Surmonter les crises : le retour d’expérience de la scale-up Partoo

Partoo

Entreprendre est une aventure jalonnée de succès et d’épreuves, un ascenseur émotionnel que Thibault Renouf, COO de Partoo, explore dans son ouvrage Start-up & Down (Ed. Eyrolles). À travers son regard aiguisé et son expérience du monde des start-ups, il dévoile les réalités parfois méconnues de cet univers exigeant. Pour Business O Féminin, il partage sa vision, ses conseils et les enseignements qu’il tire de son parcours. Un entretien sans filtre sur les hauts et les bas de l’entrepreneuriat.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Start-up & Down après Start to Scale ?

Start-up & Down - Thibault Renouf (Ed. Eyrolles)
Start-up & Down – Thibault Renouf (Ed. Eyrolles)

Thibault Renouf : Après Start to Scale, qui traitait du passage de la start-up à la scale-up, j’ai réalisé que la croissance d’une entreprise n’est jamais un long fleuve tranquille. Derrière l’expansion et les succès se cachent des défis permanents, souvent sous-estimés : restructurations, crises économiques, tensions internes, pivots stratégiques… Start-up & Down explore l’envers du décor, les crises qui façonnent les entreprises et les leçons que l’on peut en tirer pour mieux les anticiper et les traverser.

Pourquoi pensez-vous que la gestion de crise est une compétence essentielle pour un entrepreneur ?

Thibault Renouf : Parce que la crise n’est pas une exception, mais une composante structurelle de l’entrepreneuriat. Toute entreprise traverse des périodes d’incertitude : marché qui évolue, erreurs stratégiques, difficultés de financement… Un entrepreneur qui ne sait pas gérer une crise risque de subir les événements plutôt que de les transformer en opportunités. Savoir réagir vite, adapter son organisation et maintenir la confiance des équipes sont des compétences clés qui font souvent la différence entre une entreprise qui survit et une qui disparaît.

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Vous parlez des crises exogènes (économiques, sanitaires) et endogènes (stratégiques, de maturité). Laquelle vous semble la plus difficile à gérer et pourquoi ?

Thibault Renouf : Les crises endogènes sont souvent plus difficiles à gérer car elles sont internes et progressives. Une crise économique ou sanitaire est brutale, mais elle affecte tout le monde de la même manière, ce qui force à réagir collectivement. À l’inverse, une crise de maturité ou une erreur stratégique peut se développer en silence, sans qu’on s’en rende compte immédiatement. Chez Partoo, nous avons dû revoir plusieurs fois notre organisation et notre positionnement pour éviter d’être freinés par nos propres choix passés. Ce sont ces crises invisibles qui peuvent être les plus dangereuses.

La crise du Covid-19 a profondément bouleversé de nombreuses entreprises. Comment Partoo a-t-elle traversé cette période et quelles leçons en avez-vous tirées ?

Thibault Renouf : Le Covid-19 a été un choc brutal, mais il nous a aussi permis de tester notre résilience. L’arrêt brutal de l’activité commerciale nous a poussés à revoir nos priorités : renforcer nos fondamentaux, améliorer notre gestion financière et accélérer sur des projets structurants. Nous avons aussi pris conscience de l’importance de la rapidité d’exécution : en quelques semaines, nous avons lancé de nouvelles offres adaptées au contexte. La leçon principale a été qu’en période de crise, la capacité d’adaptation et la communication interne sont essentielles pour garder les équipes alignées et motivées.

Vous abordez le sujet de la dette technique comme un défi majeur des start-up. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs pour éviter qu’elle ne devienne un frein à la croissance ?

Thibault Renouf : La dette technique est inévitable, mais elle doit être maîtrisée. Mon principal conseil est de ne pas sous-estimer son impact dès le début : prendre des raccourcis pour aller vite est tentant. Mais si l’architecture technique est bancale, elle finira par ralentir toute l’entreprise. Il faut trouver un équilibre entre rapidité et robustesse, investir tôt dans une architecture scalable et éviter d’accumuler trop de complexité inutile. Il est aussi essentiel de prévoir des moments dédiés au “remboursement” de cette dette avant qu’elle ne devienne paralysante.

Vous évoquez la nécessité pour un entrepreneur de « trouver du plaisir dans l’adversité ». Comment cultiver cette résilience au quotidien ?

