L’empowerment ou l’art de la transgression

art de la transgression

En ce mois de l’égalité où se multiplient les événements pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre les violences faites aux femmes en France, on peut se féliciter que le 8 mars soit passé en quelques années de la journée de la rose rouge à celle de l’engagement. Un vrai enjeu pour les entreprises, les associations, les partis politiques qui se mobilisent à coup de campagnes et de rendez-vous extraordinaires, et un coup de projecteur bienvenu pour « la grande cause du quinquennat ». 

Preuve d’ailleurs que le thème de l’égalité est devenu incontournable : lui aussi a ses marronniers. 

Guide Dev Persot

Pour le monde du travail par exemple, « le syndrome de l’imposteur », « le syndrome de la bonne élève », « savoir dire « non » », « concilier sa vie pro et sa vie perso » sont passés en quelques années d’angle mort des questions de société, au statut de sujets battus et rebattus.

Et l’on tient là le grand paradoxe de l’empowerment : les freins intérieurs qui entravent les femmes sont clairement nommés depuis des décennies, définis par la science dans leur complexité, identifiés par les femmes elles-mêmes au quotidien et pourtant, ils persistent. La réalité des femmes n’évolue pas ou si peu, et les syndromes de l’imposteur ou de la bonne élève continuent de les entraver, invaincus. 

En effet, si nos freins intérieurs résistent, ce n’est donc pas par manque d’information ou d’outils pour les combattre. Le challenge est ailleurs : pour s’affirmer, il faut transgresser. C’est donc pour cette raison que c’est si difficile. 

L’empowerment ou l’art de la transgression

La femme qui dit « je »

Pour une femme, il n’y a pas d’affirmation de soi sans transgression. Il n’y a pas de poursuite de ses ambitions, de ses désirs, d’accomplissement plein et complet de ses talents sans désobéissance.

On trahit toujours. On trahit la figure lisse et droite que l’on attend de nous, conciliante et sensible, sympathique et d’humeur égale, pour qui la réussite personnelle passe après l’harmonie du groupe, la représentation inconsciente de ce que doit être une femme, notre repère de bonne conduite, notre bonne élève intérieure. Une femme qui demande transgresse, une femme qui négocie transgresse, une femme qui dit « non » transgresse.

Elle transgresse parce qu’elle dit «je ». L’empowerment est une affirmation de soi. On sort du bois, on s’affranchit. Quand une femme dit « je veux plus d’argent », « je veux être promue », « non », « ceci est mon travail », elle dit en réalité « je veux », « je désire », « j’ai de l’ambition », « je suis ». Elle dit « je ». 

Et preuve qu’il s’agit bien là d’une transgression, plus une femme s’affirme, moins elle est appréciée. Ce coût imputé à la réussite des femmes s’explique par ce que les sciences cognitives nomment « biais de genre », ou encore « biais cognitifs ». Les nombreuses études à leur sujet, en particulier le célèbre Harvard Business Case « Heidi and Howard » les définissent comme le biais par lequel une même attitude d’affirmation de soi sera perçue positivement si elle vient d’un homme, négativement si elle vient d’une femme.

Un homme qui négocie ? Un employé sûr de lui qui sait ce qu’il vaut. Une femme qui négocie ? Une employée intéressée qui n’a pas froid aux yeux. Un homme fait jouer son réseau pour obtenir une promotion ? C’est un homme d’influence. Une femme fait de même ? Une utilitariste. Un homme dit « non » ? C’est de Gaulle ! Une femme dit « non » ? C’est Thatcher. 

On ne pardonne pas aux femmes de s’affirmer. Ces biais sont notre ligne rouge. Ils nous disent « Halte là, on ne passe pas, interdit ! Vous y allez quand même ? Et bien sachez que vous le paierez de votre capital sympathie. Que vous agacerez, serez perçue comme une emmerdeuse, que vous risquez le jugement de vos pairs, le rejet de votre hiérarchie, et que ce désamour ira proportionnel à votre degré de réussite ! ». Pas étonnant que les femmes demandent moins, et moins souvent. Pas étonnant que nous restions en retrait, le pied sur la sourdine, bien au chaud avec notre bonne élève. 

Oser transgresser

Mais finalement, le plus grand risque n’est-il pas celui de ne pas oser être cette femme qui dit « je » ? Aucune grâce n’est jamais rendue aux conciliantes. Être bonne élève, se conformer, obéir est un pari sûr à première vue, c’est la garantie de vivre une carrière en demi-teinte. Et c’est l’immense frustration de passer à côté de sa vie professionnelle. 

Ainsi, l’horizon est où le ciel s’éclaircit, où nous sommes déchargées du poids de nos syndromes et de nos doutes, où notre légitimité est acquise et où tout peut enfin commencer est une illusion. 

Transgresser est et sera toujours difficile. Acceptons l’inconfort de rompre avec notre bonne élève.

Acceptons l’inconfort de dire « je veux », « mon ambition est de », « je désire », « je suis compétence pour », d’être maligne plutôt que parfaite, de fixer nos limites, de monter en première ligne, de prendre la lumière, de ne pas être appréciée de tous, acceptons qu’il peut y avoir des vagues, parfois même du chaos, et que s’affirmer est un effort et une conquête. 

Ne pas être celle que l’on attend de nous est une liberté que personne ne nous donnera. Prenons-la.

Demandons, Mesdames, négocions, initions, faisons valoir, menons, proposons, disons « non », disons « je », transgressons, transgressons !

Clara Moley

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