Artips : l’histoire de l’art version ludique

Curieuse et audacieuse, Coline Debayle a lancé en 2013 Artips, une newsletter gratuite distillant des anecdotes sur l'histoire de l'art à lire en une minute, qui comptabilise plus de 400 000 abonnés. Une offre depuis enrichie de déclinaisons sur la musique et les sciences, mais aussi d'une plateforme de micro-learning à destination des entreprises et des grandes écoles. Entretien.

Quel a été votre parcours avant de lancer Artips ?

Coline Debayle : J’ai grandi dans la Drôme et suis venue à Paris pour faire Sciences Po, avant d’intégrer en parallèle HEC. J’ai créé mon entreprise à 23 ans, pendant ma dernière année d’études. Durant mon cursus, j’ai fait un stage en finance d’investissement au cours duquel j’ai eu la sensation d’être un produit rentable et de ne plus rien apprendre qui me nourrisse en tant que personne. C’était une expérience intéressante intellectuellement, mais je travaillais beaucoup et n’avais plus le temps pour me cultiver. Je me suis donc demandé ce que je pourrais entreprendre pour améliorer le quotidien une fois entrée dans la vie active.

Vous étiez déjà passionnée par l’histoire de l’art à l’époque ?

Coline Debayle : Je n’étais pas du tout experte du sujet. J’ai pris des cours d’histoire de l’art à Sciences Po et c’est mon professeur, Gérard Marié, qui m’a vraiment donné le goût à cette matière. J’aimais beaucoup son approche : il racontait plein de petites anecdotes qui permettaient de mémoriser les informations sur les œuvres, les mouvements, les artistes.

Finalement, comment en êtes-vous venue à créer Artips ?

Coline Debayle : J’ai participé à un Start-up week-end où j’ai présenté mon idée : remettre de la culture dans la vie des gens occupés, même si je ne savais pas par quel biais. Mon projet a été élu et, avec une dizaine de personnes, nous avons travaillé dessus pendant 48 heures non-stop. C’est là qu’a émergé le concept de raconter, sous une forme simple et gratuite, l’histoire de l’art autrement, en la rendant « décomplexante », ludique et inspirante pour vraiment la démocratiser.

Le jury, devant lequel nous avons pitché notre projet à l’issue du week-end, nous a dit : « On ne sait pas comment vous allez gagner de l’argent, mais c’est un produit dont on rêve tous, donc faites-le pour de vrai ! » C’est pendant ces deux jours que j’ai rencontré mon associé, Jean Perret. Il dirigeait une équipe de R&D dans une start-up et se levait à 5 heures du matin pour se documenter sur l’histoire de l’art. Au-delà du manque de temps, son problème principal était qu’il ne trouvait pas de formats à la fois accessibles et de qualité.

Comment se sont passés vos débuts ?

Coline Debayle : Jean a démissionné et nous avons créé Artips avec 1 000 euros chacun, en nous donnant trois mois pour voir si ça pouvait marcher. Nous avons rassemblé Gérard Marié, mon professeur d’histoire de l’art, et une dizaine de rédacteurs. Nous avons écrit les premières anecdotes, que nous avons testées auprès d’une centaine de personnes, puis, en avril 2013, nous avons envoyé la première newsletter à 1 000 personnes qui s’étaient abonnées sur Facebook. Deux semaines après, nous comptabilisions 5 000 abonnés, uniquement grâce au bouche-à-oreille. Les articles de presse ont rapidement suivi et la diffusion a augmenté de manière continue assez naturellement.

Aujourd’hui, nous atteignons 600 000 abonnés : entre 60 000 et 70 000 pour Sciencetips, autour de 100 000 pour Musiktips, et le reste pour Artips. Cela n’aurait jamais fonctionné si nos trois profils n’avaient pas été si complémentaires : mon professeur pouvait assurer la caution morale et intellectuelle de nos contenus ; Jean possédait les compétences pour nous doter des outils informatiques nécessaires ; et j’aimais produire du contenu sympa et m’y connaissais en gestion.

Concrètement, comment alimentez-vous ces trois newsletters ?

Coline Debayle : Aujourd’hui, nous sommes 25 dans l’entreprise. Nous avons en interne des spécialistes sur chaque sujet, qui sont rédacteurs en chef. Ensuite, de nombreuses personnes nous soumettent leurs idées. Nous les sélectionnons drastiquement et assurons plusieurs phases de réécriture et de relecture, dans l’objectif d’envoyer à chaque fois une pépite. De grands experts (professeurs, directeurs de musées, membres d’instituts de recherche…) valident la véracité des contenus pour que tout le monde puisse les partager en toute confiance.

