Décryptage : les « Yuccies », nouveaux as de l’entrepreneuriat ?

yuccies

Ils sont trentenaires, issus de la génération Y, et n’hésitent pas à troquer leur « bullshit job » pour ouvrir une cantine vegan. Zoom sur les « Yuccies », les Young Urban Creative.

Qu’on se le dise : le hipster est mort. Du moins, le barbu juché sur un vélo à pignon fixe est devenu bien trop mainstream pour qualifier un nouveau sociotype émergeant dans les quartiers gentrifiés de New York. Telle est la conclusion tirée par David Infante, auteur pour Mashable, qui propose le néologisme Yuccies, pour désigner les Young Urban Creative. Le spécimen est à mi-chemin entre le Yuppie, autrement dit le col blanc en poste chez McKinsey, et le hipster qui se nourrit de graines de chia. Sa particularité est qu’il est convaincu que nous pouvons tous faire de nos rêves et passions un business. Qui plus est, un business permettant de conserver un certain confort de vie !

Un rapport décomplexé à l’argent

Car les Yuccies entretiennent un rapport décomplexé à l’argent. « Typiquement, il y a deux types de profils dans la reconversion professionnelle. Ceux qui sont davantage dans la mouvance Colibris, c’est-à-dire qui sont avant tout en quête de sens et vont entreprendre plus par rejet de la société consumériste et risquent donc de rejeter aussi le rapport à l’argent . Et ceux qui vont créer un business et n’auront aucun problème à accepter qu’il devienne lucratif, bien au contraire. La plupart du temps sur Internet car l’investissement de départ est moindre », explique Christian Junod, coach et consultant, auteur des ouvrages  Ce que l’argent dit de vous et Enfin libre d’être soi-même.

Mini Guide Entrepreneuriat

Or, cette nouvelle relation à l’argent vient briser les codes d’antan. Ces Yuccies « cassent le schéma traditionnel qui voulait que l’on monte en grade au sein d’une structure pour avoir un bon salaire. » Cette génération a envie de bien gagner sa vie, et tout de suite.

Se libérer des carcans de la grosse entreprise

Et il n’y a pas que la question pécuniaire qui entre en jeu. Il a aussi celle de la créativité. Adepte de la lecture et des musées, fortement éduqué, les Yuccies entendent bien penser « out of the box » et libérer son potentiel en s’affranchissant des grandes structures où chacun doit rentrer dans le moule. « On attend des gens qu’ils se conforment et non pas qu’ils apportent leur couleur. Les salariés doivent réfréner une partie d’eux-mêmes et tôt ou tard ils étouffent. Pour certains, il va suffire de s’investir dans une passion durant leur temps libre pour ne pas exploser, quand pour d’autres, le trop-plein va s’exprimer via un burn-out », décrit Christian Junod.

A travers nos multiples rencontres avec les startuppeuses, nous avons effectivement pu constater que les grandes sociétés ne faisaient plus rêver. Après un brillant parcours au sein d’HEC Lausanne, et un passage chez L’Oréal et Voyage Privé, Alisée de Tonnac a délaissé son parcours d’élève modèle pour embrasser le monde de l’entrepreneuriat et co-fonder Seedstars World à seulement 24 ans, une organisation qui déniche les meilleures startups dans les pays émergents. « Lorsque l’on entre dans la vie active, que l’on est complaisant, que l’on ne se bouge pas… on déchante vite (…) J’étais habitée par l’envie de réaliser quelque chose de plus grand que moi. Seedstars m’a permis de réunir le voyage, l’entrepreneuriat, et le sentiment de faire quelque chose qui avait un réel impact », nous confiait-elle en mars 2017.

