Réseaux féminins : boosters professionn’elles ?

réseaux féminins

En entreprise, au sein des grandes écoles ou des cercles professionnels, les réseaux féminins ont investi les agendas de nombreuses working girls. Qu’apportent concrètement ces clubs à leurs membres ? Sont-ils des gadgets ou, au contraire, des lieux d’influence? Enquête.

« En 2007, alors que j’étais blogueuse politique, j’ai été frappée de l’absence de femmes à mes côtés au cours des événements, des rencontres. » Natacha Quester-Séméon décide alors de ne pas en rester là. « Au départ, j’ai juste créé un groupe sur Facebook avant d’organiser un rendez-vous dans un café. J’ai été surprise de me retrouver avec une quarantaine de personnes ! » Girl Power 3.0 est né. Son but ? Rassembler des leaders d’opinion influentes afin d’aider les femmes travaillant dans leur secteur. Sept ans plus tard, les principales membres de ce groupe comptabilisent ensemble plus de 150 000 followers sur Twitter. Sa fondatrice, régulièrement sollicitée par les médias afin d’évoquer la place des femmes dans le numérique, peut se targuer d’avoir notamment reçu dans son club Nathalie Kosciusko-Morizet ou Isabelle Juppé.

Girl Power 3.0, un réseau féminin parmi les quelques 450 que dénombre Emmanuelle Gagliardi, auteure de Réseaux au féminin. Guide pratique pour booster sa carrière (Eyrolles, 2013). “On est face à un phénomène sociétal. Les femmes s’investissent de plus en plus dans l’économie. Secteur par secteur, il y a un effet d’entraînement”, analyse celle qui est par ailleurs co-fondatrice de l’agence de communication Connecting Women, à l’origine du Printemps du Networking, rassemblement de réseaux professionnels féminins.

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Un réseau féminin, pour quoi faire ?

HEC au féminin, Supélec au féminin, Essec Women Alumni, pour les grandes écoles, Accent sur Elles chez Accenture, SNCF au féminin ou encore EDF interp’elles côté professionnel… Les réseaux se multiplient, certes, mais à quoi servent-ils concrètement ? Une question qui n’a pas lieu d’être pour Emmanuelle Gagliardi : « le networking est essentiel et doit être un point incontournable de nos « to do lists ». Il faut s’y tenir, sinon, c’est comme faire une carrière à croche-pieds. » Et de rappeler : « des tas d’hommes prennent leur jeudi matin par exemple pour aller réseauter au cours d’une partie de golf, sans une once de culpabilité. Les femmes doivent comprendre que fabriquer son réseau est un acte professionnel. Ce n’est ni un loisir ni un moment de détente. »

Etre plus politique pour booster sa carrière, une évidence donc, mais pourquoi le faire spécifiquement au sein de réseaux féminins? « Parce qu’ils montrent aux femmes l’existence de rôles modèles, leur offrent des possibilités de mentoring. Ils donnent également les clés du fameux « faire, savoir faire faire et faire savoir », un principe que les hommes connaissent bien, argumente Emmanuelle Gagliardi. Ils aident aussi celles qui sont tiraillées entre leurs vies professionnelle et personnelle à garder le cap au moment délicat où elles auraient tendance à décrocher, à revenir à un contrat à temps partiel. » Autant de sujets qui ne sont pas abordés dans les réseaux classiques, officiellement mixtes mais en réalité essentiellement masculins.

Les réseaux féminins, des lieux de pouvoir ?

 Au-delà d’aider les femmes à lutter contre les inégalités salariales, le plafond de verre et autres préjudices découlant d’une mauvaise répartition des tâches ménagères, ces réseaux permettent-ils pour autant de gagner du galon ? Non, affirme Claire Léost, diplômée d’HEC, de Sciences Po Paris, et auteure du Rêve brisé des working girls (Fayard, 2013). « Si votre objectif est de progresser dans votre carrière, de vous constituer un carnet d’adresses, les réseaux féminins ne sont pas les meilleurs endroits. Aujourd’hui, le pouvoir est aux mains des hommes donc ce n’est pas en fréquentant des femmes que l’on peut se faire recommander et ainsi accélérer sa carrière. » La meilleure preuve ? « Les femmes de pouvoir ont tendance à dire beaucoup de bien des réseaux féminins. Mais elles ne parlent pas des autres clubs dont elles font partie. »

Et cette Directrice Générale de l’Univers Grand Public de Lagardère de conseiller d’intégrer un réseau correspondant à son secteur d’activité plutôt qu’un groupe féminin : « je fais partie d’HEC média. Là, il y a des tas de gens qui travaillent dans la presse, dans des stations de radios ou des chaînes de télévision. C’est beaucoup plus utile pour moi de connaître ces gens là que d’être dans un réseau féminin où je n’ai pas grand-chose en commun avec les autres membres à part le fait d’être une femme. » Une stratégie qui selon Claire Léost serait très efficace: « lorsque vous allez dans un réseau classique, vous êtes la seule femme ou presque. Du coup, on vous remarque tout de suite. »

