Comment manager dans un monde fragile : Les conseils de Benjamin Chaminade

manager dans un monde fragile

Alors que l’incertitude domine de plus en plus le monde du travail, les managers sont confrontés à des défis complexes qui redéfinissent leurs rôles. Benjamin Chaminade, auteur de Manager dans un monde fragile aux éditions Gereso, propose dans cette interview une réflexion sur l’importance de l’adaptabilité et de la collaboration dans un environnement VUCA. Il nous livre des stratégies concrètes pour aider les managers à évoluer dans ce nouveau contexte, où l’agilité et la résilience sont devenues indispensables.

Quels sont les principaux défis que les managers doivent affronter dans un environnement VUCA (Volatilité, Incertitude, Complexité, Ambiguïté) ?

Benjamin Chaminade : Déjà, attention, l’environnement VUCA n’est pas un environnement à part. Il s’agit d’une grille de lecture présentant de façon simple, mais pas simpliste, l’environnement actuel. Chaque lettre introduisant les défis auxquels font face les managers et leurs réponses à ceux-ci.

Ainsi, la volatilité remet en cause la stabilité des pratiques et méthodes de management. Les managers doivent s’adapter à des changements rapides et fréquents et assister leur équipe à les comprendre et les accepter. Un projet est abandonné en cours de route, une offre est abandonnée, ce n’est pas le plaisir du dirigeant de perturber votre travail, c’est l’accélération des changements auquel lui-même est soumis.

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L’incertitude rend difficile la prévision et le contrôle de l’environnement de travail. Les managers doivent prendre des décisions avec des informations incomplètes. Le contrôle devient depuis en plus difficile et éprouvant. C’est à vous de choisir vos batailles et d’aider vos collaborateurs à choisis les leurs en phase avec les objectifs à atteindre.

La complexité remet en question la compréhension individuelle du monde et la confiance en soi. Ici, les managers doivent faire face à leur propre confiance en eux de faire face à l’avenir. Même si la parole commence à se libérer sur ce sujet, le syndrome de l’imposteur touche tout le monde, membres du Codir inclus. Le manager doit reconnaître ses domaines d’incompétences et aider son équipe à prendre conscience de ses « appétences et zones de talents ». Nombre de burn-out futurs pourraient ainsi être évités.

L’ambiguïté crée une perte de repères face à des réalités contradictoires et la difficulté à interpréter clairement des situations floues. C’est sans nul doute le sujet le plus difficile pour les managers. Comment créer une équipe en tenant compte des individualités ? Comment maintenir l’engagement avec le télétravail ?

Mais attention, VUCA n’est V+U+C+A ! Il ne faut pas prendre ces défis les uns après les autres comme s’il s’agissait d’une Checklist. C’est avant tout un acronyme structurant qui permet de faire comprendre aux managers sur leur nouveaux rôles et aux collaborateurs sur leurs nouvelles responsabilités.

Vous n’êtes pas sûre de vous, de vos décisions et de votre avenir ? C’est normal ! C’est de l’être qui ne l’est pas.

Pouvez-vous détailler quelques stratégies clés que vous proposez pour naviguer efficacement dans un monde fragile ?

Benjamin Chaminade : Justement, toute l’essence de VUCA, qui est d’origine militaire, est de dire qu’en raison de la rapidité du changement, de l’incertitude de l’information et la complexité de l’environnement et de l’ambiguïté de la situation, il devient difficile d’établir une stratégie et que les décisions doivent être prises par l’opérationnel immédiatement confronté à l’événement. Par contre, cela n’interdit pas de se préparer à la surprise.

Manager dans un monde fragile, Benjamin Chaminade (Ed. Gereso)
Manager dans un monde fragile, Benjamin Chaminade (Ed. Gereso)

Ce qui demande de favoriser la collaboration et l’intelligence collective. Parce que dans le monde VUCA on ne fait pas simple et facile, on fait ensemble ! La collaboration entre managers dans le cadre d’une communauté managériale, et, entre le manager et son équipe sont plus importantes que jamais. Mais encore faut-il que le manger soit formé à l’animation d’atelier créatif et collaboratif.

Cette collaboration vous permet ensuite de planifier pour des scénarios multiples. C’est ce que l’on appelle en bon français le « scenario planning ». Il s’agit d’un exercice d’équipe durant lequel vous identifiez les crises en cours (climat, confiance, sens…) et en déduisez les fragilités qui touchent votre secteur et entreprise. De là, vous pouvez envisager des scénarios ayant des résultats potentiels différents selon les fragilités et pour lesquels vous pourrez proposer des réponses proportionnées.