Cette quête de sens intervient de plus en plus jeune dans le parcours professionnel, et c’est sans doute la particularité de cette génération Y. « Il y a un vrai phénomène d’accélération. Autrefois, ces questions intervenaient plus vers l’âge de 40 ou 50 ans », note Christian Junod. Si pour certains comme Alisée de Tonnac, il y a ce désir de changer le monde, pour d’autres, il s’agit simplement d’améliorer leur qualité de vie en passant par exemple davantage de temps avec leur famille, ou en s’autorisant à vivre leur passion à 100%.

Les métiers manuels ont gagné leurs lettres de noblesse

Les reconversions pour les métiers manuels représentent une part non négligeable de ces passages à l’entrepreneuriat. En effet, sur 70 000 reprises ou créations d’entreprises artisanales par an, environ 7000 de ces nouveaux artisans sont titulaire d’un diplôme de haut niveau. Dans son livre « La révolte des premiers de classe », l’auteur et journaliste Jean-Laurent Cassely pointe le ras-le-bol des cadres sup’ qui boudent les fameux « bullshits jobs ». Ce terme écrit par l’anthropologue américain David Graeber désigne ces fameux postes qui plongent leurs détenteurs dans une sensation de vide sidéral. « Le hipster pâtissier est aujourd’hui plus valorisé que le cadre sup’ de la Défense » expliquait Jean-Laurent Cassely parue en juillet dans Le Monde.

« Les gens qui ont fait HEC et obtiennent un CAP ne jouent pas dans la même catégorie que ceux qui ont uniquement un CAP en formation initiale. Ils ont le réseau d’une école de commerce et des compétences qu’ils vont pouvoir valoriser. D’ailleurs ils ne sont pas vraiment en concurrence avec tous les artisans, parce qu’ils se positionnent la plupart du temps sur des offres et des services haut de gamme, destinés à une clientèle avide de trouver du sens dans sa consommation. S’ils sont malins, les établissements vont suivre les aspirations de leurs étudiants. On peut imaginer que dans quelques années les grandes écoles feront des parcours hybrides du type « Bachelor en artisanat urbain » ou « Master entrepreneuriat de proximité », analysait-il.

Diplômée d’un DESS en développement local, Stéphanie Guerre est l’illustration de ce phénomène. A 34 ans, elle passe son CAP pâtisserie. Puis, elle lance son business dans la foulée en 2013 avec l’envie de faire « quelque chose qui lui ressemble et dans lequel elle pourrait s’épanouir ». Elle découvre durant son alternance un milieu passionnant mais aussi difficile dans lequel elle ne s’envisage qu’entrepreneure et non soumise à la hiérarchie. A la tête de MyGatô.fr, Stéphanie vend des gâteaux depuis son site internet. Elle propose également des ateliers cuisine… et forme les candidats libres au CAP pâtisserie !

« J’observe moi-aussi l’engouement pour la pâtisserie puisque j’ai quatre fois plus d’élèves que l’an dernier », explique-t-elle. Le monde de la cuisine a aujourd’hui conquis ses lettres de noblesse. Voire ses paillettes à travers le succès des émissions de télévision, « très loin de retranscrire la réalité du métier », martèle Stéphanie. “Je ne serais jamais arrivée là si je n’avais pas fait d’études et voyagé avant. Cela m’a permis d’avoir une ouverture d’esprit et un bagage suffisant pour créer un concept original“, soutient-elle. Aujourd’hui, l’entreprise de Stéphanie est sur les rails après quelques années de sacrifices.

Le travail passion ne mérite-t-il pas salaire ?

« Lorsqu’ils vivent de leur passion, certains entrepreneurs peuvent avoir du mal à considérer qu’ils méritent d’être bien payés. Pourtant, c’est tout l’inverse : on devrait encore mieux payer les gens qui font bien leur travail parce qu’ils le font avec passion », affirme Christian Junod. C’est souvent le cas des artistes qui ne parviennent pas à s’évaluer, des journalistes, photographes, créateurs de mode… La force des Yuccies serait-elle justement cette capacité à allier plaisir et rentabilité ?

@Paojdo

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