Marlène Schiappa, pour la réussite des femmes

Marlène Schiappa

Ancienne secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa poursuit aujourd’hui ses engagements sur de nouveaux fronts. Présidente de l’association Actives, associée au cabinet de conseil Tilder, elle vient de publier Nos si petites ambitions (Éditions de l’Aube), un essai politique et personnel qui interroge notre rapport au pouvoir, à la réussite et aux compromis.

Toujours là où on ne l’attend pas, elle continue d’ouvrir le débat sur des sujets brûlants : la précarité des mères divorcées, les dérives du féminisme excluant, les inégalités de santé entre femmes et hommes, avec une parole libre et sans détour. Rencontre avec une femme engagée, qui croit plus que jamais à la nécessité de faire bouger les lignes !

Votre dernier livre s’intitule Nos si petites ambitions. Aviez-vous de petites ambitions à vos débuts ?

Marlène Schiappa : Absolument pas. C’est assez amusant parce que j’ai souvent été décrite comme une femme très ambitieuse, alors que je n’ai jamais eu de véritable stratégie de carrière. J’ai grandi dans une cité HLM, et autour de moi, tout le monde était prof – je ne connaissais pas d’autres métiers. Je n’ai pas fait d’études dans un premier temps, j’ai même pris une année sabbatique en Corse pour attendre mon petit ami de l’époque qui n’avait pas eu son bac. J’étais un peu une « trad wife » avant l’heure.

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Donc non, je n’avais pas d’ambition professionnelle pour moi-même. En revanche, j’avais beaucoup d’ambition pour les causes que je défendais. Et puis, j’avais envie d’une belle vie : pouvoir emmener mes filles au restaurant, partir en vacances sans me demander si j’en aurais les moyens. C’était ça, mon ambition : une vie confortable.

Mais vous aviez tout de même une forme d’ambition, puisque vous êtes perçue comme une femme ambitieuse, très présente dans les médias. Cela a parfois été critiqué, même au sein du gouvernement.

© Sonia Fitoussi

Marlène Schiappa : Oui, cette critique de la visibilité médiatique est fascinante, surtout venant de collègues qui, en réalité, regrettaient leur propre manque de visibilité. Ils ne me reprochaient pas vraiment d’être présente dans les médias, mais d’y être alors qu’eux n’y étaient pas.

D’ailleurs, ces mêmes personnes venaient ensuite me demander comment faire pour être interviewées, être dans Le Parisien ou invitées à des matinales. Cette ambivalence est très présente en politique, mais aussi en entreprise : on veut être visible, mais on jalouse ceux qui le sont.

Et qu’est-ce qui faisait la différence selon vous ? Votre envie de défendre des causes ?

Marlène Schiappa : Oui, clairement. Quand je suis entrée au gouvernement, j’étais en bas de l’ordre protocolaire. Sur la photo officielle, on ne me voyait même pas, j’étais cachée derrière d’autres ministres, tout en haut des escaliers.

J’avais très peu de budget, très peu de moyens. À la différence d’un grand ministère comme l’Intérieur, les Droits des femmes, c’est peut-être 27 personnes. Ma seule puissance, c’était la visibilité médiatique. Et je l’ai utilisée pour imposer des mots comme féminicide ou sororité dans le débat public.

La communication est essentielle quand on est ministre. Si personne ne sait qu’un dispositif existe, il ne sert à rien. Il y a beaucoup de lois qui dorment dans des tiroirs parce qu’elles ne sont pas connues.

Mais cette visibilité a un coût, notamment pour les femmes. Vous parlez du syndrome de l’Oscar. De quoi s’agit-il ?

Marlène Schiappa : Oui, la visibilité a un prix, à la fois professionnel et personnel. Le syndrome de l’Oscar, ce sont des féministes américaines qui l’ont identifié : quand une femme reçoit un Oscar, elle a plus de chances d’être quittée dans les années suivantes, alors que cela n’arrive pas aux hommes.

Une étude de l’INED en France montre d’ailleurs que lorsqu’une femme gagne plus que son conjoint, elle a plus de risques de divorcer. Cela montre que, dans notre inconscient collectif, une femme qui réussit trop ou qui est trop visible bouscule l’ordre établi. L’homme est censé conquérir le monde public, la femme rester dans la sphère privée.

Il y a peu de modèles féminins de pouvoir ou de réussite dans les générations précédentes. Le pouvoir, l’argent, la visibilité restent des attributs perçus comme masculins. Et quand une femme y accède, cela peut fragiliser sa vie personnelle.

Vous appelez dans votre livre à une « révolution de la réussite des femmes », un slogan que l’on retrouve aussi dans votre association Actives. Pourtant, malgré les lois Copé-Zimmermann ou Rixain, certaines femmes renoncent parfois à prendre des postes. Comment l’expliquez-vous ?

