Ancienne trader devenue militante pour l’égalité au travail, Clara Moley nous partage comment la maternité, l’initiative et l’acceptation de l’inconfort ont transformé sa carrière. Dans la réédition de son ouvrage Les Règles du Jeu aux éditions Dunod, elle livre ses conseils pour gagner en visibilité, négocier efficacement, saisir les micro-moments et développer un esprit stratégique au service de sa progression professionnelle.
C’est la seconde édition de votre livre Les Règles du jeu, et depuis la première édition, vous êtes devenue mère. Qu’est ce que cela a changé dans votre manière d’aborder votre vie professionnelle ?
Clara Moley : La maternité a profondément transformé ma relation au temps. Mes journées sont plus courtes, donc je suis devenue beaucoup plus efficace. Cela m’a aussi réconciliée avec l’imperfection : je ne cherche plus à donner le maximum à chaque fois, mais à être « suffisamment bonne ».
Ce qui compte, ce n’est pas la perfection, mais la régularité, la créativité et la progression. On gagne à comprendre ce qui est réellement attendu par son entreprise et ses collègues, plutôt que de s’épuiser à tout donner.
La maternité m’a également rendue plus affirmée dans mes négociations. Je ne négocie plus seulement pour moi, mais aussi pour ma famille. Cela m’a donné de l’assurance et une vraie assertivité, que ce soit pour demander une augmentation, du télétravail ou des horaires adaptés.
Vous rappelez dans ce livre que l’entreprise n’est pas l’école, que le bon travail ne suffit pas pour réussir et être promu. Quels sont les facteurs clés de succès ?
Clara Moley : Le travail seul ne suffit pas. Il faut rester dans le paysage mental des autres. Nos collègues et notre hiérarchie ne savent pas toujours ce sur quoi nous travaillons : c’est à nous de le rendre visible. Cela passe par des gestes simples du quotidien : partager l’avancement d’un projet, poser des questions en réunion, informer de ses résultats.
Un autre facteur clé est de considérer l’entreprise comme une ressource. Il ne s’agit pas seulement de subir son environnement, mais d’aller y puiser des opportunités : rencontrer des personnes inspirantes, se rapprocher de projets stratégiques, demander à participer à une réunion qui nous intéresse.
Enfin, la réussite repose sur l’initiative. Ne pas attendre passivement une récompense pour son travail, mais oser demander, proposer et chercher activement ce qui sert nos objectifs.
Vous évoquez l’importance des « micro-moments » qui font toute la différence pour arriver à ses objectifs professionnels. C’est-à dire ?

Clara Moley : Une carrière n’est pas faite que de grandes étapes comme une promotion ou une augmentation. Ces étapes sont en réalité la conséquence d’une multitude de micro-moments : conversations informelles, réunions, coups de téléphone, interactions quotidiennes.
C’est à cette échelle que nous avons le plus de pouvoir. Plutôt que de se projeter uniquement vers des objectifs lointains, il faut regarder ce qu’on peut faire ici et maintenant : parler à sa hiérarchie, exprimer un désaccord, demander une mission, partager une information.
Ces micro-actions sont peu risquées, accessibles à tous, et elles construisent sur le long terme une trajectoire solide et visible.
Vous prônez la transgression, et notamment d’assumer de ne pas plaire, d’être un peu « grande gueule« . N’est-ce pas à double tranchant ?
Clara Moley : La transgression ne veut pas dire se forcer à être grande gueule. C’est simplement refuser la passivité. À partir du moment où une femme dit « je veux plus de responsabilités », « je veux une augmentation », ou « je ne suis pas d’accord », elle prend le risque de déplaire.
Le but n’est pas de défier le système, mais de chercher son espace de liberté dans un cadre existant. Le monde du travail laisse officiellement une place aux femmes, mais de manière limitée : il existe encore un moule implicite de « comment une femme doit être au travail ». En sortir est inconfortable, mais nécessaire.
L’important n’est pas d’attendre la disparition de nos peurs ou du syndrome de l’imposteur. Ces doutes restent. Le vrai enjeu est d’apprendre à avancer avec eux, sans les laisser décider pour nous.
L’un des messages de votre livre est de se mettre au centre et de cultiver son esprit de stratégie. Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Clara Moley : Trop souvent, nous passons notre temps à deviner ce que les autres attendent de nous. À l’inverse, il faut partir de soi : qu’est-ce que je veux apprendre ? Avec qui ai-je envie de travailler ? Quelles compétences je souhaite développer ?
L’esprit stratégique, c’est accepter que tout ne se vaut pas. Certains projets sont formateurs et visibles, d’autres beaucoup moins. On peut choisir de mettre plus d’énergie là où cela nous fait grandir, plutôt que de donner le maximum partout. Ce n’est pas négliger son travail, mais allouer intelligemment ses efforts pour progresser et avancer.
Comment lutter contre un boss qui prend tout le crédit de votre boulot ?
Clara Moley : Tout dépend du contexte. Si l’on fait face à un manager réellement toxique, la meilleure option est de s’extraire de la relation, voire de quitter le poste.
Mais s’il s’agit simplement d’un manager qui prend un peu trop de crédit, la solution est de transformer le problème en demande constructive. Plutôt que de l’accuser, on peut dire : « J’ai adoré travailler sur ce projet. J’aimerais gagner en visibilité et présenter les résultats moi-même. Penses-tu que je pourrais le faire lors de la prochaine réunion ? »
Poser une question plutôt qu’une accusation est une technique imparable : cela fait passer le message tout en valorisant l’autre.
Quelles sont vos conseils pour bien parler d’argent, que cela soit salaire d’embauche ou augmentation ?
Clara Moley :
Premier conseil : ne pas tout miser sur l’entretien annuel. Il faut parler d’argent régulièrement, même de façon informelle, en posant des questions : « Comment se passent les évolutions ici ? », « À quelle période sont décidées les augmentations ? ».
Cela permet de :
- Obtenir des informations utiles.
- S’habituer à parler d’argent, tester les réactions.
- Envoyer le signal que ce sujet est important pour nous.
Deuxième conseil : ne pas prendre personnellement les mauvaises réactions. L’argent est un sujet sensible, souvent lié à l’histoire personnelle des gens.
Enfin, en négociation, certains recommandent de donner une fourchette : le montant idéal, celui qui rend très heureux, et le seuil minimum en dessous duquel on ne peut pas aller. Cela aide l’autre partie à mieux se situer et augmente les chances d’obtenir une offre satisfaisante.
Quelles sont les trois compétences fondamentales à avoir pour progresser dans sa vie professionnelle ?
Clara Moley :
- La débrouillardise : être capable de trouver des solutions, même imparfaites, plutôt que de viser la perfection.
- La capacité à accepter de déplaire : c’est une compétence qui change tout, car elle libère de la peur du regard des autres.
- Être « suffisamment bon » : savoir où s’arrêter, ne pas donner son maximum inutilement. Cela économise temps et énergie, et permet de garder une dynamique de progression plus fluide.