Alain Juppé nous parle d’entrepreneuriat féminin, du numérique et des femmes qui l’ont inspiré…
Le salon Profession’L met en avant la reconversion professionnelle féminine. Une initiative soutenue par la Mairie de Bordeaux depuis ses débuts l’année dernière. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Alain Juppé : Permettre aux femmes de s’exprimer, de recueillir des informations, les aider dans leur parcours professionnel. Je suis très attentif à ce que l’égalité entre hommes et femmes soit la plus assurée possible, y compris dans la gestion de nos propres ressources humaines. Je pense aussi que la municipalité peut aider à ces rencontres, c’est la raison pour laquelle nous soutenons activement cette belle initiative.
De nombreuses femmes souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat, quelles sont les mesures à prendre pour que plus de femmes osent ?
Alain Juppé : J’exprimerais une petite touche d’optimisme qui ne concerne pas uniquement les femmes. Car il y a en France une capacité entrepreneuriale surprenante. Je me fonde sur une étude européenne qui vient de sortir et qui montre que dans l’Hexagone, l’attirance pour l’entrepreneuriat est la plus forte de tous les pays européens. Il y a donc là un terreau favorable dont les femmes peuvent profiter, même si nous le savons, elles rencontrent des difficultés particulières et plus importantes que les hommes.
Quelle aide peut-on leur apporter ?
Alain Juppé : Quand une femme veut se lancer dans la création d’entreprise, elle recherche des contacts, une mise en réseau, un carnet d’adresses. Ce que nous pouvons faire, c’est organiser ces occasions d’échanges. Certaines initiatives ont déjà été prises en ce sens. Je pense notamment à la pépinière bordelaise installée dans un lieu que nous appelons Darwin, qui a été lancé par les Pionnières et qui a justement pour but d’accompagner les femmes dans leur processus de création d’entreprise. Nous savons également que les difficultés, ce sont les formalités, les financements, l’accompagnement, et là-dessus nous pouvons faire beaucoup aussi. C’est l’objectif d’ailleurs du salon Profession’L du 15 mai.
L’une des opportunités entrepreneuriales pour les femmes est le numérique. Vous avez vécu au Canada et avez connu le développement du numérique au féminin, quels enseignements en avez-vous tiré ?
Alain Juppé : Le principal enseignement, c’est que c’est un gisement d’emplois extraordinaire. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes lancés à Bordeaux dans cet appel à projet que l’on appelle French Tech, impulsé par le gouvernement et qui consiste à fédérer les entrepreneurs de cette filière avec le soutien des collectivités locales.
Nous avons d’ailleurs organisé une rencontre sur ce sujet à la Chambre de commerce il y a quelques semaines, et sommes arrivés à mobiliser 1 100 entrepreneurs. Je n’ai pas le pourcentage de femmes mais je suis convaincu qu’il y avait une très large proportion d’entrepreneures. Elles ont beaucoup à apporter dans ces filières.
Quels sont les enjeux majeurs du numérique en France ? Nous sommes loin derrière les Etats-Unis…
Alain Juppé : Nous sommes très bien placés dans ce secteur, ne soyons pas trop modestes ! Nous ne sommes peut-être pas n° 1 mais nous sommes l’un des pays où cette filière est la plus vivante et la plus créatrice. D’abord, il y a les infrastructures. Il faut assurer une bonne couverture du territoire en très haut débit et c’est loin d’être acquis. Même dans une ville comme Bordeaux, nous ne sommes pas totalement raccordés et nous agissons avec les opérateurs. Les entreprises doivent avoir accès au haut débit sur l’ensemble du territoire de la ville mais aussi dans les zones rurales où les opérateurs sont plus discrets.
Ensuite, ce que nous pouvons faire pour porter tout cela, c’est créer des lieux où l’information peut s’échanger. Nous avons fondé à Bordeaux le Node, un lieu de travail participatif où les professionnels de ce secteur peuvent travailler ensemble. Dans le cadre du projet French Tech, il y a cette idée d’accélérateur d’entreprises qui repose sur le tutorat ou le mentorat de jeunes créateurs d’entreprise par des entrepreneurs confirmés. C’est aussi ce que nous essayons de développer.
Les femmes sont peu présentes dans les conseils d’administration et encore moins dans les comités exécutifs. En France, contrairement à d’autres pays, il n’y a par ailleurs aucune femme à la tête d’une entreprise du CAC 40. Comment faire bouger les choses ?
Alain Juppé : Je crois modérément aux injonctions législatives. J’ y crois en partie, notamment pour la vie politique. Si nous n’avions pas fait la loi sur la parité dans les conseils municipaux et partout où il y a de la proportionnelle, nous n’aurions pas pu débloquer le système. Donc cela peut être utile mais il faut aussi que le temps fasse son œuvre.
Il faut d’abord constituer le “vivier” pour que ces femmes montent en expérience tout au long de leur carrière. Et que petit à petit elles s’imposent aux postes de responsabilités. Je crois que c’est un peu comme cela. Mais aussi avec la pression sociale, la presse spécialisée ou non et des manifestations comme celle que nous organisons le 15 mai à Bordeaux que nous pourrons faire monter ces exigences dans la société.
En politique, les femmes peinent encore à être au premier plan. Elles représentaient notamment 17% des têtes de liste aux élections municipales et seulement 13% des élues. Comment changer la donne ?
Alain Juppé : Cela n’est pas très satisfaisant. Je m’étais engagé lors de la campagne électorale à constituer un bureau de la communauté urbaine paritaire mais je n’y suis pas arrivé parce que dans ce « Comex » où siègent les maires, il y a très peu de femmes. Il y a donc tout un mouvement à faire. Il faut susciter des candidatures, inciter les femmes à s’engager. Nous avons cherché de bonne foi des candidates pour la CUB (communauté urbaine de Bordeaux) mais nous tombons toujours sur les mêmes problèmes : comment concilier vie professionnelle, vie familiale et vie d’élu. C’est plus difficile pour une femme que pour un homme. Les femmes ont trois vies là où les hommes en ont une et demie peut-être…
Y a-t-il des femmes qui vous inspirent ou vous ont inspiré au cours de votre vie ?
Alain Juppé : Oui bien sûr. D’une façon générale, je l’ai souvent dit donc ce n’est pas un propos de circonstance. Je préfère travailler avec des femmes qu’avec des hommes. Je les trouve plus efficaces, plus organisées, plus tenaces. Pas toujours plus « cool » contrairement à ce qu’on dit, parce que dans la vie politique, les femmes sortent leurs griffes autant que les hommes et les questions d’ego touchent les deux sexes. Mais je les trouve plus accrocheuses dans les fonctions qu’on leur confie. Dans ma nouvelle équipe, certaines d’entre elles ont des responsabilités de premier plan. Et puis j’ai rencontré des femmes qui m’ont beaucoup marqué, comme Simone Veil évidemment. Christine Lagarde également que j’ai vue à l’œuvre quand elle était ministre de l’Economie et des Finances. Je pourrais aussi en citer beaucoup d’autres dans le milieu non politique…
Propos recueillis par Véronique Forge