Claire Gibault ou l’ode à la volonté

Claire Gibault ou l’ode à la volonté

Elle est l’une des rares à exercer un métier qui se conjugue habituellement au masculin. Claire Gibault fait partie des 70 femmes chefs d’orchestre au monde pour une profession qui compte plus de 5000 praticiens.
A 67 ans, la Française peut ainsi se targuer d’avoir été la première femme à prendre la direction de la Scala à Milan. Puis, de l’Opéra de Washington à l’Orchestre Mozart de Bologne, la musicienne a levé sa baguette dans de nombreux pays.
De retour en France, elle décide, après un passage en politique, de rédiger sa propre partition en créant le Paris Mozart Orchestra. L’occasion de mettre ses musiciens en harmonie avec ses principes égalitaires et féministes.

Comment êtes-vous devenue chef d’orchestre ?

J’ai commencé le piano à 5 ans, le violon à 7 ans et, à partir de 13 ans, j’ai été violon solo du Conservatoire du Mans. Puis, je suis passée au rôle de chef d’orchestre en commençant par diriger les copains.

Vous avez toujours baigné dans cet univers. Votre père était musicien !

Oui. D’ailleurs, il me faisait travailler le violon et le solfège à la maison.

Une femme chef d’orchestre, est-ce une sorte de révolution sociale dans l’univers de la musique ?

Les études montrent qu’il y a beaucoup de femmes dans les écoles de musique ainsi que dans les Conservatoires. Mais pendant longtemps, beaucoup de classes leur étaient interdites. Ce n’est qu’après 1950 que certaines disciplines leur ont été ouvertes. Ainsi, la direction d’orchestre par des femmes n’est venue que très tardivement. Tout comme la clarinette, qui est le dernier instrument à s’être féminisé dans l’orchestre.

Pourquoi ?

Les sociologues expliquent que c’est le seul instrument que l’on met complètement dans la bouche. A une époque, c’était donc jugé très inconvenant pour les musiciennes. D’une manière globale, tous les instruments qui nécessitent de la salive, de la sueur, du touché, du frappé, ou quelque chose de charnel n’ont été reconnus convenables pour les femmes que très très tard. Avant, c’était indécent. Prenez l’exemple du violoncelle. On devait en jouer en amazone. C’était trop dangereux autrement !

Vous avez été l’une des premières femmes chefs d’orchestre. En 1969, France Soir a d’ailleurs titré quelque chose d’assez drôle à votre sujet !

Il y avait une grande photo de Neil Armstrong, accompagnée de la phrase : « Un homme a marché sur la lune ». En-dessous, ils avaient mis ma photo avec écrit « une femme a dirigé un orchestre ». J’ai eu un peu honte en comparant la disproportion des exploits mais bon… Tout ça nous ramène humblement à ce que l’on attendait des femmes.

C’est si difficile que cela pour une femme d’être chef d’orchestre ?

L’exploit est de vaincre les résistances et tous les enjeux symboliques. Mais en soi, être danseuse par exemple est beaucoup plus difficile que d’être chef d’orchestre !
Dans ce métier, on est exposé physiquement, on a du pouvoir, on reçoit de la gloire et en principe, on est bien payé. Autant d’éléments qui vont à l’encontre de certains stéréotypes de la représentation féminine : la discrétion, ne pas se mettre en avant, éviter de transpirer ou de se démener de façon violente. Or, la direction d’orchestre a une expression physique qui est assez puissante.

Le monde de la musique est en fait très conservateur, à tel point que certaines auditions se déroulent derrière des paravents afin de limiter les discriminations. De votre côté, comment vous habillez-vous quand vous dirigez un orchestre ? Avec une queue de pie ?

J’ai un peu tout essayé. D’abord, comme je ne voulais pas jouer sur des qualités physiques quand j’étais toute jeunette, je mettais des pantalons noirs avec des tuniques noires, pour ne utiliser la séduction féminine. Mais il y a des moments où j’ai dirigé en robe longue du soir. A vrai dire, la mode actuelle est très bien parce qu’elle n’est ni trop masculine ni trop féminine, il y a une forme d’androgynie. Quand on fait des métiers très physiques, je pense qu’il ne faut pas exposer les formes de son corps. On est là pour emmener le public dans une forme d’émotion artistique et musicale. Je pense qu’il ne faut pas que ce soit troublé par d’autres formes de séduction charnelle.

Vous avez dirigé les plus grands orchestres du monde. Vous avez notamment été la première femme à la tête de l’orchestre milanais de la Scala en 1995. Bizarrement, c’est en France que vous avez eu le plus de mal à vous faire une place. Comment l’expliquez-vous ?

