Dans son ouvrage La clé de soi aux éditions Jouvence, Damien Catani questionne notre rapport aux objectifs et à la réalisation de soi. Entre méthode et philosophie, son approche interpelle : l’accomplissement personnel est-il une destination à atteindre ou une quête infinie ? Et surtout, comment dépasser les obstacles, internes et externes, pour libérer son potentiel ? Interview.
Selon vous, l’accomplissement de son potentiel est-il un but final ou un processus continu ? Peut-on réellement “atteindre” son plein potentiel ?
Damien Catani : L’approche par les objectifs n’est pas un chemin linéaire avec une origine et une destination finale fixe. Elle doit plutôt être envisagée comme une boucle continue, un cycle perpétuel d’action et de réflexion, de tir et de recalibrage, qui nous pousse non seulement à viser plus juste. Mais surtout à nous connaître plus profondément.
Au début, l’excitation de réussir, de frapper en plein centre de la cible, peut sembler être le but ultime. Il y a une satisfaction indéniable dans la précision, dans le fait d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Mais au fur et à mesure que nous nous engageons dans cette danse entre l’action et la réflexion, une révélation se fait jour : réussir n’est qu’une partie de l’équation. Plus profondément, notre démarche vise à comprendre le processus même par lequel nous visons, à découvrir jusqu’où nous pouvons tendre la corde de notre arc, et à reconnaître la main qui la tend.
Le véritable but de l’approche par objectifs n’est donc pas la réussite en soi, mais la connaissance de soi qu’elle engendre. Qui sommes-nous lorsque nous visons ? Quelles forces, quels désirs, quelles peurs guident notre main ?
Dans cette boucle continue, chaque cycle d’objectifs atteints ou manqués est une occasion d’apprendre, sur l’efficacité de nos stratégies, et surtout sur nous-mêmes. C’est dans le processus d’alignement de nos actions avec nos aspirations les plus profondes que nous découvrons notre véritable essence. C’est un voyage intérieur, une exploration de l’âme autant qu’une quête extérieure.
Est-ce que le potentiel de chacun est limité, ou bien peut-on sans cesse repousser les frontières de ce que l’on est capable de réaliser ?
Damien Catani : Il n’y a qu’en se donnant la chance d’essayer qu’on peut explorer une telle question. Bien sûr, nous avons des limites physiques ou biologiques, et je ne courrai jamais le 100m en 9 secondes. Cependant, lorsque j’acquiers une certaine connaissance de moi-même grâce à l’approche par les objectifs, je suis capable de déterminer avec discernement dans quels domaines je peux et souhaite encore repousser les frontières de ce que j’ai réalisé jusqu’ici. Ces domaines dans lesquels je peux encore évoluer ne sont pas les mêmes tout au long de la vie. J’aurai probablement du mal à courir le semi-marathon plus rapidement à 60 ans que je ne le faisais à 20 ans, mais la qualité de mon écriture aura probablement gagné en densité.
Au-delà des buts particuliers que l’on se donne, l’approche par les objectifs est un miroir dans lequel on ne cesse de se découvrir et sur ce front de la connaissance de soi, qui m’apparaît comme le but ultime. Il est possible de toujours repousser les frontières.
Selon vous, pourquoi est-il si difficile pour beaucoup de gens de se fixer des objectifs clairs et de s’y tenir ?
Damien Catani : Je vois deux raisons à cela. La première, c’est que le travail d’introspection nécessaire en amont, et dont il est question dans la première partie de La clé de soi, « S’accorder », n’est pas effectué avec suffisamment de diligence. Or il s’agit de plonger profondément en soi pour appréhender sa trajectoire de vie, ses échecs, ses réussites, ses envies et se donner des objectifs qui nous motivent réellement. La deuxième raison, c’est le manque de cadre méthodologique. Les individus ont généralement des objectifs qui ne sont pas fixés avec suffisamment de précision. Ils n’ont pas de démarche claire pour suivre leurs objectifs dans le temps, en mesurant les progrès avec des outils appropriés, et en analysant les résultats pour recalibrer les objectifs en continu. Ce qui est essentiel pour qu’un objectif reste vivant.
Quels sont les obstacles internes les plus fréquents que les gens rencontrent lorsqu’ils tentent d’atteindre leur potentiel (peur de l’échec, manque de confiance, etc.) ? Comment peut-on les surmonter ?
Damien Catani : Je n’ai pas de statistiques sur la question et ne pourrai répondre qu’à travers ce que je peux observer de manière anecdotique autour de moi. Les individus n’ont souvent pas conscience de la finitude de l’existence et de la chance unique qu’ils ont d’explorer leur potentiel. On repousse à plus tard la rencontre avec soi, dans un futur fuyant. Ensuite, nous croyons souvent manquer de temps pour ces choses importantes alors que nous en perdons tant pour des poursuites futiles.
Il y a la peur aussi. La peur de se donner vraiment les moyens d’y arriver et de faire notre maximum. Car là, dans un moment de vérité, nous verrons jusqu’où nous pouvons aller. Peut-être préférons-nous nous bercer d’illusions en n’éprouvant jamais qui nous sommes. Enfin, il y a la vanité. Nous refusons souvent de faire le constat de notre médiocrité à l’instant t, ce qui nous empêche de progresser. L’atteinte de notre potentiel implique une grande humilité, et pour nous élancer plus haut, il faut savoir reconnaître d’où nous partons.
Les obstacles seront différents pour chacun. Il n’y a qu’en nous mettant en route que nous pourrons les découvrir et les surmonter.
