Chloé Roose : la foodista de la Tech

Avec Take Eat Easy, Chloé Roose régale les gastronomes urbains à domicile, en livrant à vélo les petits plats de leurs restaurants préférés. Après Bruxelles, la start-up belge, lancée en 2013, s'est implantée en France, en Espagne et au Royaume-Uni. Un succès dont sa cofondatrice nous dévoile les ingrédients.

En quelques mots, en quoi consiste Take Eat Easy ?

Chloé Roose : Take Eat Easy est une plateforme intermédiaire qui met en relation des clients désireux de se faire livrer des repas de bonne qualité, des restaurants qui veulent augmenter leur chiffre d’affaires et leur rentabilité globale, et des coursiers indépendants qui souhaitent gagner un revenu supplémentaire en roulant à vélo.

Comment l’idée vous est-elle venue ?

Nous sommes quatre amis d’enfance à l’origine de Take Eat Easy [Chloé et Adrien Roose, Jean-Christophe Libbrecht et Karim Slaoui, ndlr]. Nous avons commencé à discuter de l’idée il y a un peu plus de trois ans et demi quand mon frère Adrien, qui est CEO, est revenu de Londres où il travaillait dans la finance. Il se faisait énormément livrer là-bas car il sortait tard du bureau. Mais à l’époque, il existait uniquement des services comme Allo Resto ou Just Eat qui mettent en relation les clients et des restaurants assumant eux-mêmes la livraison. Un modèle assez pauvre, ne garantissant ni la qualité des plats, ni celle de la livraison.

Nous nous sommes ainsi donné pour ambition de révolutionner la livraison de plats à domicile en travaillant uniquement avec des restaurants de qualité et en assurant 100 % des livraisons nous-mêmes.

Où en étiez-vous avant de vous lancer dans l’entrepreneuriat ?

Mon parcours était plutôt artistique et foodie. J’ai fait des études d’architecture et de design à La Cambre, à Bruxelles. J’étais en deuxième année de master, donc en plein mémoire, quand nous avons commencé à travailler sur Take Eat Easy. Nous nous sommes retrouvés tous les quatre à essayer de tout faire nous-mêmes alors que nous ne connaissions rien ni en vente, ni en marketing, ni en logistique.

Nous avons eu la chance d’être pris dans l’incubateur de start-up Nest’Up, qui était le premier en Belgique à l’époque. C’est aussi au cours de cette année que j’ai créé un restaurant éphémère à Bruxelles avec l’amie avec qui j’avais fondé Brussel’s Kitchen, un blog de bonnes adresses culinaires. Pendant une semaine, nous avons collaboré avec des jeunes chefs qui devaient chacun élaborer un menu monochrome. J’avais déjà cette disposition à monter des projets qui me plaisaient en dehors de l’école.

Comment vous démarquez-vous de vos concurrents, Foodora et Deliveroo ?

Quand nous nous sommes lancés, nous étions les seuls à proposer ce service à Bruxelles. Après, le modèle a fleuri un peu partout, ce qui est tout à fait logique car il répond à une forte demande. Notre équipe est constituée de foodies passionnés, convaincus qu’on peut se faire livrer de la bonne cuisine et pas uniquement du mauvais « take away ».

Nous nous différencions en sélectionnant uniquement des établissements de qualité, en nouant des partenariats avec des acteurs qui partagent notre vision, et en tentant d’intégrer en tous points le lifestyle de notre cible : des foodies occupés et super actifs, ne souhaitant faire aucun compromis sur la qualité de leur alimentation.

Via la plateforme, notre but est que l’expérience de commande du client se rapproche le plus possible de celle qu’il peut vivre dans un restaurant. Nous poursuivons cet objectif à travers le site et ses photos, mais aussi grâce à la possibilité de suivre son coursier en temps réel – nous étions d’ailleurs les premiers à le proposer –, et de récupérer des repas bien emballés et livrés par des gens sympas et souriants.

Comment sélectionnez-vous les restaurants ?

Nous collaborons avec des foodies et des experts locaux qui ont une super connaissance de leur ville, que ce soit des blogueurs ou des critiques culinaires. Nous nous basons par ailleurs sur des sites de review comme Yelp, Tripadvisor et Time Out.

Grâce à notre expertise, nous sélectionnons parfois des restaurants qui viennent d’ouvrir leurs portes mais dont nous savons qu’ils seront à la hauteur et feront le buzz. Nous avons constaté que les adresses qui fonctionnent très bien en vrai marchent également sur Take Eat Easy. Donc en général, plus un restaurant est demandé, plus il nous intéresse.

Les restaurateurs acceptent-ils facilement de rejoindre Take Eat Easy ?

Ils sont plutôt partants car ils n’ont rien à perdre. Nous sommes conscients qu’une commande en plus peut parfois tout chambouler en cuisine. C’est pourquoi nous avons développé une solution flexible : les restaurateurs peuvent se déconnecter ou désactiver les plats quand ils le souhaitent à partir de la tablette que nous leur fournissons. Le service ne repose pas sur un abonnement mais sur un système de commission. Si les restaurateurs reçoivent des commandes, tant mieux, s’ils n’en ont pas, tant pis. La plupart du temps, ils observent une claire augmentation de leur chiffre d’affaires.

Comment recrutez-vous les coursiers ?

