Sara Baker: “Take back the Tech”

En 2013, la fondation Womanity a lancé le Womanity Award, dans l’optique de soutenir les solutions novatrices et efficaces de lutte contre les violences faites aux femmes, afin de renforcer l’impact et l’envergure de ces programmes. L’édition de 2016 va promouvoir les innovations technologiques qui luttent contre la violence de genre.

Business O Féminin: Comment a démarré Take Back the Tech! Et comment cette initiative a-t-elle évolué?

Sara Baker: APC a un programme spécifique sur le droit des femmes qui se concentre sur différents contextes liés à la technologie et au sexe et la campagne Take Back the Tech! en fait partie. Take Back the Tech! est née de la recherche qu’APC a effectuée sur l’accès à la technologie et les expériences des femmes dans ce domaine.

L’étude a montré qu’il y avait un réel problème dû à la violence sexiste sur les plateformes tech et que ce problème n’avait toujours pas été adressé -en particulier au niveau mondial. Take Back the Tech! a été lancée pour encourager les femmes et les jeune filles à se réapproprier la technologie, et de dire “Oui, nous avons nous aussi le droit d’être ici.”

Au départ, cela a commencé par une campagne de collaboration entre des gens de différents pays et depuis, la campagne s’est étendue à plus de 30 pays. Nous voulons vraiment pousser la discussion autour de l’accès, la liberté d’expression, et la violence envers les femmes dans le monde, mais un peu plus dans les pays du Sud, où les enjeux sont plus pressants.

Il est étonnant de voir combien la campagne a grandi et l’attention qu’elle a attirée. L’année dernière, nous avons mis l’accent sur le secteur privé, y compris les plates-formes comme Facebook et Twitter, pour les encourager à vraiment comprendre les expériences des femmes sur leurs sites. Cela a attiré l’attention des médias et du public au niveau international. Ce sujet est sur la table maintenant – il est formidable de voir les gens partir de cela pour en discuter plus formellement.

Business O Féminin: Comment le monde en ligne et le monde « réel » se recroisent-ils quand il s’agit de violence de genre ?

Sara Baker: Je pense que les gens ont cette idée en tête qu’internet est un monde totalement différent du monde « réel » et que les choses qui s’y passent sont séparées. Ce n’est tout simplement pas vrai. La séparation est souvent invisible, inexistante, ou floue. Nous sommes confrontés à la difficulté de faire comprendre aux gens que la violence en ligne est une vraie violence, au même titre que les autres manifestations de violence, et qu’elle n’est pas du tout distincte. Les mêmes normes de genre et dynamiques de pouvoir inégales qui mènent à la violence dans le monde « réel » sont les mêmes, et parfois même amplifiées, en ligne.

Les gens peuvent être victimes de violence de la même personne en ligne et dans le monde réel. La technologie joue un grand rôle dans la violence exercée par un partenaire intime, au travers des webcams, des médias sociaux, du contrôle de téléphones mobiles par exemple – il y a beaucoup plus de possibilités qu’avant à ce niveau-là. Nous avons une carte sur Take Back the Tech! où les gens peuvent signaler des actes de violence et vous vous rendez compte qu’il n’y a plus grande différence entre les incidents en ligne et dans le monde réel.

La violence en ligne est comme toute autre forme de violence psychologique. Elle affecte la vie quotidienne des gens. Nous voulons que les gens se rendent compte de ce qui arrive aux femmes en ligne, dans le cadre de ce continuum de violence. C’est tout à fait pertinent pour les jeunes adultes. Elles feront l’expérience de toutes ces formes.

Business O Féminin: Il semble que souvent ceux qui ont le moins accès à la technologie sont ceux qui sont les plus marginalisés. Comment prend-on en compte l’accès (ou son absence) dans les initiatives qui utilisent la tech pour aider davantage de victimes?

Sara Baker: Il y a deux cent millions de femmes de moins que d’hommes en ligne. Même lorsque les victimes ne disposent pas d’accès à la technologie, elles peuvent le devenir à cause de la technologie. On le remarque fréquemment quand des caméras de portables sont utilisées pour filmer ou photographier les femmes sans leur consentement. Take Back the Tech! essaie de former les femmes en matière de sécurité numérique pour qu’elles puissent se protéger une fois qu’elles y ont accès.

Nous gérons également FTX, le Feminist Tech Exchange. Beaucoup de professionnels de la tech ne comprennent pas combien d’éléments sexospécifiques impactent la technologie. Beaucoup de féministes et de militantes du droit de la femme font un très bon travail, cependant, elles ne savent pas encore utiliser la plupart des outils tech disponibles. Take Back the Tech ! est une initiative qui les rassemble pour les encourager à travailler ensemble.

Business O Féminin: Take Back the Tech! est devenue un lieu de rendez-vous pour ceux qui souhaitent se rencontrer et travailler de façon inclusive, comment naissent les solutions?

Sara Baker: Les femmes ont été exclues et victimes de discrimination dans le monde de la technologie depuis si longtemps, et celles qui en ont fait l’expérience ressentent un réel manque de soutien. Je pense que lorsque vous les réunissez, vous créez un système de soutien, elles y trouvent des gens prêts à reconnaître et alimenter leurs idées, et qui célèbrent le rôle des femmes dans la technologie.

Beaucoup de gens voient la technologie comme une chose masculine et quand nous nous réunissons, nous contestons cela. Nous mettons également en question les dynamiques qui créent la violence envers les femmes. Toutes ces questions sont intimement liées. Nous ne pouvons pas lutter contre la violence sans aborder l’accès ou le rôle des femmes dans la technologie ou bien des sujets comme la gouvernance de l’internet.

Business O Féminin: Quel impact ce travail a-t-il eu sur votre parcours personnel en tant que féministe?

Sara Baker: Quand j’ai commencé à travailler à APC, j’étais formée en violence sexiste. J’ai compris en quelque sorte le rôle que la technologie commençait à jouer. Cependant, je n’étais pas vraiment une personne tech à la base! Travailler sur le project Take Back the Tech! a été une expérience d’apprentissage formidable pour moi. Je possède une compréhension plus profonde de la technologie et de ses aspects sexospécifiques. La technologie fait partie de notre vie quotidienne – presque chaque minute est concernée !- et maintenant je comprends comment les sujets sur lesquels je travaillais, prennent forme en ligne. Le plus grand changement pour moi est que je ne suis pas seulement quelqu’un qui défend la justice de genre, mais je suis une militante des droits de l’internet et une militante des droits de communication.

Interview par Fondation Womanity. 

 

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