La France est particulièrement machiste en ce domaine. C’est le seul pays en Europe où l’on n’a aucune femme à la tête d’un grand orchestre.

Vous avez donc été, malgré votre CV long comme le bras, confrontée directement à ce fameux plafond de verre !

Oui, absolument. J’ai donc créé mon propre orchestre, ma propre entreprise, car toutes les statistiques qui nous arrivaient d’Europe prouvaient que pour que les femmes aient la direction d’institutions ou d’entreprises culturelles, il fallait qu’elles créent leurs propres entreprises. En France, c’est totalement vrai.

Cette sorte de discrimination a servi de catalyseur à la création de votre propre orchestre, le Paris Mozart Orchestra.

Oui. J’ai compris qu’en France, je n’avais rien à attendre rien des institutions. J’ai ainsi décidé de créer mon entreprise dès que j’en ai eu la possibilité.

Quelle est la spécificité de votre orchestre ?

Tous les musiciens qui en font parti ont signé pour la parité homme/femme aux postes de responsabilités. Cela ne signifie pas qu’il y a autant d’hommes que de femmes dans mon orchestre.
Prenons l’exemple des solistes qui sont des postes clés. Ce sont eux qui doivent être concernés par la parité. Cela, tous les musiciens hommes et femmes du Paris Mozart Orchestre l’on accepté comme principe.
Il y a aussi l’égalité de salaire entre tous les musiciens et moi-même. Cela nous permet une fraternité, une convivialité.

Conseilleriez-vous aux femmes confrontées au plafond de verre en entreprise de créer leur propre structure ?

Même si ce n’est pas facile dans cette conjoncture, je crois qu’il faut se lancer, il faut créer son entreprise. Sinon, personne ne vient vous chercher.

Peut-on faire un parallèle entre la direction d’un orchestre et le management d’une entreprise ?

Oui. Etre un chef d’orchestre, c’est mettre en valeur les personnes avec lesquelles vous travaillez. Sans eux, vous n’êtes rien. C’est une complémentarité qu’il faut installer entre nous tous. La première qualité du chef, qui sans doute devrait être aussi celle d’un manager, c’est de savoir écouter des propositions. C’est à vous de mettre un esprit, d’unifier le style, de donner une dynamique générale. Un peu à la manière d’un DRH finalement.

Vous avez été députée européenne (UDF-PDE) de 2004 à 2009. Pourquoi vous être lancée en politique ? A priori, on pourrait considérer que l’engagement politique est à l’opposé de l’engagement artistique !

Je n’avais jamais fait de politique et je n’avais pas du tout envie de m’engager. Je n’avais jamais assisté à un meeting, je n’avais jamais été encartée nulle part. La proposition d’être sur une liste m’a été faite parce que j’étais connue. On a voulu utiliser ma notoriété. C’était un moment pour moi de remise en cause personnelle car il y avait ce plafond de verre qui me faisait souffrir. J’ai donc accepté cette proposition. Mais je n’ai pas supporté le fonctionnement d’un parti politique.

Que ne supportiez-vous pas ?

Nous, les artistes, sommes habitués à être les plus authentiques possibles, à nous donner complètement, à nous mettre à nu. Nous allons chercher nos émotions très loin en nous. Dans les partis politiques, on nous demande de ne pas tout dire, de cacher certains sujets, de cibler les électeurs. Les musiciens, eux, ne ciblent pas les auditeurs. Nous sommes au service d’une partition. Mon engagement en politique était ainsi totalement incompatible sur le long terme avec mon métier.

Peut-on établir des points communs entre un homme politique et un chef d’orchestre ?

Le chef d’orchestre a un pouvoir de politique culturelle. C’est pragmatique. Ce ne sont pas des mots. On choisit. Avec le Paris Mozart Orchestra, on va jouer dans les banlieues les plus éloignées de la culture. C’est un choix de partager, de transmettre et d’aller vers des populations qui a priori pensent qu’assister à un orchestre, ce n’est pas pour elles. Donc ça, ce sont des choix de politique.

Si on prend un homme politique et un chef d’orchestre, peut-on dire qu’ils ont en commun le goût de la domination, le fait de tenir les rênes, l’appétit du pouvoir ?

Je crois plutôt que les chefs d’orchestre sont plus proches des pédagogues que des hommes politiques. Notre plaisir est celui de transmettre avant tout. Je ne crois pas que ce soit de dominer. Nous, nous devons dominer et non imposer.

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