Barbara Belvisi, l’entrepreneure qui a décroché la Lune

Barbara Belvisi

En 2027, une rose devrait être déposée sur la Lune grâce à elle… Barbara Belvisi n’a jamais oublié la petite fille qu’elle a été et qui avait la tête dans les étoiles : cette entrepreneure a lancé Interstellar Lab, une start-up développant des serres qui reproduisent un environnement contrôlé. Le but ? Faire pousser des plantes au sein d’un mini-climat autonome adéquat… sur Terre ou dans l’Espace. Ce double business model fait mouche : la société a levé 10 millions d’euros depuis sa création en 2020 ; 12 en comptant le soutien de la BPI, est en train de séduire des géants du cosmétique… et bien au-delà.

Quelle est l’origine de votre lien avec l’espace ?

Barbara Belvisi : Depuis que je suis enfant, je suis fascinée par l’espace. Mes trois sœurs et moi avons été bercées par Le Petit Prince ainsi que par nom nombre de livres de science-fiction, comme Fondation d’Isaac Asimov ou alors Chroniques martiennes de Ray Bradbury. Le rêve de la vie sur d’autres planètes a toujours été ancré en moi.

Pourtant, plutôt que d’opter pour des études scientifiques, vous avez suivi un cursus en école de commerce. Comment s’est opérée votre orientation ?

Barbara Belvisi : Au lycée, j’avais un bon niveau en mathématiques, en biologie et en chimie. Par contre, pendant trois ans, j’ai eu de très mauvaises notes en physique : le courant ne passait pas avec ma professeure. À ma grande tristesse, je n’ai donc pas pu entamer une formation d’ingénieur… et me suis rabattue sur l’EM Lyon.

Mini Guide Entrepreneuriat

Vous occultez votre goût pour l’espace pendant quelques années, en travaillant d’abord dans des fonds d’investissement. À quel moment décidez-vous de vous lancer dans l’entrepreneuriat ?

Barbara Belvisi : J’ai commencé ma carrière en officiant pour la holding de Casino et Monoprix à la gestion de portefeuilles. Puis, après un crochet par le private equity à Londres, j’ai réalisé que je préférais collaborer avec les gérants et patrons sur la stratégie de leurs entreprises. Je me suis peu à peu éloignée des grosses structures pour me rapprocher des start-ups. Dans cet univers, j’ai retrouvé ce qui me passionnait : la technologie, l’intelligence
artificielle, les sciences…

Bref, je suis passée de la société cotée à la start-up… alors qu’en général c’est l’inverse ! À ce moment-là, après six années de salariat, j’ai décidé de monter mon fonds d’investissement.

Vous avez donc été d’abord une entrepreneure de la finance avant de lancer Interstellar Lab… Comment votre intérêt pour l’espace a-t-il repris le dessus ?

Barbara Belvisi : En 2017, je pars de mon fonds avec l’idée de construire ma propre start-up et créer un produit apportant une solution sur Terre. Mes grands-parents polonais étaient agriculteurs et avaient des serres : par instinct, je me suis tournée vers les nouveaux systèmes permettant de faire pousser des plantes. Comme je ne suis pas ingénieure, je passais des heures à me former en ligne… Puis, cette même année, Elon Musk débarque avec Space X, expliquant être capable de construire des fusées réutilisables. Son discours sur l’exploration spatiale réveille mes rêves de petite fille !

Je me souviens avoir été un peu tiraillée : devais-je innover pour la Terre ou l’espace ? L’une de mes sœurs m’a soufflé une idée : « pourquoi tu ne ferais pas les deux ? » J’ai trouvé sa remarque pertinente et ai continué à me documenter autour des applications terrestres de technologies spatiales. L’idée de notre serre, baptisée biopod, est venue comme cela.

Votre projet sort des sentiers battus… Comment vous êtes-vous lancée ?

Barbara Belvisi : Au début, dans les milieux français de l’entrepreneuriat et de la finance, on me rétorquait qu’il fallait tout arrêter, que ce que je proposais n’avait aucun sens, que tout était bien trop compliqué… Pour couronner le tout, on me rappelait que je n’avais pas la formation pour…

Heureusement, j’avais quelques amis aux États-Unis. Le fonds que j’avais monté disposait d’une antenne à San Francisco. Il se trouve qu’à cette époque je repartais de zéro à la fois dans ma vie professionnelle, mais également personnelle. Sans attache à Paris, j’ai donc décidé, avec mes trois valises, de m’envoler outre-Atlantique. Deux amies, l’une à San Francisco, l’autre à Los Angeles, m’ont hébergée. Comme moi, elles travaillent aussi dans l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies : elles m’ont présenté pas mal de monde ! De fil en aiguille, j’ai ainsi pu rencontrer des ingénieurs, des professionnels de l’espace, des employés de Space X…

Vous vous forgez un réseau au point d’être soutenue par la Nasa… Racontez-nous.