Ça n’empêchera rien d’arriver mais au moins, vous ne serez pas bloqué quand vous serez surpris par une situation imprévue.

Comment un manager peut-il maintenir la motivation et l’engagement de son équipe face à des défis complexes ?

Benjamin Chaminade : Effectivement, il est très facile de se retrouver découragé par un environnement que l’on ne comprend pas et dont on ne trouve pas le début de la pelote à démêler.

Si vous et votre équipe connaissez déjà vos « appétences et zones de talents » il vous reste 3 actions à mener, pour avancer sans vous « blesser » :

1. Disposer d’une vision claire. Vous ne pouvez plus prédire ce qu’il va se passer mais vous pouvez toujours avoir une vision idéale, claire et comprise par tous. Une vision est une ambition qui peut servir à créer votre manifeste et qui repose sur vos valeurs. Elle donne une direction qui rendra un petit peu plus clair les défis à relever et là façon de les relever.

2. Promouvoir la collaboration. Nous y revenons, le travail en équipe et le partage d’idées doivent être encouragés pour favoriser l’intelligence collective. De nouveau, on ne fait pas simple, on fait ensemble ! Le manager doit assister son équipe à comprendre la situation et à détailler les défis à relever au niveau de leurs responsabilités. Pour cela, pensez comme « Mission impossible » en créant une équipe aux compétences et appétences adaptées et organisez une réunion créative basée sur les scénarios déjà évoqués.

3. Cultiver la résilience. Enfin, une situation VUCA est souvent imprévisible et le risque d’échec est élevé. En tant que manager à vous de faire comprendre et accepter à votre équipe que l’échec est envisageable. Pour cela j’organise toujours en fin de réunion un premortem où l’équipe doit répondre à la question suivante : « Projetez-vous dans 2 ans. Notre action a échoué. Selon vous pourquoi et comment l’éviter ? »

Il ne s’agit plus d’être seulement résilient et de rebondir après un échec ! Si vous l’avez vu venir, vous ne rebondissez pas, vous grandissez.

Quelle est, selon vous, la qualité la plus importante pour un leader dans un monde VUCA ?

Benjamin Chaminade : Difficile question tant ce monde est multipolaire, mais il en ressort essentiellement 4 qualités / soft skills : la curiosité, la proactivité, la résilience et l’humilité.

Mais bon, pour jouer le jeu, celle qui les gouverne tous selon moi est la curiosité. Être curieux consiste à garder les yeux ouverts sur les changements, à explorer de nouvelles idées, à acquérir de nouvelles connaissances et à remettre constamment en question ses connaissances passées et ses pratiques existantes.

Un manager véritablement curieux transcende souvent son rôle pour devenir un leader qui s’engage activement à comprendre les tendances émergentes et à anticiper les évolutions de son environnement. S’il réussit à encourager son équipe à développer cette capacité, en leur accordant du temps pour réfléchir à leur contexte actuel, à son évolution, ainsi qu’à celle de leur métier, rien ne pourra entraver leur progression.

Une personne curieuse deviendra naturellement proactive, résiliente et humble face au changement.

Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux managers pour les aider à se préparer aux défis d’un monde fragile ?

Benjamin Chaminade : D’abord d’identifier rapidement les fragilités qui concernent son secteur, son entreprise, son équipe et ses propres compétences individuelles. Elle doit être consciente de ces fragilités, réelles, probables et potentielles. Ce qui demande de faire un inventaire des fragilités comme j’en ai parlé plus haut mais aussi de prendre en compte « l’écologie du travail » de son entreprise.

L’écologie du travail propose une perspective holistique de l’environnement professionnel et considère le travail comme partie intégrante d’un écosystème complexe. Les éléments de cet écosystème influencent le bien-être, la capacité de faire face et la performance de l’équipe.

Ces éléments sont :

  • L’environnement physique : les espaces, les outils, les technologies, la cantine…
  • L’environnement social : les collègues, les managers, les clients, les partenaires…
  • L’environnement culturel : les valeurs, les modes de management, les règles…
  • L’environnement sectoriel : Les réseaux qui interagissent avec l’entreprise….
  • L’environnement sociétal : démographie, le changement climatique….

