Génération surdiplômée : les millenials ont-ils le syndrome du bon élève ?

millénials, Monique Dagnaud
On entend souvent que la société se divise entre les 1% les plus riches et le reste de la population. Avec leur livre « Génération surdiplômée, les 20% qui transforment la France (Odile Jacob) », la sociologue Monique Dagnaud et le journaliste Jean-Laurent Cassely nous proposent une autre vision. Pour nos deux spécialistes de la génération Y, cette nouvelle couche sociale forme une élite intellectuelle en quête d’un mode de vie plus « désirable ». Au risque de cliver le reste de la société ?

Votre livre porte sur les 20% les plus diplômés de l’hexagone, et plus précisément sur la génération des millenials. On y retrouve aussi bien un professeur, un développeur chez Google, qu’un médecin. Finalement, qu’est-ce qui réunit ce groupe puisque ce n’est pas son pouvoir d’achat ?

Monique Dagnaud : Il est vrai qu’en termes de pouvoir économique, il existe entre eux de grandes disparités. Mais ils partagent tous les mêmes aspirations et peu importe la voie qu’ils choisissent, les diplômés conserveront, avec leur parchemin,  un  capital, un passeport, toute leur vie. Les études longues sont comme un sas initiatique permettant de se construire pendant plusieurs années, et d’ouvrir le champ des possibles en matière de connaissances, de culture et de sociabilité. C’est comme si le monde s’élargissait en vous donnant les clefs pour plus de liberté.

Ensuite, ces millenials surdiplômés se retrouvent tous dans leur quête de mener une vie désirable, conciliant travail, famille et impact positif sur la société. Ils partagent aussi un goût pour la consommation collaborative : j’avais été assez étonnée de constater que le modèle Blablacar et Airbnb soit plébiscité par les classes moyennes et supérieures, alors qu’un de ses atouts est d’être moins cher. Ils ont aussi un attrait pour les circuits courts dans l’alimentation et les produits éthiques et recyclés dans le reste de leur consommation.

D’un point de vue résidentiel, ces millenials très diplômés se concentrent dans certains quartiers où l’on peut trouver des terrasses, de bonnes écoles et une offre culturelle abondante. Certains font le choix de s’installer dans de plus petites villes, mais celles-ci doivent tout de même leur offrir les services conviviaux auxquels ils sont habitués. Ils vont en quelque sorte y reconstruire des petits ilots semblables au 11ème arrondissement de Paris.

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Au niveau politique, une grande partie de ces jeunes a voté Macron en 2017, même si certains sont déçus. On les retrouve plutôt dans le couloir centre droit ou centre gauche, avec pour certains millenials plus contestataires un ancrage à gauche ou chez les verts. Par contre, on ne les retrouve pas dans la droite traditionnelle et encore moins à l’extrême droite.

Peut-on parler d’une génération contestataire ou finalement, reste-t-elle dans un certain modèle de reproduction sociale ?

Monique Dagnaud : En réalité, c’est un peu des deux. Ce qu’on constate, c’est que cette génération surdiplômée provient en grande majorité de la bourgeoisie moyenne cultivée, qu’elle soit parisienne ou provinciale. Si l’on regarde les statistiques des écoles de commerce, grandes ou moyennes, il n’y a quand même qu’une minuscule fraction de boursiers.

Pas étonnant : lorsque ces grandes écoles recrutent, au delà des bonnes notes, elles cherchent à savoir ce que le jeune a accumulé comme expériences, comme savoir-faire et savoir- être en dehors de son cursus scolaire. En revanche, ces millenials, souvent, ne sont pas enclins à reproduire le modèle de leurs parents. Par exemple : un fils de médecin préférera s’orienter vers un nouveau métier issu de la révolution numérique qui lui offrira plus de flexibilité et l’excitation d’appartenir au monde de demain. On observe qu’à la sortie des grandes écoles, surtout les ingénieurs, les jeunes se dirigent en priorité vers les métiers du conseil et de R&D.

Cette quête de flexibilité tend notamment à permettre d’investir pleinement la sphère de la parentalité ?

