compétence innée. Pensez-vous qu’il peut réellement s’apprendre et se perfectionner avec le temps ?

Bertrand Duséhu : Le fameux débat inné/acquis se pose souvent par rapport à cette notion de leadership. Pour ma part, je pense que l’inné joue un rôle primordial en n’excluant pas les acquis qu’une personne peut utiliser pour moduler et parfaire son leadership en fonction des événements et de l’équipe qu’elle ou qu’il dirige. En utilisant une théorie bien connue entre types de personnalité A & B (A dominant et B acceptant), le leadership provient de personnes qu’on pourrait appeler « dominantes ».

Même si ce terme possède une connotation négative, donc de personnes qui ont un « don » de persuasion. Je mets « don » entre parenthèses, car il existe des leaders négatifs qui savent manipuler, tyranniser et culpabiliser à leur seule fin. Ce « don » de persuasion (en positif) peut être travaillé bien sûr. C’est bien un travail sur soi, mais qui souvent se fait aussi grâce à la réaction des autres, qui voient agir le leader et qui peuvent lui donner des informations rétroactives sur son comportement et ses actions, afin qu’il prenne conscience de ce qui est positif et à développer.

Mini Guide Leader

Mais aussi ce qui est négatif, donc ce qu’il doit éviter de faire (et éviter de vouloir les améliorer). Il faut toujours travailler ses points positifs afin de les faire progresser ce qui permet de moins solliciter ses zones de faiblesses. La théorie de la « Fenêtre de Johari » est intéressante pour montrer ce que les autres peuvent apporter dans ce travail sur soi (en dehors de tout jugement de valeur).

Les événements difficiles auxquels la personne est confrontée vont aussi servir à progresser. La notion d’échec étant une perception par rapport à soi-même et à l’acte, ceux qui ne se flagellent pas en cas de revers auront plus de facilité à se sortir de situations difficiles sans culpabilité, honte ou remise en cause. Tous les véritables leaders savent tirer parti de l’échec.

Partant d’un postulat humaniste, le leader qu’il est important de mettre en avant est celle/celui qui est capable de faire travailler des gens en équipe, de leur donner confiance et d’émettre des critiques constructives, tout en respectant chacun dans sa différence.

Votre livre Gagner en Leadership s’inscrit dans un contexte où les modèles de leadership traditionnels sont parfois remis en question. Quels sont les nouveaux attributs du leader ?

Bertrand Duséhu : Le leader est aujourd’hui confronté à des collaborateurs dont certains remettent en question la notion de travail et d’autorité au sens traditionnel. Les générations Y et les nouvelles générations Z et Béta bousculent cette notion de rapport au travail. J’ai consacré un chapitre à ce sujet dans mon livre « Le Manager de Proximité » où je montre que les pratiques managériales doivent être repensées par rapport à ces générations.

Pour le leadership, il en sera de même si l’équipe est composée de différentes générations, ce qui demandera au leader d’avoir une capacité d’adaptation plus grande entre faire travailler un collaborateur seul et faire travailler l’équipe de manière collégiale. Les nouvelles générations ayant plus besoin de travailler en solo vont plus facilement accepter le travail d’équipe s’il se déroule en non présentiel (téléconférence), ce qui n’est pas toujours possible.

Plus un leader travaillera et fera travailler ses collaborateurs avec des outils numériques plus les générations nouvelles y trouveront leur compte. Il faut garder à l’esprit que les nouvelles générations sont composées dans des proportions importantes de gamers (surtout chez les hommes) qui jonglent dans leur espace de liberté avec des prises de décisions rapides, des réflexions nombreuses et variées, des alternatives créatives, etc… qui façonnent leur système cognitif et leur rapport à la société et aux autres.

Le leader doit donc être capable de sortir de son expertise (qu’il n’impose pas) en apprenant par les autres. Il doit diriger en faisant une synthèse entre sa vision et la vision de ses collaborateurs, de même il doit se focaliser sur le processus qui permet de progresser et non sur le contenu du travail. Et chose primordiale, il doit au maximum donner du pouvoir à chacun dans le cadre de sa mission (délégation, partage de responsabilités, résolution de problèmes…).

