Et si la gentillesse devenait un piège ? Dans Le syndrome de la gentille fille (Ed. Good Mood Dealer), Myriam Zenina met en lumière une réalité souvent tue : celle de femmes brillantes, engagées, compétentes, mais prisonnières de leur besoin de plaire, d’être aimées, validées. À travers son regard de coach en estime de soi et son vécu personnel, elle interroge notre rapport à l’estime de soi, à l’assertivité et à la peur du rejet. Une conversation profonde, qui nous invite à nous réconcilier avec nous-mêmes.
Vous abordez l’idée que beaucoup de femmes cherchent la validation à l’extérieur. Pourquoi est-ce si ancré, selon vous ?
Myriam Zenina : Effectivement, ce besoin est profondément ancré en nous, car il fait partie de notre instinct de survie en tant qu’être humain. Par le passé, nous avions besoin du groupe pour survivre. Dans la pyramide de Maslow, le troisième besoin est celui d’appartenance. Nous avons besoin de faire partie d’un groupe, de nous sentir vus et validés par lui.
L’isolement est, d’une certaine manière, une petite mort pour l’être humain. Chercher la validation à l’extérieur, c’est tenter de combler un besoin d’amour. Ce besoin est plus ou moins marqué selon notre éducation, notre culture, nos blessures. En réalité, nous avons presque tous besoin de reconnaissance extérieure. Mais lorsqu’il devient excessif, il peut nous empoisonner.
Vous évoquez une dissociation fréquente entre le corps et les émotions chez les femmes. Comment cela se manifeste-t-il, et comment y remédier ?
Myriam Zenina : Oui, les « gentilles filles », notamment lorsqu’elles sont en mode survie, ont tendance à énormément prendre sur elles. Mais prendre sur soi, c’est indirectement faire porter un poids à son corps. Elles ne réalisent pas que leurs émotions, si elles ne sont pas accueillies, digérées, « processées », peuvent finir par se transformer en maladies, plus ou moins graves.
Mais au début, c’est insidieux : ça commence par une charge mentale écrasante, une fatigue chronique, des rhumes à répétition… puis cela s’intensifie, jusqu’à devenir plus douloureux, plus sérieux. Elles vivent un profond désalignement. Le corps encaisse à la place d’un cœur ou d’un esprit qu’on force à taire. Il absorbe les émotions qu’on refuse de regarder, sous l’effet d’un stress intense que les gentilles filles font peser, bien malgré elles, sur leur organisme.
Pour y remédier, il est essentiel de ressentir pleinement chaque émotion, et surtout de poser des mots sur ce qu’on vit. À partir du moment où l’on verbalise, la charge émotionnelle commence à se dissoudre. Chacune gère ses émotions à sa manière. Ce que je recommande aux femmes que j’accompagne, c’est d’observer ce qu’elles font dans leur journée qui leur permet de vivre de belles émotions. Inversement, quand une journée est lourde, quand des émotions négatives émergent, je leur propose de se demander : qu’est-ce qui a déclenché ça ? Les réponses sont souvent de véritables pépites. Et ce sont généralement les mêmes déclencheurs qui reviennent. Il faut alors aller traiter le problème à la racine, et le faire sans tarder.
Dans un contexte professionnel, comment le syndrome de la gentille fille peut-il freiner la carrière d’une femme ?
Myriam Zenina : Le syndrome de la gentille fille est un ralentisseur de carrière silencieux. Pourquoi ? Parce qu’on pense ne pas être assez. Et cela a des conséquences immenses : on ne sait pas mettre en avant son travail, on n’ose pas demander d’augmentation ni de promotion. La gentille fille pense qu’elle a de la chance d’avoir ce poste, elle n’inverse jamais la dynamique en se disant que son entreprise a, elle aussi, de la chance de l’avoir comme collaboratrice.
Lorsque le syndrome de la gentille fille est fortement ancré, et que la personne évolue dans un environnement professionnel dit “toxique”, le risque de harcèlement moral ou de burn-out augmente considérablement. C’est ce que raconte l’une de mes coachées dans son témoignage, que vous pouvez retrouver dans le livre.
Le problème, quand on est prise dans le syndrome de la gentille fille, c’est qu’on croit que la gentillesse nous ouvrira des portes. En réalité, on finit souvent par se construire sa propre prison intérieure. Un paradoxe naît alors dans l’esprit de celles qui en souffrent : “On m’a appris, depuis l’enfance, que la gentillesse était une valeur noble… Mais aujourd’hui, en tant qu’adulte, c’est cette même gentillesse qui me nuit et me fait souffrir.”
Ce décalage crée un profond désalignement. Et souvent, on se replie sur soi. Les conséquences peuvent être terribles : isolement, chute brutale de l’estime de soi, perte de motivation… jusqu’à ce qu’une forme d’amertume s’installe, au point de transformer la personnalité, dans les cas les plus graves.
Vous encouragez les femmes à prendre leur place et à être assertive. Quels premiers pas concrets conseillez-vous pour y parvenir sans culpabilité ?