Thibault Renouf : L’entrepreneuriat est une montagne russe, et si on ne trouve pas de satisfaction dans le défi lui-même, on risque de vite s’épuiser. Cultiver la résilience passe par plusieurs choses : savoir prendre du recul, célébrer les petites victoires, s’entourer de personnes positives et garder une vision long terme. Accepter que les difficultés font partie du chemin permet de mieux les vivre et de ne pas se laisser submerger.

Vous citez souvent l’importance de la rapidité d’exécution dans un environnement en mutation. Comment trouver l’équilibre entre vitesse et qualité des décisions ?

Thibault Renouf : La vitesse est un atout, mais elle ne doit pas conduire à la précipitation. Il faut savoir différencier les décisions réversibles (où il vaut mieux agir vite et ajuster ensuite) et les décisions irréversibles (qui nécessitent plus d’analyse). Une bonne pratique est de privilégier des cycles courts d’expérimentation : tester rapidement, mesurer l’impact et ajuster. Chez Partoo, nous avons appris que prendre trop de temps pour valider une décision peut être plus risqué que de la prendre rapidement et de l’ajuster en fonction des résultats.

La levée de fonds et la spéculation sont des sujets récurrents dans votre livre. Pensez-vous que l’écosystème start-up est en train de changer de modèle ?

Thibault Renouf : Oui, clairement. La période des levées massives et de la croissance à tout prix touche à sa fin. La crise économique a rappelé l’importance de la rentabilité et d’une croissance plus saine. De nombreuses start-up qui avaient basé leur modèle sur des levées successives ont dû revoir leur stratégie. Aujourd’hui, les investisseurs recherchent des entreprises capables de générer du cash et de tenir sur la durée. C’est un retour aux fondamentaux : une entreprise doit un jour être viable et générer des bénéfices.

L’intensification de la concurrence est un sujet clé dans Start-up & Down. Quels sont les signaux faibles qui permettent d’anticiper un changement de dynamique concurrentielle ?

Thibault Renouf : Il faut surveiller plusieurs éléments :

  • l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché,
  • l’évolution des attentes clients,
  • les changements technologiques,
  • et les mouvements des investisseurs.

Une erreur fréquente est de se focaliser uniquement sur ses concurrents directs alors que la vraie menace peut venir d’un acteur qui change les règles du jeu. Chez Partoo, nous avons vu comment des changements comme l’essor de l’IA ou de nouvelles régulations peuvent impacter notre marché, parfois de façon imprévisible.

Vous avez vécu l’hypercroissance de Partoo. Quel a été le plus grand défi de cette transformation de start-up en scale-up ?

Thibault Renouf : Le plus grand défi a été de structurer l’entreprise sans perdre l’agilité qui faisait notre force. Passer de 15 à 400 collaborateurs en quelques années implique de repenser totalement son organisation, de mettre en place des process sans alourdir la prise de décision, et surtout, de préserver la culture d’entreprise. C’est un équilibre difficile à trouver. Chaque nouvelle phase de croissance amène son lot de crises de maturité à gérer.

Y a-t-il une crise ou un échec qui vous a particulièrement marqué dans votre parcours et qui a changé votre manière d’entreprendre ?

Thibault Renouf : L’acquisition et la fermeture de Pulp a été une expérience marquante. Nous étions convaincus de l’intérêt stratégique de ce rachat, mais nous avons sous-estimé l’impact du changement de conjoncture économique. Nous avons aussi appris qu’une acquisition ne se résume pas à une intégration financière et opérationnelle : la culture d’entreprise, l’adéquation des équipes et la compatibilité des process sont des éléments cruciaux. Cet échec nous a appris à être plus prudents et à mieux structurer nos décisions d’expansion.

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs qui se lancent aujourd’hui dans un contexte économique incertain ?

Thibault Renouf : Trois conseils :

1. Privilégier la frugalité et la rentabilité : Ne pas se reposer uniquement sur des levées de fonds successives pour financer la croissance, mais construire un modèle économique solide dès le départ.

2. Anticiper les crises comme une certitude, pas une possibilité : Chaque entrepreneur y sera confronté, autant s’y préparer dès le début.

3. Ne pas s’isoler et bien s’entourer : En période difficile, les décisions à prendre sont complexes. Avoir des cofondateurs, des mentors ou des investisseurs qui apportent du recul est une vraie force.

L’entrepreneuriat est plus exigeant que jamais, mais c’est aussi un moment propice pour bâtir des entreprises durables et solides.

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