Nos si petites ambitions - Marlène Schiappa (Ed. de l'Aube)
Nos si petites ambitions – Marlène Schiappa (Ed. de l’Aube)

Marlène Schiappa : Je suis avant tout favorable au libre choix des femmes. Il n’y a pas de bon ou de mauvais parcours. Si une femme me dit qu’elle est épanouie dans un emploi stable, sans responsabilités démesurées ni haut salaire, c’est totalement respectable. Idem pour celles qui choisissent de faire une pause pour s’occuper de leurs enfants.

Ce qui m’importe, c’est que ces choix soient conscients et non subis. Aujourd’hui, dans mon rôle chez Tilder, où j’accompagne des dirigeant·es dans leur communication, je constate que les femmes et les hommes ne réagissent pas de la même manière face à la visibilité. Un dirigeant à qui je propose une interview dans Le Monde me demandera pourquoi il ne fait pas la une, même sans actualité. Tandis qu’une femme, pour une simple interview dans un magazine professionnel, organisera une réunion de préparation, fera valider le projet par son COMEX, son dircom, voire même par son conjoint.

Il existe une réelle ambivalence. Certaines femmes renoncent à des postes à responsabilités parce que le coût personnel est trop élevé. Dans le secteur du retail, par exemple, les postes à haut niveau impliquent des horaires étendus, des déplacements, une grande disponibilité… Et dans les couples à « double carrière« , ce sont souvent les femmes qui mettent leur propre ambition en retrait.

Vous soulignez aussi que certaines femmes s’autocensurent, malgré les dispositifs mis en place dans les entreprises pour favoriser la diversité. Est-ce un constat que vous partagez dans vos échanges avec les grands groupes ?

Marlène Schiappa : Oui, souvent ces dispositifs ne suffisent pas ou tombent dans ce que certaines appellent le « mythe de l’égalité déjà atteinte ». De nombreux dirigeants me disent : « C’est bon, les quotas sont là, il y a plein de classements de femmes, elles ont toutes les opportunités« . Mais les classements dits « mixtes » restent largement masculins dans les faits.

J’ai aussi rencontré une entreprise américaine implantée en France qui ne comprenait pas pourquoi les femmes quittaient l’entreprise entre 35 et 40 ans, malgré tous leurs efforts : crèche, égalité salariale, formations contre les violences sexistes…

Une enquête interne a révélé une culture viriliste « bienveillante », faite d’activités excluantes : séminaires rugby, dégustations de cigares, soirées whisky. Ce genre de culture peut être dissuasive, voire toxique pour certaines femmes, notamment enceintes ou jeunes mères.

C’est un peu comme en politique. On ne hue plus une députée pour sa robe, mais on continue de questionner sa compétence, de manière insidieuse. Et ce sexisme latent pousse certaines à partir.

Vous avez beaucoup défendu la notion de sororité, que vous avez contribué à populariser. Est-ce une valeur à laquelle vous croyez profondément ?

Marlène Schiappa : Oui, mais la sororité, c’est un combat contre soi-même. Tout dans notre société pousse à la rivalité entre femmes : les magazines, les réseaux sociaux… On nous incite à nous comparer : elle a un meilleur job, des enfants parfaits, un mari plus impliqué…

C’est pour ça que j’ai toujours communiqué sur mes difficultés. Je n’ai jamais eu peur d’aller à un événement mal coiffée parce que j’avais galéré le matin. Il faut casser cette illusion d’une perfection permanente, qui culpabilise beaucoup de femmes. J’aime cette phrase : « Quand l’herbe semble plus verte ailleurs, vérifiez si ce n’est pas du gazon synthétique. »

La sororité, c’est accepter de ne pas se comparer sans cesse. En politique, c’est encore plus complexe à cause des quotas : on est rarement en compétition directe avec les hommes, mais souvent avec d’autres femmes. Et malheureusement, ce sont souvent elles qui m’ont traitée le plus durement. Certaines ne supportaient pas ma visibilité.

Pensez-vous que les réseaux féminins sont importants néanmoins ?

Marlène Schiappa
© Sonia Fitoussi

Il faut aussi être lucide sur le rôle des réseaux. J’ai fondé Maman Travaille, et aujourd’hui Actives, une ONG qui met en lumière les femmes. Mais un réseau féminin n’a pas le même impact qu’un réseau mixte. Les postes clés, les chasseurs de têtes, les actionnaires… sont souvent dans les réseaux mixtes.

Cela dit, les réseaux féminins permettent de partager des expériences, de comprendre qu’on n’est pas seules, et surtout que le problème n’est pas vous. Beaucoup de femmes disent : « J’ai coché toutes les cases, j’ai bien fait les choses, mais les opportunités ne viennent pas… ». Ce n’est pas un échec personnel, c’est un système. Et comprendre ça, c’est déjà énorme.