Sur un plan humain, le leader doit accepter que les collaborateurs ne progressent pas tous de la même façon, à la même vitesse, que le changement peut freiner, ou faire peur à certains. Alors que d’autres le réclament, il doit donc aussi à certains moments être un coach qui aide à acquérir de nouvelles compétences et à passer des obstacles. Et s’il est normal qu’il attende toujours davantage de chacun, il doit aussi attendre toujours davantage de lui-même.

Être leader aujourd’hui implique d’être capable d’écouter de manière active, c’est-à-dire d’écouter pour comprendre et non plus d’écouter pour répondre et imposer son point de vue. Les collaborateurs ont de plus en plus besoin d’autonomie, de responsabilités s’ils ont la compétence, mais aussi de créativité. Le besoin de se montrer et de cultiver la différence avec les autres est aussi un facteur à prendre en compte. Se montrer non pour écraser les autres, mais pour mettre en avant son unicité.

Comment devient-on un bon “leader” ?

Bertrand Duséhu : La réponse la plus aisée est de dire qu’un bon leader est celle/celui qui a réussi à atteindre ses objectifs grâce au travail consenti de l’équipe. Je veux dire par là que le leadership avant tout une question de « fusion » entre le leader et ses collaborateurs. Certaines personnes deviendront leader après un travail sur eux ou après une remise en question, alors que d’autres sont des leaders naturels qui auront la capacité à s’adapter aux changements.

La difficulté provient parfois de personnes qui n’ont pas un leadership naturel « adaptatif », mais qui l’ont dans un contexte donné. Parfois, si on les change d’environnement, elles peuvent perdre leur capacité à rester leader : parce qu’elles n’ont plus l’expertise nécessaire, parce que certains dans l’équipe mettent en cause sa légitimité… Alors ce leader devra apprendre par les autres en devenant celui qui crée la synergie, qui cherche les bonnes informations, qui règle les différends, qui remonte le moral dans les phases critiques, etc…

Pour être un bon leader, il faut d’abord se connaître : ses forces et ses faiblesses. Il faut aussi connaître son rapport à l’erreur et à l’échec (travailler sur la culpabilité ou la honte d’avoir échoué, ou de ne pas être à la hauteur), comprendre son rapport à l’autre (quelles sont les types de personnes qui m’impressionnent, me font peur) et peut-être le plus important comprendre son comportement face aux conflits (remise en question de mes collaborateurs, conflits entre personnes, violence verbale…).

À quoi ressemblera, selon vous, le leadership de demain dans un monde en constante mutation ?

Bertrand Duséhu : Il n’y a pas de réponse à long terme possible, tout au plus nous pouvons penser que le leader d’aujourd’hui sera encore valable de nombreuses années avant que la génération Bêta ait vieillie. Ce que je disais avant sur le travail avec des supports numériques restera valable avec une utilisation de plus en plus adéquate de l’IA je l’espère, car cette technologie deviendra totalement indispensable dans la société et dans le monde du travail quel qu’en soit le domaine.

Malheureusement je ne suis pas devin et je préfère ne pas en dire plus car nous sommes là dans la science fiction, et souvent les projections sur l’avenir sont très approximatives, voire totalement utopiques.

Comment un leader peut-il équilibrer l’autorité et l’empathie dans son rôle au quotidien avec ses équipes ?

Bertrand Duséhu : Il faut avant tout définir l’autorité, car on a tendance à qualifier ce comportement comme seulement négatif. J’ai pendant plus de 30 ans dit aux managers que je formais que l’autorité, c’était l’autre qui la donnait. Si je ne légitime par le leader face à moi, je lui dénie une quelconque autorité et pour me faire plier il devra peut-être utiliser la coercition. Il deviendra alors autoritariste, c’est-à-dire qu’il utilisera seulement son pouvoir hiérarchique puisqu’il n’a pas à mes yeux de pouvoir personnel.

