Interview de Clara Chappaz, Présidente de La French Tech

Clara Chappaz

Clara Chappaz est la nouvelle présidente de la French Tech depuis quelques semaines. Elle s’est confiée à Business O Féminin et affiche ses ambitions pour faire de l’écosystème tech français, “the place to be”. Interview.

Le classement du Next 40 vient de tomber et aucune femme dans ce classement, comment analysez-vous cela ? Clara Chappaz

En effet, nous comptons seulement 3 femmes co-fondatrices (Fanny Moizant et Sophie Hersan de Vestiaire Collective et Vanessa Fara Rabesandrana de Ledger) dans les entreprises du Next40 et aucune femme CEO. C’est un problème, et il est dans notre intérêt à tous de s’en préoccuper car la diversité est synonyme de performance. 

En revanche, il y a aujourd’hui 14 femmes co- fondatrices et CEO des entreprises de la promotion 2022 du programme si nous ajoutons les French Tech 120 : Éléonore Crespo de Pigment, Carole Juge-Llewellyn de Joone, Maria Pereira de Tissium, Cécile Roederer de Smallable, Laure Cohen de CertiDeal, Quitterie Mathelin-Moreaux et Emmanuelle Fauchier Magnan chez Skello, Véra Kempf de Singulart, Karima Ben Abdelmalek de Happn, Aude Guo d’Innovafeed et Isabelle Rivière de Mnemo Therapeutics. Même si cela reste insuffisant, c’est deux fois plus que l’année dernière. C’est traducteur d’une dynamique qui va dans le bon sens notamment au sein des entreprises plus jeunes du FT120 qui sont une meilleure représentation de l’écosystème d’aujourd’hui que leurs grandes sœurs du Next40 qui du haut de leur 10 années d’existence en moyenne sont plutôt le reflet de l’écosystème de la décennie 2010. 

Mini Guide Entrepreneuriat

Soyons clairs, les chiffres sont encore bien trop bas. Mais ce qui m’enthousiasme en particulier c’est de voir que l’écosystème du financement se débloque peu à peu et va donc permettre aux femmes entrepreneures de passer à leur tour à l’échelle. En témoigne l’engagement de plus de 50 fonds d’investissement à soutenir 25% de projets co-fondés par des femmes d’ici 2025 sous l’impulsion du collectif SISTA et le soutien du Ministre Cédric O, pris en octobre 2019. En témoignent les levées late stage conséquentes d’Eleonore Crespo de Pigment (63m d’euros en novembre 2021) et de Quitterie Mathelin-Moreaux et Emmanuelle Fauchier de Skello (40m en septembre 2021). Le plafonds de verre se fissure et c’est une bonne nouvelle ! 

Vous êtes vous même issue de la Tech avec un précédent poste chez Vestiaire Collective. Est-ce un problème de culture ou de talents féminins purement tech ? Clara Chappaz

Plusieurs facteurs expliquent ces chiffres : 

  • La question de l’orientation et du manque de talents féminins purement tech, oui : les métiers liés à l’innovation sont souvent teintés très scientifiques. Or les métiers scientifiques, et même les matières scientifiques, pour traiter le problème à sa source, sont des voies moins choisies par les femmes. Aujourd’hui, il y a encore trop peu de femmes ingénieures, et les récentes évolutions montrent encore un recul. D’après les statistiques réalisées depuis la dernière réforme du bac, en première générale, près de la moitié des filles abandonne les mathématiques en fin de seconde en 2021, alors qu’elles étaient jusqu’en 2018 environ 83% à poursuivre cette matière. 
  • Un problème de culture également, avec la non-acceptation de la prise de risque : des biais, très souvent culturels, freinent souvent les femmes à se lancer et prendre des risques au cours de leur carrière professionnelle. Une étude a récemment montré que les femmes attendent de répondre à 100% des compétences attendues à un poste pour y candidater, lorsque les hommes y postulent avec 60% de ces compétences. Or, l’entreprenariat est une voie risquée, lorsqu’on sait que 9 start up sur 10 ne survivra pas.
  • Mais aussi, l’absence de “rôles modèles” : c’est un cercle vicieux. Si peu de femmes occupent des métiers à responsabilité dans le secteur de la tech, alors les générations suivantes manqueront de ces rôles modèles. Pourtant ces derniers sont fondamentaux à propager le message inspirant qu’être une femme entrepreneure dans la tech et réussir est possible. 
  • Enfin, il y la question du financement : les fonds d’investissement évoluent dans univers également très masculin. Ce qui peut ralentir le financement des start-up lancées par des femmes. Toutefois, sur cette question, nous pouvons nous réjouir des progrès qui ont été réalisés et qui seront réalisés dans un futur proche.  Clara Chappaz

Le FT 120 compte 14 femmes, comment leur donner plus de poids dans cet écosystème très masculin ? 