Tout le monde peut s’inscrire à condition de posséder un vélo. Le recrutement s’étale sur plusieurs phases car nous cherchons des gens motivés et fiables. Il y a d’abord une séance d’information suivie d’un quizz, puis une formation pratique et enfin une séance d’accompagnement d’un coursier déjà formé.

La dimension écologique fait-elle partie de vos arguments de vente ?

Nous sommes vraiment convaincus des avantages du vélo dans les grandes villes. C’est le moyen de déplacement le plus rapide, anti-embouteillages, et effectivement écolo. Mais la raison pour laquelle nous avons opté pour ce mode de transport, c’est qu’il nous permet d’aller très vite et de travailler avec énormément de personnes.

La dimension écologique est un plus pour Take Eat Easy, mais ce n’est malheureusement pas un argument que nous pouvons nous permettre de mettre en avant aujourd’hui. Si nous essayons d’accompagner les restaurateurs dans le choix des meilleurs packagings, notre préoccupation principale reste que la nourriture arrive en bon état et chaude chez le client.

Après Bruxelles, vous êtes partis à la conquête de la France, de l’Espagne et du Royaume-Uni…

Nous avons commencé par nous implanter à Paris il y a environ un an et demi pour vérifier que notre modèle était duplicable en dehors de Bruxelles. La France représente un super marché. Nous nous sommes lancés à Lille, Nantes ou Bordeaux, ce qui nous a prouvé que le service pouvait fonctionner dans des agglomérations de taille plus modeste que Paris ou Londres. Aujourd’hui, nous livrons plus de 1000 restaurants (dont plus de 600 à Paris) et faisons travailler plusieurs milliers de coursiers dans l’Hexagone.

Nous pensons que la compétition va se jouer ville par ville. Nous avons remarqué qu’il y a un avantage à être le premier à s’installer. Il faut donc aller vite, même si ce n’est pas le seul facteur à considérer. En ce sens, la concurrence est saine : elle nous pousse à améliorer sans cesse notre produit et à optimiser nos KPIs (key performance indicators).

Vous avez levé l’année dernière 16 millions d’euros. Comment allez-vous les employer ?

Ces fonds nous ont déjà servi à nous développer en France, en Espagne et au Royaume-Uni. Nous avons fait grandir très fortement l’équipe, qui est passée de 7 personnes au moment du lancement à Paris à 170 aujourd’hui. Cette année encore, nous allons consacrer la majorité de nos coûts au recrutement.

Il s’agit de constituer les meilleures équipes pour partir à la conquête de nouveaux marchés. Car nous pensons continuer à répliquer dans des petites villes en Belgique, en France, mais aussi en Espagne. Nous travaillons par ailleurs à l’amélioration de tous nos produits : le site Web, les applications iPhone et Android pour les clients, les coursiers et les restaurateurs…

Comment comptez-vous diminuer les temps de livraison ?

Pour nous, il est primordial de pouvoir annoncer des temps de livraison exacts, auxquels nous nous tenons, un peu comme lorsque vous consultez votre application Uber. Pour diminuer ces délais, il nous faut disposer d’un nombre suffisant de coursiers et d’un maximum de restaurants afin d’être suffisamment proches de nos clients. Aujourd’hui, le problème majeur auquel nous sommes confrontés tient au temps de préparation des commandes.

Il y a souvent des retards parce que les restaurateurs se retrouvent débordés. Nous devons travailler en amont avec eux afin d’augmenter davantage leur flexibilité. Du côté des coursiers, les distances parcourues le sont rapidement car nous livrons dans un rayon limité. Mais nous essayons de perfectionner nos algorithmes de dispatching, qui prennent en compte la position et la vitesse des coursiers en temps réel, la course qu’ils ont effectuée avant, celle qu’ils vont faire ensuite, pour assigner au fur et à mesure les courses de manière automatique.

Quel regard portez-vous sur l’entrepreneuriat bruxellois et la place accordée aux femmes dans ce secteur ?

Bruxelles n’aurait probablement pas été notre premier choix si nous n’en avions pas été originaires. Il y a des initiatives de la région et du gouvernement, mais cela reste limité. On dénombre peu de start-up à Bruxelles – du moins qui percent. Concernant les femmes, beaucoup lancent leur propre commerce. Un peu comme à Paris, nous voyons de plus en plus de chouettes petites adresses ouvertes par des copines. Dans l’univers des start-up en revanche, elles sont moins représentées. Néanmoins chez Take Eat Easy, nous sommes autant de femmes que d’hommes.

Est-il difficile de travailler en famille ?

Pas plus qu’entre amis parce qu’à partir du moment où on est très proches, on se permet beaucoup de choses. Nous avons tous remarqué que recruter nous a aidés à mieux fonctionner en tant qu’entreprise. S’associer avec ses amis d’enfance présente par ailleurs des avantages : on gagne du temps lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes, et il y a la confiance. Nous savons que nous partageons la même vision et tendons vers un même but, plus que si nous nous étions rencontrés en cours de route.

D’un point de vue personnel, je me découvre au fur et à mesure de cette aventure, je me rends compte de ce que j’aime faire. Car en m’occupant de la construction de la marque, je suis amenée à travailler aussi bien avec les équipes photo que marketing, sélection des restaurants ou design. Ce que je trouve vraiment gai, c’est de voir à quel point on peut rapidement faire changer les choses et à quel point cela peut avoir un impact réel pour les gens.

@manondampierre

0
    0
    Votre panier
    Votre panier est vide