(Re)dessiner les mobilités des jeunes Français

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Ce printemps 2020 aura été placé sous le signe du confinement et de la fermeture des frontières. Les opportunités permises par la « mondialisation heureuse » sont suspendues. Si le monde qui naîtra de cette crise reste encore à imaginer, celle-ci agit d’ores et déjà comme le révélateur des fractures de la société. Dès lors, n’est-ce pas le moment de prendre pleinement conscience que la magie de la mobilité – qu’elle soit locale, nationale ou internationale – ne profite pas à tous, loin s’en faut ? Profitons de l’après crise sanitaire pour en (re)dessiner collectivement les dynamiques, en particulier celles à destination des territoires fragiles et de leur jeunesse.

Ils avaient réussi à décrocher un stage à Paris à Lyon ou à Singapour pour la première fois loin de leur village natal, un échange Erasmus dans une université européenne après une adolescence dans un quartier populaire, ou une mission dans une ONG en Asie. Du jour au lendemain, leur expérience a été annulée. Ils sont restés confinés là-bas ou sont rentrés brutalement chez leurs parents. C’est le cas de Marie, qui avait dû travailler dans un restaurant à Besançon durant tout l’été dernier pour pouvoir mettre de l’argent de côté et financer billet d’avion et logement à Copenhague. C’est aussi le cas de David qui avait décroché un stage dans une banque à Londres après des mois de processus de sélection. Comme pour des milliers d’autres étudiants, l’aventure tourne court pour eux. Alors que pour eux cette expérience de la mobilité était déterminante, ils ne savent pas encore s’ils pourront reprendre là où tout s’est arrêté. mobilités 

La perte de mobilité dans le cadre du confinement semble être la même pour tous. Il n’en est rien. Il faut dire que confinement ou pas, les jeunes issus des quartiers populaires ou des zones rurales demeurent souvent exclus des dynamiques de la mondialisation. En 2019, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire évaluait ainsi à 42% la proportion de jeunes issus d’origine modeste à être partis à l’étranger pendant leurs études, contre 70% dans les milieux favorisés. Une mobilité limitée qui se perçoit aussi à l’échelle nationale : en 2016, 21 % des jeunes ont dû renoncer à une formation, en raison de l’éloignement et de difficultés de déplacement.  mobilités 

Cette crise doit être l’occasion de repenser et de réinventer les mouvements des jeunes Français à travers une politique ambitieuse et volontariste de la mobilité. Car continuer d’assigner à résidence ces millions de jeunes pourrait agir comme une bombe à retardement.  mobilités 

Le sociologue Jean Viard, dans son ouvrage Un nouvel âge jeune, Devenir adulte en société mobile propose d’instituer un voyage de dix jours en France pour chaque jeune de 16 ans, afin « que chacun découvre la mobilité et connaisse les hauts lieux symboliques de notre pays ». C’est en effet par-là que nous pourrions commencer, en comprenant bien qu’un jeune Français doit d’abord se sentir autorisé et encouragé à circuler librement à travers son propre pays pour pouvoir ensuite envisager, pourquoi pas, une expérience à l’international. mobilités 

À l’échelle du pays, la période estivale, pourrait devenir un laboratoire de la mobilité. Pas forcément cet été, si les conditions sanitaires ne le permettent pas, mais le suivant. Cela permettrait d’une part, de compenser les incertitudes des milliers d’étudiants pour qui tout a été suspendu en raison du confinement, et d’autre part de donner la possibilité à chaque collégien ou lycéen de bénéficier d’une première expérience de la mobilité et de l’engagement dans une autre région que la sienne. Grâce à la mise à disposition des internats et des cités universitaires, un lycéen d’Asnières-sur-Seine pourrait venir passer deux semaines dans la Drôme au service d’une association qui agit pour le développement durable, quand le jeune Drômois ferait de même à Bordeaux. Un programme qui, bien organisé et structuré, permettrait à chacun d’échanger avec des jeunes issus d’une même classe d’âge aux origines territoriales diverses, de rencontrer des professionnels incarnant des parcours différents et de découvrir une région et ses opportunités académiques puis professionnelles. 

Il n’en demeure pas moins que l’expérience internationale doit elle aussi s’ouvrir plus largement aux jeunes Français. Elle est déjà en partie permise grâce à l’existence de nombreux programmes de mobilité. Grâce à Erasmus + ce sont plus de 57 087 étudiants et 23 722 apprenants issus de la formation professionnelle qui ont pu partir à l’étranger en 2019. Le dispositif Volontariats de Solidarité Internationale (VSI) permet également à près de 2000 jeunes Français de réaliser, chaque année, une expérience de volontariat à l’international. Toutefois, ces chiffres ne peuvent pas agir comme un leurre. Ce sont seulement 12% des 17-23 ans qui, au cours des cinq dernières années, ont passé un semestre ou une année à l’étranger.

Insuffler à notre jeunesse les moyens de bouger plus facilement à travers le territoire français et au-delà de ses frontières, c’est permettre à ces jeunes de s’ouvrir à des richesses nouvelles et de, progressivement, devenir familiers d’une mobilité qui ouvrira leur champ des possibles et les rendra plus libres. Gageons que l’assignation à résidence induite par le confinement agisse en ce sens comme un déclic pour les pouvoirs publics sur ce thème encore insuffisamment traité.

Gabrielle Légeret, Secrétaire générale de Chemins d’avenirs


 4. Erasmus + en 10 chiffres, https://www.touteleurope.eu/actualite/erasmus-en-dix-chiffres.html
5. Rapport d’activité 2018 de France Volontaires. https://www.france-volontaires.org/app/uploads/2019/07/RA-FV-2018.pdf
6.  Fondation Jean-Jaurès, Institut Français d’Opinion Publique, Chemins d’avenirs, Jeunes des villes, jeunes des champs : la lutte des classes n’est pas finie, note de la Fondation Jean-Jaurès – Enquête auprès des 17-23 ans, octobre 2019

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