Barbara Belvisi : Quand je suis arrivée aux États-Unis, je n’avais plus grand-chose à perdre… et donc de l’énergie à revendre. Dès qu’on voulait me présenter quelqu’un, je disais « oui ». Par ailleurs, je passais mon temps à écumer les conférences sur l’espace, même les plus confidentielles. Petite anecdocte : par ce biais, j’ai réussi à échanger avec Jeff Bezos.

J’ai recueilli un maximum d’avis sur le sujet, rencontré des influenceurs de l’espace qui croyaient en moi… Je retravaillais quasiment tous les soirs mes croquis et mon concept. Forcément, au bout d’un moment, les portes se sont ouvertes ! J’ai croisé des professionnels de la Nasa qui m’ont parlé de l’un de ses programmes : le « space portal ». Cette structure rassemble des profils qui ne viennent pas de l’espace, mais portant des projets valides. Pendant un an, sans les financer, la Nasa les accompagne, notamment en les mettant en lien avec des ingénieurs spécialisés.

Je me suis retrouvée avec un petit bureau au sud de San Francisco. Je croyais à peine ce qui m’arrivait, c’était surréaliste ! À ce moment-là, j’ai formé une équipe avec deux anciens de la Nasa et deux anciens de Space X. Ensemble, nous avons élaboré les premiers concepts d’Interstellar Lab.

Interstellar a aujourd’hui un pied en France, le deuxième aux États-Unis. Pourquoi ?

Barbara Belvisi : En réalité, il s’agit d’un accident ! Début 2020, je me rends à Paris pour des raisons administratives… Au moment de repartir, le Covid en décide autrement ! Bloquée en France, je n’envisage pas pour autant de ne rien faire et décide de monter une antenne ici. Le confinement terminé, je m’installe à Station F… Cette fois-ci, l’accueil de l’écosystème est radicalement différent. Les investisseurs nous prennent au sérieux. Au final, je constitue une équipe française, tout en gardant ce que j’ai construit aux États-Unis : la France pour le
terrestre, l’Amérique pour le spatial !

Restons en France pour le moment ! Quels sont vos grands axes de développement ?

Barbara-Belvisi-with-BioPod_1_credit-Matjaz-Tancic Barbara Belvisi : Parmi nos clients, nous comptons notamment Robertet, spécialiste des arômes et des parfums, ou L’Oréal. Nous avons la capacité de cultiver dans nos serres des plantes recherchées pour leurs formules ou dont l’approvisionnement est compliqué. L’idée, dans une optique de relocalisation de la production, est de faire pousser des variétés qu’on trouve plutôt dans des climats tropicaux.

Bien sûr, nous faisons cela en ayant conscience de tout un tas de paramètres : nous avons travaillé sur la vanille avant de suspendre cette activité. En effet, certains pays ne vivent qu’à travers son exploitation. Notre but n’est pas de fournir une solution qui appauvrit… Nous faisons attention aux pans sur lesquels on se positionne.

Quid des espèces en voie de disparition ?

Barbara Belvisi : Cela fait partie de nos enjeux de 2025 ! Nous avons opéré quelques tests pour faire pousser des espèces menacées. Nous espérons, à terme, disposer d’un programme sponsorisé par une ONG.

Côté spatial, votre technologie doit permettre aux astronautes de se nourrir en mission. Vous nous en dites plus ?

Barbara Belvisi : Grâce à notre système de culture, nous avons décroché des contrats dans le spatial, notamment avec la Nasa : le but est de mettre en place, grâce à nos serres, un système de production de nourriture, lors de longues missions dans l’espace.

Par ailleurs, Interstellar Lab a noué un partenariat avec la Fondation Antoine de Saint-Exupéry dans le cadre de la mission Petit Prince, programmée en 2027. Nos biopod, contenant des roses, seront déposés sur la Lune et voyageront dans le Starship de Space X.

Quand vous expliquez ce que vous faites lors d’un dîner par exemple, vos interlocuteurs sont-ils dubitatifs ?

Barbara Belvisi : De moins en moins ! On me croit plus volontiers maintenant qu’il y a deux ans… d’autant que la question de l’espace s’immisce dans le débat public, notamment sous l’impulsion de Space X et du nouveau patron de la Nasa.

Côté français, pas mal de start-ups du spatial sont créées. Néanmoins, notre pays a loupé le coche du développement de la fusée réutilisable. Mais nous avons de bons ingénieurs donc rien n’est fini ! Ce n’est pas parce qu’un concurrent émerge que l’on perd le leadership à jamais…

En tout cas, ma conviction est que, désormais, tout va aller très vite : dans pas si longtemps que cela, nous allons revivre la frénésie de l’Homme sur la Lune avec l’Homme sur Mars !

Claire Bauchart

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