Monique Dagnaud : La parentocratie est un phénomène vraiment fascinant. Aujourd’hui, être parent, c’est presque devenu un métier. C’est procurer à son enfant des connaissances au-delà du milieu scolaire, une ouverture culturelle, une capacité à juger, converser. Aux Etats-Unis, il existe même des « Word podomètres » pour connaître l’étendue du vocabulaire d’un enfant ! Les millenials tiennent à s’occuper eux-mêmes de leurs enfants et à se rendent très disponibles pour eux.

Comment analysez-vous cet investissement si fort ?

Monique Dagnaud : Aux Etats-Unis, il est courant, chez ces hyperdiplômés, d’allaiter son enfant à un âge avancé ou de le faire dormir longtemps après sa naissance dans la chambre des parents, une vision rousseauiste héritée de la culture hippie. De plus, les méthodes de développement personnel sont aussi appliquées aux enfants. Sans oublier les nouveaux pères, désormais très impliqués.

L’accueil du bébé est réfléchi et documenté. De manière générale, les millenials ont une attitude de bon élève dans tous les pans de leur vie. Ils font plus de sport, mangent plus sainement, sont adeptes du DIY, s’impliquent dans l’éducation… Une injonction à la perfection qui peut les mener au burnout.

Vous dîtes aussi que les réseaux sociaux sont devenus une manière très travaillée de démontrer sa réussite ?

Monique Dagnaud : Les millenials maîtrisent à la perfection l’art du storytelling ! Le récit type, c’est un parcours en grande école, fait de voyages et de rencontres. Puis des choix de vie parfois cocasses qui cassent cette image de premier de la classe –par exemple avec des reconversions inattendues (et éventuellement provisoire) comme prof de surf ou ébéniste.

Quand on a trente ans, le monde est encore ouvert ! C’est vraiment une génération qui n’a pas envie de tout sacrifier sur l’autel du travail, et qui veut multiplier les sources de réalisation de soi. 

Un diplômé d’une grande école peut effectivement se reconvertir en boulanger sans se déclasser ?

Monique Dagnaud : Oui, car il pourra toujours réinvestir les compétences acquises  au long de son parcours. Certains millenials  réinventent des métiers traditionnels comme boulanger, charpentier, plombier.. On a rencontré le cas d’une jeune femme qui, après avoir été cadre de gestion, s’est reconvertie dans la boulangerie à Paris.

Elle a réinvesti ses compétences de gestion et de marketing dans sa nouvelle activité.  Maintenant, elle a des employés et peut dégager du temps personnel pour sa famille. La trajectoire typique qui peut faire rêver. Il faut aussi voir que cette génération surdiplômée rassure les banques et les investisseurs. Autrefois, les personnes qui créaient des entreprises n’avaient pas de diplômes. Le profil d’une partie des entrepreneurs a donc clairement changé.

Dans ces reconversions, c’est avant tout la quête d’impact qui mobilise les créateurs d’entreprise ?

Monique Dagnaud : Avoir un impact positif sur le monde, être aligné sur ses valeurs… Effectivement, ces créateurs d’entreprise ont souvent une vision différente de l’entrepreneur schumpeterien  d’autrefois qui cherchait à dynamiser ses affaires et à être meneur d’hommes. Ils marient l’énergie et la vision nécessaire à la création d’entreprise et  un hédonisme soft visant à se faire du bien à soi et aux autres.

Le reste de la société partage-t-il les mêmes idéaux que cette génération surdiplômée ? La même vision pour demain ?

Monique Dagnaud : L’imaginaire d’une frugalité heureuse portée par ces hyper diplômés n’embraye pas beaucoup sur le reste de la société. Pour les personnes moins diplômées et éloignées des grandes villes, qui ont une vie plus difficile, le minimalisme, le végétarisme ou encore l’éviction des voitures ne s’inscrivent pas dans leurs attentes.

C’est ce qu’a clairement démontré la crise des gilets jaunes. Malgré tout, ces nouvelles catégories demeurent enviées pour leur aisance, leur liberté, leur mobilité. Cela peut créer des jalousies et a minima des incompréhensions car une partie de la population ne peut pas suivre ce modèle désirable.

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

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