Bénédicte Champenois-Rousseau, présidente d’HEC au féminin, l’admet : être membre d’un seul groupe de femmes ne suffit pas. « Il ne faut pas se leurrer, les réseaux les plus influents sont ceux où prédominent les hommes. Le mieux est d’en choisir deux, un mixte et un féminin, résume-t-elle. N’oublions pas que les réseaux féminins ont cet avantage d’aborder des sujets qui ne sont pas évoqués ailleurs. » Apprendre à bien négocier son salaire, ou à programmer efficacement son congé maternité par exemple. Des points les rendant incontournables selon elle. Et pour cause : un récente étude de son association a révélé qu’au sein d’une même promotion d’HEC, seules 17% des diplômées ont accès à des postes de dirigeantes contre 32% de leurs camarades masculins.

Des jeunes femmes encore relativement peu concernées…

Un coup de semonce qui ne suffit pour autant pas à attirer les jeunes diplômées dans les réseaux, quels qu’ils soient. Un phénomène que confirme Claire Léost, ancienne d’HEC : « quand j’étais étudiante, j’étendais « fréquentez des réseaux » et je trouvais cela débile. J’étais persuadée qu’ayant les bons diplômes, je n’en avais pas besoin, se souvient-elle. Puis, en évoluant dans l’entreprise, on se rend compte que plus on monte lorsque l’on est une femme, plus on est seule. Beaucoup de choses se passent ailleurs. Par exemple, les hommes du comité exécutif se voient en dehors. La différence se fait sur votre capacité à avoir un réseau en interne, en externe… »

« Tant que les jeunes femmes n’ont pas touché du doigt le fait qu’il y a une spécificité de la condition féminine au travail, elles ne voient pas tellement l’intérêt d’aller dans un réseau, notamment féminin, déplore Bénédicte Champenois-Rousseau. Elles reviennent vers nous dix ans en moyenne après la fin de leurs études, lorsqu’elles sont confrontées au plafond de verre ou qu’elles n’arrivent pas à concilier leurs vies professionnelle et personnelle. »

Nina Llado, elle, fait figure d’exception. A 19 ans, cette étudiante à Sciences Po est la directrice de WomenWork, association liée à Femmes et Société, le réseau féminin de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Son engagement n’est pas forcément une évidence pour tout le monde : « certains camarades ont une mauvaise image du réseau. Ils nous voient, les membres de WomenWork et moi, comme des hyènes à l’ambition surdéveloppée. J’ai même entendu ce genre de critiques venant de filles ! »

Des remarques familières à Bénédicte Champenois-Rousseau: « le réseau reste associé pour beaucoup à une image de népotisme, de magouille. La conséquence est que certaines femmes ont du mal à l’utiliser efficacement. » D’où l’intérêt d’associations comme HEC au féminin pour bouleverser cette vision.

« Nous les femmes, nous nous rendons compte de l’importance du réseau beaucoup trop tard, concède Claire Léost. Au-delà d’un certain niveau, la compétence compte peu. Si vous êtes là, c’est que forcément, vous êtes compétente. La différence se joue sur vos connaissances, en clair, sur votre réseau. » Et de mettre en garde : « Nous cherchons à faire nos preuves, à  faire correctement notre travail. Nous sommes persuadées que cela va suffire et que nous allons être récompensées ! »

Les femmes sont-elles donc encore prisonnières de leur costume de bonnes élèves sages et polies?  Un stéréotype encore très répandu au sein des jeunes générations, à la source de l’engagement de Nina Llado : « dès mon entrée à Sciences Po, j’ai été très frappée de constater que les filles étaient moins à l’aise à l’oral que les garçons. Même s’il y a autant d’étudiantes que d’étudiants, la répartition de la parole n’était pas égalitaire. Ça m’a choquée ! »

Emmanuelle Gagliardi a fait le même constat dans d’autres contextes : «  chez les femmes, c’est « vivons heureuses, vivons cachées ». Les hommes prennent la parole dès qu’ils en ont la possibilité même si le discours n’est pas au point. Les femmes ont un retard considérable dans l’affirmation de soi. »

Une discrétion néfaste professionnellement caractérisée notamment par un manque de visibilité sur la Toile. « Quand vous regardez les statistiques sur les réseaux sociaux, explique Natacha Quester-Séméon, les femmes sont les plus actives sur Twitter, Facebook. » Sur Pinterest, elles représentent même plus de 58% des utilisateurs, selon Mediametrie/NetRating. « Mais par contre, poursuit la co-fondatrice de Girl Power 3.0, elles sont moins présentes sur LinkedIn. » Sur le réseau professionnel, en effet, les femmes ne représentent même pas 46% des abonnés. « Or, à notre époque, gérer sa réputation numérique est crucial, que l’on soit salariée ou entrepreneure. » Preuve s’il en est que les réseaux féminins ont encore du pain sur la planche…

Claire Bauchart

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