Nous soutenons les activités d’associations et collectifs via notre Community Fund, un outil de co financement, conçu pour appuyer les initiatives qui ont un impact fort pour l’ensemble de l’écosystème et font avancer la stratégie nationale de la French Tech. Avec ce fonds, nous avons soutenu le collectif Sista, dont la mission est de réduire les inégalités de financements entre hommes et femmes entrepreneurs. Nous avons également aidé l’association Techfugees qui mobilise outils et acteurs de la tech pour répondre aux besoins des femmes réfugiées et accélérer leur émancipation dans leurs sociétés d’accueil. Depuis 2018, l’association a aidé plus de 80 femmes dans leur retour à une vie professionnelle en accord avec leurs compétences et aspirations dans les métiers de la tech et du numérique, en les intégrant au sein de l’écosystème français. Clara Chappaz

Nous avons également un programme, French Tech Tremplin, qui vise à rapprocher tous les talents de la tech car le problème de la diversité va au-delà du problème de mixité. Environ 80% des fondateurs de start up sont issus de grandes écoles. Or, nous voulons aller chercher les talents partout où ils sont, y compris ceux qui se tiennent encore trop loin des réseaux traditionnels. Ce programme vise à identifier les entrepreneurs issus des milieux les moins aisés et les intégrer dans l’écosystème French Tech afin d’optimiser leurs chances de réussite grâce à des financements, des formations et du mentorat. 

A noter dans ce programme : 40% des lauréats sont des lauréates. Peut-on vraiment parler d’un manque de talents féminins tech ou plutôt d’un problème d’accès des femmes aux réseaux nécessaires ? 

Enfin, un certain nombre de mesures sont actuellement à l’étude au Parlement sur le sujet de la parité à la tête des entreprises. Parmi elles, la loi Rixain imposerait de nouveaux objectifs aux grandes entreprises afin de renforcer la parité aux postes de direction. Elle fixerait notamment des quotas à respecter dans les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1000 salariés. Or, c’est un stade que beaucoup de start up, notamment de scale-up atteindront d’ici à quelques années voire quelques mois. Dans nos ambitions s’inscrit naturellement la volonté d’accompagner les entreprises de notre écosystème dans cette transition, afin qu’elle atteignent ces nouveaux objectifs de mixité. 

Faut-il uniquement se fonder sur la croissance dans les critères du Next40 ? Clara Chappaz

Ce critère a de double avantage d’être purement objectif et de rendre compte du dynamisme de l’écosystème French Tech, et la nouvelle promotion 2022 reflète sa montée en puissance avec notamment l’atteinte de l’objectif des 25 licornes fixé par le Président Emmanuel Macron dès janvier 2022 soit avec 3 ans d’avance. 

Par ailleurs, ce critère de sélection ne signifie pas que la croissance constitue le seul objectif poursuivi par les entreprises de cette promotion :

  • Un nombre croissant d’entreprises du French Tech Next40/120 sont engagées dans une stratégie d’impact, soit parce que leur activité s’inscrit directement dans un objectif positif, comme Ÿnsect sur l’alimentation durable ou BackMarket dans l’économie circulaire, soit parce qu’elles ont mis en place une organisation interne spécifique en devenant des entreprises à mission et s’engageant à répondre aux critères du label B-corp, comme Openclassrooms. Enfin, certaines autres ont introduit le poste de Chief Impact Officer dans leur organisation, afin de renforcer les travaux sur ces questions. 
  • Par ailleurs, en 2022, la Mission French Tech invitera la nouvelle promotion à créer des initiatives communes afin de généraliser les démarches de transparence, notamment sur quatre thématiques : la transition écologique, l’égalité femmes-hommes, la diversité des recrutements et l’accessibilité numérique. 

La Grande Bretagne et l’Allemagne sont encore devant la France en terme d’écosystème start-up. Quelles sont les nouvelles pistes pour accélérer ? 