Mais ce n’est pas tout, il reste ensuite à inventorier ses forces (compétences, capacités, talents, appétences…) et celles de son équipe pour y faire face. Et là, il ne s’agit pas de
s’arrêter à faire au référentiel de compétence de son équipe. Il faut aller bien plus loin pour que chaque membre de son équipe connaisse les capacités de ses collègues qui complètent les siennes.

Il ne s’agit plus seulement de développer les compétences mais de les aider à connaître les capacités de leurs collègues qui complètent les leurs.

Quels sont les erreurs courantes que les managers doivent éviter lorsqu’ils tentent de gérer des situations complexes et ambiguës ?

Benjamin Chaminade : Parmi les erreurs les plus courantes :

  • S’appuyer uniquement sur son expérience passée pour gérer de nouvelles situations. Sauf que désormais, ce qui a fonctionné dans le passé n’est pas nécessairement adapté à un contexte différent et incertain. Exemple facile, mais à quoi a servi votre expérience en mars 2020 ?
  • Ignorer les signaux faibles et les informations contradictoires. Dans un environnement ambigu, il est crucial de rester attentif à tous les indices, même ceux qui semblent insignifiants et à faire des choix.
  • Prendre des décisions hâtives. Faire des choix bien sûr, mais pas sans avoir suffisamment réfléchis à un plan B, voir un plan « retour en arrière ». Prendre le temps de considérer plusieurs perspectives peut aider à mieux appréhender la complexité.
  • Ne pas se méfier de son biais de confirmation. Ne recevoir que des informations qui confortent une opinion préexistante devrait vous mettre la puce à l’oreille. Rester ouvert d’esprit est essentiel dans un contexte ambigu.
  • Communiquer de manière autoritaire et définitive dans des situations incertaines. Reconnaître l’ambiguïté et impliquer l’équipe dans la réflexion peut conduire à de meilleures décisions.

En fait, ces erreurs n’en sont pas vraiment. Ce sont plutôt des habitudes qui ont fonctionnées jusqu’ici. C’est de garder les pratiques s’hier qui deviennent les erreurs d’aujourd’hui.

Quels changements pensez-vous que les organisations devront adopter pour rester compétitives dans un monde de plus en plus fragile ?

Benjamin Chaminade : Pas un changement mais une transformation culturelle massive qui repose sur des valeurs prenant en compte la fragilité du monde. Pour cela de nombreux chantiers doivent être ouverts en même temps à commencer par le développement d’une culture d’apprentissage continu encourageant la curiosité,
l’expérimentation et la remise en question constante des pratiques établies. Et ce n’est pas nouveau ! on appelle cela « l’entreprise apprenante. ».

Ce qui demande d’investir dans le développement de nouvelles compétences ainsi que la découverte des appétences et la valorisation des soft-skills des collaborateurs. Notamment dans les domaines de la créativité, de l’intelligence émotionnelle, la cocréation et de la pensée critique.

Cela demande aussi de laisser plus de place à l’expérimentation et de valoriser l’échec comme étant une étape sur le chemin de l’innovation. C’est le rôle de ce que j’appelle le manager de niveau 6 ou « Enableship »

Quels sont les principaux enseignements que vous souhaitez transmettre aux lecteurs de votre livre ?

Benjamin Chaminade : Je dirais de prendre en compte que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas demain et ce qui est innovant aujourd’hui sera obsolète plus vite que vous ne le pensez. Ce qui demande de développer la curiosité à tous les étages de votre entreprise, ce qui demande à son tour une certaine organisation pour avoir le temps de l’être et une philosophie de la réussite qui prenne en compte l’expérimentation et l’échec.

Ensuite, que non seulement l’expérience passée n’est plus suffisante pour affronter les défis actuels mais qu’en plus votre expérience ne vous protège plus du futur.

C’est l’humilité et l’ouverture d’esprit qui seront vos atouts de demain. Un leader humble reconnaît les limites de ses connaissances et de son expérience face à un environnement en constante évolution. Il est ouvert aux idées des autres, prêt à admettre ses erreurs et à apprendre continuellement.

En conclusion, ce livre enseigne que le management dans un monde VUCA nécessite une transformation profonde des pratiques et des mentalités. Il invite les managers à embrasser l’incertitude, à cultiver leur agilité et leur curiosité. mais également à adopter une approche plus collaborative et adaptative du leadership.

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