L’autorité négative ou autoritarisme, c’est la propension à décider à la place d’autrui avec parfois l’expression d’un pouvoir despotique. Alors que l’autorité (positive) est aussi appelée directivité, c’est-à-dire la capacité du leader à définir des buts (à court, moyen et long terme), à s’y tenir et à orienter vers eux ses propres réflexions et actions ainsi que celles de ses collaborateurs.

Le leader directif est donc capable d’être empathique, si besoin est, puisqu’il n’exige pas. Il peut comprendre l’erreur, l’échec, la peur du changement et au lieu de forcer ou brutaliser son collaborateur pour qu’il évolue, il l’accompagne ou le fait accompagner.

À noter qu’un leader directif est donc capable de dire des choses en négatif (par exemple à un collaborateur qui fait des erreurs répétées), mais il le fera sans jugement de valeur et en confrontant la personne pour quelle trouve (ou trouver avec elle) la solution et ne fasse plus la même erreur. Faisant cela, elle utilise bien son empathie pour faire évoluer la situation et le collaborateur.

Dans Gagner en Leadership, vous parlez de l’importance de la créativité dans le leadership, en quoi est ce essentiel ?

Gagner en leadership : 7 ressources indispensables pour devenir manager leader - Bertrand Duséhu (Ed. Gereso)
Gagner en leadership : 7 ressources indispensables pour devenir manager leader – Bertrand Duséhu (Ed. Gereso)

Bertrand Duséhu : Comme je l’ai dit avant, les nouvelles générations ont un rapport au monde et au travail très différent des générations précédentes et les leaders doivent être capables, ne serait-ce que dans le travail, de sortir des schémas habituels et parfois de trouver des manières différentes ou nouvelles de faire.

La créativité est à prendre comme une capacité à faire évoluer des choses déjà existantes. Un leader créatif est quelqu’un qui ne reste pas enfermé dans des patterns rigides, mais qui est capable de changer, modifier, créer à partir de ce qui existe et de ce que les collaborateurs peuvent apporter.

Le travail collégial permet au leader de faire travailler l’intelligence collective de son équipe, lui permettant d’être un « leader-coach », d’utiliser son autorité (directivité), de mettre en avant la coopération, la transversalité, la co-construction et la co-création. Ce travail permet au leader en plus de ses propositions créatives, de se nourrir de celle des autres, donc d’évoluer par l’autre et de faire évoluer l’autre. Ce point est important, car un leader ouvert à la nouveauté et à la créativité d’autrui prouve qu’il possède un esprit curieux et motivé à aller toujours plus loin, pas seulement en solitaire.

Quels préjugés sur le leadership féminin observez-vous encore aujourd’hui ? Comment les déconstruire ?

Bertrand Duséhu : Même si les comportements masculins évoluent un peu, il est vrai que le rapport aux femmes dans l’entreprise peut parfois être encore « archaïque ». N’oublions pas que notre société, et donc nos entreprises, sont construites sur des archétypes patriarcaux depuis plusieurs milliers d’années et qu’il n’y a pas si longtemps que l’on voit des femmes à des postes importants. Les reproches (préjugés masculins) les plus communs restent que les femmes ne sont pas logiques, ne sont pas pragmatiques, maternent trop ou à contrario se comportent en « mâles dominants » afin d’essayer d’avoir du pouvoir, etc… Tout cela est disons-le d’une bêtise absolue.

Ce qui compte dans une entreprise est de constater si le leader y arrive, fait évoluer les choses, résout les problèmes, etc… Que le leader soit homme ou femme est un faux problème. Je vous donne un exemple : Dans ma vie professionnelle dès que je trouvai un nouveau test de personnalité, je l’essayais sur moi et mon épouse devenait comme moi cobaye. Je tombe sur le test des dominos d’Edgar Anstey que je me presse de résoudre.