Vos newsletters étant gratuites, comment vous financez-vous ?

Coline Debayle : Pour chaque newsletter, nous avons réuni un collège de partenaires qui sponsorisent certaines anecdotes, toujours écrites par nos soins. Par exemple, nous nous sommes associés avec le Louvre, le Musée d’Orsay ou encore le Mucem pour Artips ; avec, entre autres, la Sacem, la Philharmonie de Paris et l’Opéra de Dijon pour Musiktips. Pour Sciencetips, le CNRS, l’Inserm ou le CEA ont répondu à l’appel, ce qui permet à nos lecteurs de se tenir au courant des dernières avancées de la recherche.

Parallèlement, nous intervenons en entreprise. Nous avons commencé par développer des contenus pour les salariés, mais très vite, nos clients nous ont demandé d’aller plus loin en inventant une pédagogie basée sur ce que nous proposons dans nos newsletters – et qui fonctionne, puisque 60 % de nos mails sont ouverts. Nous avons donc conçu une plateforme de micro-learning à destination des salariés et des étudiants des grandes écoles. Il s’agit de cours de culture générale sous forme de capsules quotidiennes de 7 à 8 minutes.

Depuis le lancement de la plateforme, il y a deux ans, de nombreuses entreprises ont exprimé le souhait de former leurs employés sur des sujets autres que la culture générale. Nous proposons donc également des « co-créations » : nous associons nos ingénieurs pédagogiques à des experts choisis dans l’entreprise afin qu’ils créent ensemble un contenu dédié à la thématique sur laquelle nous avons été missionnés. Là encore, nous répliquons la même formule : storytelling, formats courts, mises en situation, supports digitaux… Pour la SCNF, par exemple, nous avons conçu un parcours pour apprendre à résister au sexisme en entreprise. BNP Paribas, Accenture, Vivendi ou Saint-Gobain comptent parmi nos clients.

Vous investissez par ailleurs l’espace urbain…

Coline Debayle : Nous avons eu la chance d’intégrer les abribus parisiens de JC Decaux. Chacun peut s’y connecter et lancer notre application « Artips – Les dix meilleurs secrets » afin d’accéder, de manière géolocalisée, à des petites histoires sur le quartier, les artistes qui y ont vécu, le musée situé à proximité…

Quels sont vos projets à venir ?

Coline Debayle : Nous prévoyons de lancer deux nouvelles newsletters, l’une sur l’économie (Economitips), l’autre sur la gastronomie, l’œnologie et les spiritueux (Cheftips). À la demande de nombreux experts avec lesquels nous avons travaillé en entreprise, nous allons également mettre à leur disposition notre plateforme d’e-learning afin qu’ils puissent y créer de manière autonome leurs propres formations. Nous allons jouer un rôle d’accompagnement en les initiant à notre pédagogie. Cela permettra de démultiplier la puissance de l’outil puisqu’il pourra être proposé à un maximum de personnes.

On vous reproche parfois d’encourager la superficialité. Que répondez-vous à ces critiques ?

Coline Debayle : Nous n’avons jamais prétendu remplacer une encyclopédie ou une visite au musée. Nous tentons simplement de titiller la curiosité de nos lecteurs, d’agir comme un hameçon qui vient les arracher à leur quotidien et les encourage à prendre un peu de temps pour découvrir de nouvelles choses. À la fin de chaque newsletter, nous proposons des liens pour en savoir plus. Si, à partir de cette petite ouverture, certains passent deux heures à se renseigner sur un sujet ou décident d’aller au musée, tant mieux. La culture générale, c’est du plaisir, mais c’est aussi des codes sociaux qui peuvent se révéler discriminants, que ce soit positivement ou négativement.

Nous essayons de permettre à ceux qui n’ont pas eu la chance d’être nés au bon endroit, avec des parents qui les traînaient au musée tous les week-ends, de se construire une culture générale petit à petit. Notre démarche est militante : nous pensons que, globalement, une personne cultivée réfléchit mieux, vote mieux, prend de meilleures décisions et a un impact plus positif sur la société.

Pour finir, quelle est votre anecdote préférée ? 

Coline Debayle : Il y en a une que j’aime bien raconter à propos d’Yves Klein, un de mes artistes préférés, célèbre pour son bleu. Il a un jour convié tout le gratin parisien à une exposition intitulée « Le vide ». Les invités se sont retrouvés dans une immense pièce complètement blanche, sans aucune œuvre d’art. Il leur a fait servir des cocktails dans lesquels il avait glissé du bleu de méthylène, ce qui fait que quand les invités sont allés se soulager, ils ont tous fait pipi bleu !

 

@manondampierre

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