Un autre sujet que vous abordez dans le livre, c’est la précarité financière des femmes à la suite d’un divorce ? Comment peut-on avancer sur ce sujet ?

Marlène Schiappa : C’est une réalité encore trop peu dite. J’en parlais récemment avec des amies divorcées, aux situations variées : garde alternée, garde exclusive, bonnes ou mauvaises relations avec le père de leurs enfants… Mais toutes étaient confrontées à un même sujet : le financement des études de leurs enfants. Elles voulaient toutes leur offrir une école privée payante, et se heurtaient à un refus systématique de la part des pères, au motif du coût. On ne peut pas croire que toutes les femmes veulent payer une école privée et que tous les hommes préfèrent le public : il y a là un déséquilibre structurel dans les priorités budgétaires, qui pèse sur les mères.

On retrouve alors ce que j’appelle les « fausses mamans solo » : elles ne sont pas officiellement seules, mais assument seules les dépenses et décisions clés. Pire encore, certaines femmes ayant réussi se retrouvent à verser une prestation compensatoire à leur ex-mari, alors que ce mécanisme visait historiquement à protéger celles qui ne travaillaient pas. Quinze ou vingt ans après un divorce, des hommes en bénéficient encore… Il y a là une forme de détournement du système.

Depuis le mois de janvier et l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les politiques de « Diversity, Equity and Inclusion » (DEI) ont été remise en cause aux États-Unis. Comment réagir face à cela ? Et surtout ne faut-il pas repenser la place des femmes aux côtés des hommes et faire en sorte que l’on ne rentre pas dans une conflictualité ?

Marlène Schiappa : J’ai toujours défendu un féminisme de la mixité. L’objectif n’est pas de créer une opposition hommes/femmes ou d’exclure. Je suis mal à l’aise lorsqu’on interdit l’accès d’un lieu aux hommes ou qu’on généralise les violences sexistes à tout un genre. Il y a aussi des hommes victimes, et la société n’est pas prête à les entendre. De même, je ne crois pas à un leadership genré. J’ai rencontré des femmes très dures et des hommes très empathiques, et inversement.

Concernant Donald Trump et le recul du DEI aux États-Unis, je pense que c’est une opportunité pour les entreprises françaises et européennes de définir leur propre modèle. Trop souvent, on se contente de dire qu’on n’est pas comme les Américains, sans affirmer ce que nous sommes. Il est temps d’énoncer nos valeurs de manière claire.

Le World Economic Forum a sorti à la mi janvier, un rapport sur la santé des femmes le « Health Gender Gap » où l’on note entre autres  que les femmes vivent certes plus longtemps mais 25 % de ce temps en plus mauvaise santé que les hommes. D’autres sujets sont abordés comme le sous financement de la recherche sur la santé des femmes au niveau mondial etc… Est-ce que c’est pas le nouveau combat à mener ?

Marlène Schiappa : Absolument. C’est même le sujet de mon prochain livre, Votre santé a un sexe, co-écrit avec mon compagnon, président de mutuelle. Le constat est sans appel : les femmes vivent plus longtemps, mais en moins bonne santé. Les maladies dites « féminines », comme l’endométriose – dont souffre ma fille – sont encore trop souvent négligées. Il n’y a pas de traitement curatif, très peu de recherche, et une immense fatigue pour les malades qui doivent sans cesse expliquer leur pathologie.

Il y a aussi un écart dans la gestion de la santé au quotidien. On parle dans notre livre du « syndrome Doctolib » : dans mon compte, il y a moi, mes enfants, mon ex-mari, mes parents, même une amie. Chez mon compagnon : juste lui. Ce n’est pas qu’il ne veut pas s’occuper des autres, c’est que l’organisation genrée des soins reste très présente. Les aidants sont en majorité des aidantes.

Pour terminer, avez une femme ou un homme qui vous a inspiré tout au long de votre parcours ?

Marlène Schiappa : On m’a souvent posé la question, et je réponds par une citation d’Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. » Je n’ai jamais cherché à imiter qui que ce soit, c’est ce qui fait que je détonne – et que je ne fais pas l’unanimité.

Mais si je dois citer une source d’inspiration, ce sont mes filles, 13 et 18 ans. Elles incarnent une génération sans compromis, là où la mienne a longtemps essayé de composer. Ma fille aînée me dit souvent : « Vous avez été la génération du compromis, nous, on est celle des principes. » Et c’est vrai : elles lèvent les tabous sans faux-semblants, elles assument. Ce féminisme-là, concret, sans fards, m’inspire profondément.

Véronique Forge, fondatrice de Business O Féminin

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