Avec Managers toxiques : mode d’emploi, Adeline Perez s’attaque à un problème répandu mais souvent ignoré dans le monde de l’entreprise : la gestion des dirigeants toxiques. En combinant la théorie du DISC et des témoignages concrets, elle dresse le portrait de ces managers qui empoisonnent la vie au travail. Dans cette interview, elle explique comment reconnaître les différents types de managers toxiques, les conséquences de leurs comportements sur les équipes, et les stratégies à adopter pour s’en protéger, voire les “apprivoiser”.
Quels sont les principaux types de managers toxiques que vous décrivez dans votre livre, et comment les reconnaître ?
Adeline Perez : Certains boss ne sont pas toxiques et pourtant il est difficile de travailler avec car ils fonctionnent différemment de vous. J’approche ces profils via la théorie du DISC (rouge jaune vert bleu). D’autres encore sont temporairement en difficulté. Celui qui n’est pas méchant, mais tellement sous l’eau qu’il en oublie d’être humain. Ou encore celui qui a été promu sans formation et sans aucun soutien de sa hiérarchie… Ils font de leur mieux, mais c’est pas ouf…
Les vrais managers toxiques vont vous donner la boule au ventre, ils ne se remettent pas en question, ils cherchent à asseoir leur supériorité, leur ego, ils trouvent du plaisir à vous humilier un peu beaucoup à la folie, ils ont le pouvoir et vous êtes une victime potentielle.
Avez-vous des exemples concrets ou des études de cas dans votre livre qui illustrent comment des managers toxiques ont impacté des équipes spécifiques ?
Adeline Perez : Les témoignages des interviewes illustrent ces impacts. On voit que peu importe son niveau dans l’entreprise, sa personnalité, son métier, son industrie, on souffre tous d’une mauvaise relation avec son boss. Certains ont changé de métier, d’autres d’industrie, d’autres y restent et serrent les dents.
J’ai en tête l’histoire de Kate qui m’a particulièrement touchée. Son boss était un pro de la politique. Il contrôle son ego, donc il est très difficile à repérer. Il manipule son équipe avec une maîtrise exceptionnelle. Il devient leur ami, leur confident, les invite aux évènements de famille, mariage, etc… Mais derrière, c’est des coups de poignards dans le dos. Il règne une tension angoissante qui leur a fait tous perdre confiance en eux. Les gens perdus ne démissionnent pas car ils ont peur. Donc, pas de turnover dans cette boite. Ce genre de boss détruit psychologiquement les gens un par un. Il faut partir dès qu’on a compris le piège.
Pouvez-vous expliquer les principaux conseils que vous donnez pour « apprivoiser » un manager toxique ?
Adeline Perez : Selon le profil, des stratégies sont possibles. Seule la personne dans la situation pourra juger de ce qui est possible a l’instant T. Il y a sa personnalité à elle, celle de son boss (qui peut cocher plusieurs cases bingo) et la culture d’entreprise à prendre en compte.
Voici les profils qui ressortent le plus de mes interviews :
- Le boss dans l’action : Il est pas forcément toxique, il est juste là pour faire le taf (profil rouge dominant). Lui, vous pouvez lui parler et il peut prendre le recul pour ajuster son style de management. Ce profil a pas le time pour le relationnel, donc il faut lui parler chiffres, objectifs et résultats. En venir au fait sans lui faire perdre de temps avec les détails ou votre état émotionnel. C’est pas personnel, juste business only (pour moi c’est assez dur, mais une fois que j’ai eu la grille de lecture, c’est passe facile).
- Le boss à l’ego surdimensionné : Le roi soleil aime la lumière et ne la partagera pas. Ne brillez pas trop si vous ne voulez pas finir sur la Black List. Ne le contredisez jamais en public, ne le prenez pas en frontal. Soyez subtil et nourrissez l’ego a petites doses. Quand il faiblira, ce sera votre moment pour “shine bright like a diamond”. Construisez votre réseau. Regardez le sien, il a formé des alliances, il est fort en relationnel (par intérêt certes mais bon). Ne vous rapprochez jamais trop de lui, gardez votre vie perso le plus secrète possible.
- Le colérique violent : Il y a urgence à réagir et à vous protéger. Il règne aussi grâce à la loi du silence. Documentez tout ce qui dépasse les bornes. Préparez votre CV et postulez ailleurs, vite vite. Quand vous êtes prêtes, écrivez des mails circonstanciels suite à une agression verbale ou physique. Écrivez à l’inspection du travail. Sauvez-vous. Faites une thérapie vous êtes surement à bout. Courage.
Quels conseils donneriez-vous aux leaders pour éviter de devenir eux-mêmes des managers toxiques ?
Adeline Perez : Le fait de se poser cette question, c’est déjà très bon signe. Le vrai manager toxique ne voit pas le problème chez lui mais chez tous les autres (ils sont tous faibles, c’est des victimes, des Ouin Ouin, ils ont pas les épaules, etc…).
- Passer du temps avec ses équipes (N- 1 et N- 2) et demander du feedback sur son style de management, éviter de rester au-dessus de la mêlée en écoutant uniquement les opinions de ses subordonnés directs par exemple.
- Faire de sa santé mentale une priorité. Si vous allez mal, cela va forcément rejaillir sur vos équipes a un moment ou un autre. Coach, psy, méditation… prenez soin de vous.
- Mettre de côté son ego. Être leader est une responsabilité. Il y a de l’humain à gérer, vous ne pouvez pas juste être le chef qui dit quoi faire et tout le monde obéit. Au plus ça va aller, au moins ce style sera possible.
Comment les employés peuvent-ils gérer leur propre stress et préserver leur bien-être lorsqu’ils travaillent sous un manager toxique ?
Adeline Perez : J’aimerais leur dire de juste se barrer… Mais souvent y a des factures à payer, et bizarrement on hésite. On peut aussi être paralyse par la peur de l’inconnu (et si c’était pire ailleurs ?), ou on a perdu confiance en soi (je retrouverai rien de toute façon), etc… Donc dans ce cas-là, il faut affronter. Le fait de voir son manager dans un des profils aide à mieux comprendre. Et le cerveau aime comprendre car il y a une sensation de reprise du contrôle (même si vous n’avez encore rien mis en place).
Ensuite, le conseil des RH et avocats interviews est de documentez tout ce qu’il se passe. Gardez des traces écrites, écrivez vos ressentis dans un journal intime (ce qui vous prouvera que vous n’êtes pas folle quand la mauvaise foi du boss entrera en jeu : quoi ? moi ? mais j’ai jamais dit ça !).
Parlez avec vos collègues de confiance, entourez-vous de vos amis, famille, coach, psy, etc… vous n’êtes pas seule !
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels qui aspirent à devenir des leaders, pour qu’ils ne tombent pas dans les travers du management toxique ?
Adeline Perez : L’un des points forts de la génération Y et Z, c’est de voir la santé mentale comme quelque chose de non négociable. Ils sont nombreux à avoir cette capacité à prendre du recul et à être bienveillants. Plus compréhensifs, ils vont endosser un rôle de coach plutôt de que chef. Les choses sont ainsi plus horizontales et respectueuses.
Il faut toujours trouver l’équilibre entre tirer le meilleur de ses équipes tout en posant la structure nécessaire. Être manager est un job très difficile, entre le marteau et l’enclume avec souvent peu de soutien de la hiérarchie et toutes les demandes de ses collaborateurs. Et ils doivent filtrer le stress qui arrive d’en haut pour ne pas mettre tout le monde en burn-out. Tout en gérant sa pression tout seul. Je pense que tous les managers devraient être en thérapie.
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