J’ai ce qu’on appelle un esprit logico-mathématique et mon épouse pas du tout. Elle termine le test avant moi et en faisant le total de bonnes réponses, réussit mieux que moi. Ma surprise fut quand je lui demandais comment elle avait résolu tel problème et qu’elle m’expliquait son raisonnement tortueux et alambiqué, confirmant qu’elle n’avait pas un raisonnement logico-mathématique, mais un raisonnement logique à sa façon et qu’elle y arrivait mieux que moi avec sa capacité à traiter les informations plus rapidement et plu quantativement.

Cela prouve que c’est le « regard à œillères » sur les femmes qui pose problème et pour enlever les œillères la seule solution serait que l’éducation donne la même place aux femmes qu’aux hommes, ce qui est illusoire. Il suffit de regarder le type d’éducation donné à certains garçons où les stéréotypes féminins sont encore largement inculqués, même par des femmes. Reste la loi, avec toutes les limitations qu’elle a, parce que ce n’est pas une loi qui fait changer les mentalités.

Y a-t-il des figures de leadership qui vous inspirent particulièrement ? Pourquoi ?

Bertrand Duséhu : Je ne peux commencer que par ce modèle de leadership qu’est celui de Simone Veil, avec sa capacité à avancer malgré les oppositions, les invectives, les médisances, sa capacité à rester sur sa ligne de pensée malgré les émotions qui la minaient et auraient pu la faire craquer, sa capacité à ne pas recourir à l’agressivité alors qu’elle était attaquée de toutes parts, en un mot la force de caractère et la dignité dont elle ne s’est jamais départie.

La seconde leader est Marthe Keller, aveugle et sourde à un an et demi elle fut la première handicapée à obtenir un titre universitaire. Elle apprit à lire le braille et à écrire, elle a publié douze livres et de nombreux articles dans des journaux. Elle fit campagne pour le droit de vote des femmes. Elle tint des conférences et parcourut le monde pour lever des fonds afin d’aider les déficients visuels. C’était une de ces leaders déterminée à donner du sens à sa vie en transcendant ses handicaps. Elle eut cette phrase extraordinaire : « C’est une chose terrible de voir et de ne pas avoir de vision ».

Une autre Américaine est aussi impressionnante : Oprah Winfrey. Élevée en partie par sa grand-mère qui lui apprend à lire, écrire et compter alors qu’elle n’a pas trois ans, elle se fera parfois rejeter par ses camarades de classe à cause de sa maturité et son niveau scolaire. Son enfance est tourmentée, vers treize ans elle est violée par un cousin. Elle fait des études de communication puis elle devient présentatrice, puis productrice de télévision et de cinéma, actrice, critique littéraire, essayiste et directrice de la publication de magazines.

Oprah devient la première femme propriétaire et productrice de son propre talk-show en obtenant tous les droits du « Oprah Winfrey Show » qui a chaque diffusion rassemble environ 40 millions de téléspectateurs. Elle a reçu un nombre important de distinctions et est reconnue pour ses qualités humaines et sa philanthropie. Une phrase d’elle : « La plus grande découverte de tous les temps est qu’une personne peut changer son avenir en changeant simplement d’attitude ».

Il y aurait beaucoup d’autres leaders à mettre en avant, mais je préfère illustrer votre question par des citations qui colleront avec cette interview :

  • « Le leadership est la capacité de guider les autres sans recourir à la contrainte, les orientant vers des choix ou des décisions ». (Lisa Cash Hanson) Femme d’affaires
  • « Un leader mène les gens où ils veulent aller. Un bon leader mène les gens où ils ne veulent pas nécessairement aller, mais où ils doivent aller ». (Rosalynn Carter) Première dame des États-Unis de1977 à 1981
  • « Un bon leader inspire les gens à avoir confiance en lui. Un grand leader inspire les gens à avoir confiance en eux-mêmes ». (Eleanor Roosevelt) Première dame des États-Unis de 1933 à 1945
  • « L’échec est l’opportunité de recommencer, mais cette fois plus intelligemment » (Henry Ford)
  • « Rien n’est permanent dans ce monde méchant, pas même nos problèmes » (Charlie Chaplin) « L’imagination est plus importante que la connaissance » (Albert Einstein)
0
    0
    Votre panier
    Votre panier est vide