Olivia Putman : le design en héritage

Après une jeunesse à 100 à l'heure, c'est avec talent et passion qu'elle dirige aujourd'hui le Studio Putman créé par sa mère.

C’est dès son plus jeune âge, au contact d’une mère qu’on surnomme « la grande dame du design », Andrée Putman, et d’un père éditeur d’art et collectionneur malgré lui, qu’Olivia Putman se forme inévitablement au goût des belles choses et à l’esthétique. Elle a longtemps cherché à se démarquer de cette mère si brillante, mais on ne peut s’empêcher d’établir des points communs entre elles.

Une voix grave, un regard qui vous aimante, un charisme qui impressionne… : comme Andrée, Olivia est de celles qui en un coup d’œil savent qui vous êtes et ce que vous voulez. Elle partage aussi avec sa mère un goût prononcé pour la modernité, un côté touche-à-tout, un caractère bien trempé qui l’a retenue de rejoindre le Studio Putman, jusqu’à ce qu’elle en prenne les rênes en 2007. N’en déplaise aux mauvaises langues qui l’avaient à l’œil lorsqu’elle a officiellement succédé à sa mère, cette fille « de » a su faire ses preuves.

Les années « Palace »

A l’adolescence, elle s’engouffre avec frénésie dans ce que l’on a appelé a posteriori « les années Palace ». Dès 14 ans, elle forme une petite bande avec son ami Christian Louboutin et tape dans l’œil de Fabrice Hemer, gérant de la boîte de nuit qui aime la façon qu’ils ont de danser plus que la clientèle habituelle et de se déguiser. Il ferme les yeux sur leur jeune âge. Olivia Putman se frotte dès lors à toute la scène artistique mondiale qui s’y déplace pour faire la fête.

Elle y croise Yves Saint Laurent, Andy Warhol et tant d’autres : « Je les regardais comme des grands. Cela me fait froid dans le dos car mon fils aîné vient d’avoir 14 ans. Je me demande comment ma mère pouvait trouver cela normal de me croiser dans des lieux pareils… La liberté que j’avais était incroyable. Elle était assez spécifique à ma famille mais à l’époque également. » Car Andrée Putman, infatigable mondaine, était également de toutes les fêtes, de tous les défilés et de tous les vernissages. Elle fut l’une des grandes figures du Palace pour qui elle inventa des décors.

Durant ces nuits endiablées, Olivia Putman fera de nombreuses rencontres. Certains, comme Christian Louboutin ou le décorateur Vincent Darré, sont restés, d’autres pas. Quoi qu’il en soit, ils étaient tous spéciaux : c’était la marque de fabrique de l’endroit et ce qui l’a rendu si mythique. C’est probablement de cette époque qu’elle tire son besoin de liberté et d’indépendance qu’elle appliquera plus tard en se mettant à son compte en tant que paysagiste.

Jean-Michel Basquiat, l’ami

Sa vie semblait toute tracée mais bien que sa mère souhaite qu’elle rejoigne son cabinet, c’est vers des études d’histoire de l’art qu’elle se tourne dans un premier temps. Elle débute sa vie professionnelle en tant qu’agent d’artistes et rencontre ainsi Jean-Michel Basquiat lors du dîner de vernissage de sa dernière exposition, lancée par Andrée Putman.

Une amitié fulgurante naît entre eux : « C’était quelqu’un de très bavard mais en même temps de très silencieux. Il aimait qu’on soit à côté de lui lorsqu’il peignait dans son atelier new-yorkais. » Elle passe ainsi beaucoup de temps à le regarder créer. « C’était mes derniers instants de naïveté avant de me lancer véritablement dans le monde du travail. » L’artiste meurt en août 1988. L’amitié aura été forte mais de trop courte durée.

« Usine Ephémère »

C’est certainement cette relation exclusive qui lui donnera l’envie de promouvoir des créateurs émergents et de tracer sa propre route. Avec deux amis, elle crée l’association « Usine Ephémère », qui récupère des lieux désaffectés en voie de démolition pour les transformer en ateliers d’artistes. « En 1989, le mécénat culturel n’existait pas. Nous avons réussi à obtenir des conventions de la mairie de Paris et du ministère des Affaires Etrangères car nous créions des ponts avec des pays étrangers et même des sponsors qui trouvaient chic l’idée d’être liés à des expositions de jeunes artistes. Nous avons eu trop de succès trop vite et paradoxalement nous avons grandi trop rapidement. »

Le temps du paysagisme

Très vite, Olivia commence à organiser des expositions sur le « land art ». Cherchant des fonds pour des artistes peignant des paysages, elle passe beaucoup de temps à l’extérieur et découvre une certaine forme de liberté, dont sa mère elle-même est si friande. Elle mord à l’hameçon et se lance dans le paysagisme. Christian Louboutin aura été un acteur majeur de cette reconversion.