Comment faire la différence entre une limite réelle et une croyance limitante qui freine l’accomplissement de soi ?
Damien Catani : Est-une une question si importante ? N’avons-nous pas que les limites que nous nous donnons ? La seule manière de répondre à cette question est sans doute de se mettre en route.
Dans La clé de soi, votre méthode repose-t-elle sur une discipline stricte ou y a-t-il une place pour la flexibilité et l’adaptation au fil du temps ?
Damien Catani : La méthodologie que je propose dans La clé de soi est bien cadrée, mais cela ne signifie pas qu’elle est figée. L’adaptabilité au fil du temps est même une caractéristique fondamentale de l’approche par les objectifs. Ce n’est pas une flèche que l’on tire une fois pour toutes sur une cible figée. On tire sa flèche, on voit où elle arrive. On déplace la cible, on s’en rapproche, on s’en éloigne, on change d’arc, etc… Les objectifs ne sont pas gravés dans le marbre. Ils viennent s’intégrer dans une boucle de feedback et sont en permanence redéfinis en fonction des résultats que l’on atteint.
Comment vos conseils peuvent-ils s’appliquer aux différentes sphères de la vie (professionnelle, personnelle, sociale) ?
Damien Catani : L’approche par les objectifs est une approche « agnostique » dans le sens où l’on peut l’appliquer indifféremment à différentes sphères de la vie. Qu’ils soient par exemple sportifs, professionnels ou sociaux, les objectifs ont la même structure. On peut les poursuivre ensemble de manière transversale avec le même cadre méthodologique.
Il est même recommandé de considérer l’ensemble des sphères de notre vie lorsqu’on se donne des objectifs. Notre temps, notre énergie, nos économies, etc… : nos aspirations dans différents domaines consomment les mêmes ressources limitées. Adopter une perspective globale sur notre vie permet une navigation plus fluide et plus équilibrée, garantissant que rien d’essentiel n’est négligé, et offrant une clarté d’ensemble qui accroît notre efficacité. Les différents domaines de notre vie sont interconnectés, et la réussite dans l’un peut encourager des avancées dans d’autres. Être conscient des frictions ou des synergies qui existent entre les différents champs est essentiel.
Dans une approche globale, on fera sans doute la part belle à l’hygiène de vie. Quels que soient nos objectifs et nos aspirations, il est crucial en effet de garder à l’esprit l’importance du sommeil, de la nutrition et de l’activité physique. Il serait judicieux, lorsque nous recensons nos aspirations, d’inclure des objectifs pertinents dans ces domaines. Ou au moins de les inclure dans notre champ de vigilance.
Pour quelqu’un qui se sent bloqué ou en échec dans un aspect de sa vie, quels seraient vos premiers conseils pratiques pour amorcer un changement positif ?
Damien Catani : J’invite chacun à trouver les réponses en soi, et me méfie des réponses toutes faites tant les situations individuelles peuvent varier. C’est d’ailleurs ce que je cherche à faire à travers La clé de soi. Je ne dis pas au lecteur ce qu’il doit faire, je ne lui tends pas une partition en l’invitant à la jouer. Je lui propose un solfège pour qu’il construise lui-même.
Personnellement, lorsque je me suis senti bloqué dans la vie, c’est en réalisant une profonde introspection et en repartant des choses les plus simples, en particulier l’activité physique, que j’ai pu avancer.
Quelles sont les erreurs ou les fausses idées que l’on a souvent sur l’accomplissement de soi ?
Damien Catani : L’erreur la plus commune consiste peut-être à considérer l’accomplissement de soi comme un bonus alors que c’est une nécessité. Chercher et révéler qui nous sommes est le sens de la vie. Ce n’est pas une tâche parmi d’autres que nous pouvons repousser ad vitam, c’est notre seule mission réellement urgente.
Une autre erreur essentielle est de vouloir la fin sans se donner les moyens, et de chercher des raccourcis pour s’accomplir rapidement, sans trop d’effort, alors que la réalisation de soi exige un engagement profond. Plus qu’un projet dans la vie, c’est un projet de vie.
Dans un monde où le “toujours plus” est souvent valorisé, comment trouver un équilibre entre l’ambition et la sérénité ?
Damien Catani : La satisfaction ne dérive pas uniquement de l’accumulation de biens ou de la réalisation d’objectifs. Plutôt de l’équilibre entre nos aspirations et ce que nous avons déjà accompli ou possédé. Le bonheur durable, qui procède d’une harmonie entre nos désirs et nos réalisations, est souvent entravé par « l’insatiabilité de l’aspiration ». Nous sommes constamment à la recherche de plus, sans jamais prendre le temps d’apprécier ce que nous avons déjà. Et en même temps que nous atteignons certains de nos objectifs, nous en concevons d’autres, dans une course sans fin.
Si l’on définit la satisfaction comme le rapport entre ce que nous avons et ce que nous désirons, il est important de ne pas s’engager dans une fuite en avant, avec des désirs toujours nouveaux. Il s’agit donc d’élaguer et de viser juste lorsqu’on liste ses aspirations, en lâchant prise lorsque c’est judicieux. On peut ainsi se donner moins d’objectifs mais poursuivre chacun d’eux avec plus d’intensité.
Pour ne pas s’inscrire dans une course sans fin d’acquisition permanente, il s’agit de travailler également sur l’intégration harmonieuse de nos poursuites, de nos réussites et de nos échecs, au sein de notre vie quotidienne.