L’année 2021 a été exceptionnelle pour la French Tech, l’année de tous les records avec 11,7 milliards d’euros levés, soit plus du double de 2020 (5,4 milliards d’euros en 2020), et désormais 26 licornes françaises alors que nous en comptions seulement 10 en janvier 2021. L’objectif est de continuer sur cette voie, et d’aller encore plus loin. Aujourd’hui, la mission French Tech accompagne 140 start-up. Nous avons vocation à accompagner 1000 start-up d’ici à 2024. Ceci constitue un véritable changement d’échelle pour notre administration , une massification qui s’inscrit également dans une dynamique de renforcement de l’écosystème européen dans son ensemble. 

De fait, l’accélération de nos écosystèmes respectifs doit passer par l’accélération et la collaboration de tout l’écosystème européen. C’est tout l’objet de Scale Up Europe, initiative portée par le Président de la République Emmanuel Macron, et lancée en mars 2021 par Cédric O, secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques et Mariya Gabriel, commissaire européenne à l’Innovation. Le but de cette initiative est d’accélérer l’émergence de champions technologiques européens dans les années à venir, avec l’objectif fixé par l’Élysée de faire émerger 10 géants de la tech européens d’ici à 2030. Dans le cadre de l’initiative Scale Up Europe, deux jours de conférence sur la souveraineté numérique viennent de se terminer avec notamment l’engagement d’une dizaine de pays européens à créer un fonds doté de 10 milliards d’euros pour financer les scale-up européennes. 3,5 milliards sont déjà sécurisés, ce qui fait de ce fonds “le plus important jamais créé” d’après Bruno Le Maire. C’est ce qu’on peut appeler une piste sérieuse pour accélérer. 

Quelle est l’ambition de la French Tech en ce qui concerne les territoires qui ressortent encore peu dans ce classement, l’essentiel des sièges étant en Île de France ? Clara Chappaz

La présence et le rayonnement de start-up issus des territoires hors Île-de-France est une priorité de la feuille de route de la mission French Tech et grâce à nos 13 capitales et nos communautés en France, l’écosystème se dynamise sur tout le territoire : 

  • Les FT120 recrutent de plus en plus partout en France. On peut citer Mirakl et ManoMano à Bordeaux, ou bien Doctolib à Nantes. 
  • Les start-up industrielles, que l’on accompagne désormais dans le cadre d’un nouveau guichet unique à la mission French Tech, installent leur usine principalement en dehors de l’Île-de-France. On peut citer Ynsect dans la Somme, Microphyt près de Montpellier, Afyren près de Grenoble ou encore Ledger à Vierzon. 
  • Enfin, certains écosystèmes French Tech territoriaux sont le fer de lance de certains secteurs. Par exemple, la French Tech Caen/Normandie et Aix-Marseille sont des références dans les enjeux liés au maritime.

Quels sont les secteurs que la France souhaite privilégier en terme de développement de start-up dans les années à venir ?

Après le succès de l’initiative French Tech à faire émerger de nouvelles entreprises numériques françaises, le plan France 2030 présenté par le Gouvernement a précisé des secteurs stratégiques qu’il souhaite soutenir davantage, en prévoyant un certain nombre de mesures en direction des start-up deep tech. Le potentiel économique des start-up deep tech et les failles de marché propres à ces acteurs, qui présentent un processus de mise sur le marché particulièrement long et incertain, avait déjà conduit le gouvernement à lancer un plan deep tech ambitieux dès 2019. Des initiatives complémentaires ont désormais été lancées. 

Ces start-up sont ciblées car elles sont aussi susceptibles de contribuer significativement à l’objectif de ré industrialisation du pays. Une proportion importante d’entre elles (~40 %) sont à vocation industrielle. Or, les start-up industrielles évoluent dans des secteurs stratégiques, à l’image des biotechnologies, de la santé, du numérique industriel ou de la robotique et portent des projets à forte valeur ajoutée. Pour près des deux tiers situées hors d’Ile-de-France, leur choix de s’implanter sur le territoire pour passer l’étape de l’industrialisation représente un potentiel de retombées économiques considérable en créant de la valeur et des emplois partout, et en assurant le renouvellement du tissu industriel par l’entrée de nouveaux acteurs. Clara Chappaz

Du côté de la French Tech, nous avons ouvert un Guichet Unique dédié à l’accompagnement des start-up industrielles afin de faciliter l’accès aux dispositifs d’accompagnement de l’État à l’industrialisation. Ce nouveau programme est destiné à identifier les projets des entreprises et leurs besoins afin de leur proposer des dispositifs d’information et d’accompagnement sur les leviers de l’État, sur le modèle de ce que nous faisons déjà pour les FT120/Next40.

   Propos recueillis par Véronique Forge, fondatrice de Business O Féminin Clara Chappaz

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