Il l’emmenait tous les week-ends à la campagne chez un ami commun et ils en profitaient pour refaire tout le jardin. « C’est grâce à lui que j’ai découvert ce que signifiait vraiment planter un jardin. » Elle apprend sur le tas et reprend en 1995 des études par correspondance. Elle réussit à obtenir un brevet de technicien supérieur. Elle collabore pendant deux ans avec le paysagiste Louis Benech et contribue, entre autres, au réaménagement du Jardin des Tuileries, au cœur de Paris. Elle travaille ensuite sur quelques projets avec sa mère puis se lance seule.

L’heure de la relève

Olivia Putman a toujours su qu’elle grandissait au côté d’une mère inclassable, talentueuse, mais dont elle connaissait aussi les fêlures. Ainsi, bien qu’indépendante, Andrée Putman ne se remettra jamais vraiment de son divorce d’avec le père de ses enfants qui restera pour toujours, l’homme de sa vie. Olivia comprend très vite qu’il lui faut vivre sa vie et mettre à distance cette mère qui pourrait l’empêcher de se révéler à elle-même. Elle attendra ainsi 2007 avant de rejoindre le cabinet d’Andrée Putman.

Elle répond en fin de compte à une urgence. Sa mère a 83 ans et, aussi « bon petit soldat » qu’elle puisse être, comme Olivia aimait la qualifier, il est désormais temps pour elle de passer le flambeau. « Il fallait qu’il y ait un sens à tout ce qu’elle avait bâti. On ne savait pas ce qu’allait devenir son bureau après elle. » Au début, Olivia ne devait qu’installer ses bureaux de paysagiste mais très vite, elle s’intéresse de près aux activités du studio. C’est le début de la transmission.

MADE collection Putman

Dans le cadre du « French May » débute à Hong Kong une exposition sur le thème de « la transmission mère fille » dont sa mère et elle sont les protagonistes. « Pour sa réalisation, j’ai dû replonger dans nos archives. Il y a des photos, des films, ce qu’elle a créé, ce que j’ai créé, des liens entre les choses… » Une histoire commune en filigrane.

Le Studio Putman

Aujourd’hui, la renommée et le succès du Studio ne se démentent pas. Olivia Putman s’impose la même rigueur dans son travail que sa mère avant elle. Elle aime aussi jongler entre différents univers : le mobilier, les luminaires, les objets… “C’est ce qui rend la vie gaie », dit-elle. Enfin, elle apprécie désormais ce travail dans la rapidité, contrairement au paysagisme : « Je trouve merveilleux de pouvoir dessiner une tasse et de me faire envoyer trois jours après une stéréolithographie. Je peux grâce à une imprimante 3D voir à quoi elle ressemble, son ergonomie… »

L’architecte d’intérieur avoue avoir une préférence pour les créations d’hôtels et de bureaux comme ceux qu’elle a faits pour la Fédération Nationale des Travaux Publics qui occupe un immeuble entier rue de Berry à Paris. Pourtant, elle aimerait parfois qu’on lui propose autre chose, comme des restaurants : « Dans la profession nous sommes spécialisés malgré nous. Nous, nous avons la chance de faire des hôtels. J’ai des amis qui font le même métier que moi et qui rêvent de faire des hôtels mais à qui on ne propose que des restaurants. »

Elle ne se plaint pourtant pas tant les projets affluent. Ainsi, en juin prochain, elle inaugurera un boutique-hôtel dans un palais du XVIIIe siècle à Minorque, sur une citadelle entre la ville et la mer. Elle planche également sur plusieurs résidences privées et sur un deuxième partenariat de vaisselle avec la maison Deshoulières, qui sortira en septembre.

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SOFITEL

Pas le temps de chômer donc pour cette infatigable qui a su imprimer sa marque et aime à souligner qu’elle n’a jamais appelé « de la part d’Andrée » pour obtenir quelque chose. La suite… Elle  reste à écrire, mais voilà déjà une belle histoire de transmission entre mère et fille.

Ombeline Paris

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