Myriam Zenina : Oui. Très souvent, ce que j’observe chez “la gentille fille”, c’est une accumulation silencieuse : rancœurs, non-dits, silences… jusqu’à ce que tout explose. Elle voudrait dire les choses, mais elle est muselée par la peur : peur du jugement, d’être mal comprise et de blesser. Alors elle se tait, encore et encore… jusqu’au jour où tout déborde. Et ce trop-plein se transforme en ce que j’appelle une “diarrhée verbale” : elle vide d’un coup tout ce qu’elle a gardé en elle pendant des semaines, voire des années. La gentille fille est terrifiée à l’idée de perdre ses proches. C’est justement parce qu’elle n’ose pas affirmer ses besoins qu’elle en vient à s’éloigner de ceux qu’elle aime.
Or, dans l’assertivité, il y a le respect de soi et de l’autre. Il ne s’agit pas d’agresser, ni de mépriser, mais de savoir comment dire les choses, en restant connectée à son ressenti. L’assertivité, c’est une parole claire et posée, qui ne cherche ni à écraser ni à se justifier. Ce que je recommande ? C’est de commencer simplement, avec une phrase toute simple : “Je ne suis pas d’accord.” Juste ça. Une phrase-refuge. À utiliser dès que vous sentez que quelque chose en vous dit non. Et entraînez-vous à la dire dans des contextes sans grands enjeux : pour vous habituer, pour que ça devienne naturel. Dites-le toujours à la première personne : “Je ne suis pas d’accord”, et non “Tu dis n’importe quoi.” Parce que c’est là que commence le respect de soi, et des autres.
Comment dépasser la peur de déplaire dans des environnements compétitifs ou hiérarchiques ?
Myriam Zenina : Accepter l’imperfection des relations, notamment dans le milieu professionnel, est un vrai tournant. La « gentille fille » a souvent peur d’affirmer son opinion, de dire qu’elle n’est pas d’accord et de poser une limite claire. Elle préfère se taire, arrondir les angles pour ne surtout pas déranger. Mais à force de se faire violence, une frustration profonde s’installe. Petit à petit, elle se démotive, elle traîne des pieds pour aller travailler, elle ne trouve plus de sens dans ce qu’elle fait. Parce qu’on ne peut pas éteindre ses besoins sans, à un moment donné, éteindre aussi son enthousiasme. C’est pourquoi je pense que tout commence par l’acceptation. Accepter que les relations soient parfois déséquilibrées, inconfortables et floues. Accepter que les autres ne pensent pas comme vous.
Et surtout, comme je l’écris dans le livre, accepter que certaines personnes aient une image erronée de vous. Cela ne vous détruira pas. Cela ne diminue en rien votre valeur. Cette image qu’ils ont dit bien plus d’eux, que de vous. Plus vous résistez à vouloir plaire à tout le monde, plus vous vous libérez. Et plus vous vous rapprochez de ce que vous êtes vraiment.
Vous parlez de “réappropriation de soi”, jusqu’à quel point peut-on être authentique ?
Myriam Zenina : Je pense qu’il existe plusieurs couches d’authenticité. Il y a des personnes avec qui il est plus facile d’être authentique que d’autres. La limite de l’authenticité, c’est toujours le respect de l’autre. On voit parfois des personnes très directes, voire brutales, qui se justifient en disant qu’elles sont « simplement authentiques ». Mais avant d’être authentique, il faut être respectueux.
Se réapproprier sa vérité ne veut pas dire dire « va te faire voir » à tout le monde. C’est revenir au sens. Quand on s’est perdu trop longtemps, c’est un retour à soi, à ses besoins, mais toujours dans la conscience et le respect des autres.
Être authentique, c’est assumer ses goûts, ses idées, sa vision des choses, sans s’excuser d’exister, mais sans écraser non plus. C’est un équilibre. Et même si ça semble simple à dire, en pratique, on peine parfois à assumer pleinement qui l’on est, par peur du rejet.
Mais la vérité, c’est que les personnes alignées resteront. Et celles qui ne le sont pas s’éloigneront. N’est-ce pas, au fond, l’une des multiples définitions de la vie et de la nature humaine ?
Comment retrouver une posture intérieure alignée avec ses besoins profonds sans tomber dans l’égoïsme ?
Myriam Zenina : C’est l’une des choses les plus importantes à faire : se remettre au centre de sa vie. Mais cela ne veut pas dire devenir égoïste. Bien souvent, la « gentille fille » a laissé son pouvoir entre les mains des autres. Elle a oublié sa valeur, dans des relations où certains en ont profité. Il est essentiel de garder une place pour les autres dans sa vie, c’est ce que j’explique dans la troisième partie de mon livre. Nous avons besoin les uns des autres. Mais pour être pleinement présente pour les autres, vous devez d’abord vous nourrir vous-même, respecter vos besoins, vous recharger.
Comment ? En vous accordant des moments rien qu’à vous. Et cela peut être tout ce qui vous remplit : un massage, un verre en solo face à la mer, un bon livre en terrasse, du coloriage, de la couture, danser, vous reposer, regarder une série un dimanche après-midi… Il n’y a pas de règle. Seulement ce qui vous fait du bien.

Avez-vous vous-même traversé ce chemin de transformation ? Si oui, quelles ont été vos plus grandes révélations ?
Myriam Zenina : Bien sûr. J’étais la gentille fille dans toute sa splendeur, à tel point que j’en venais à avoir de la peine pour moi-même. J’ai longtemps tout pris sur moi en silence. Ce livre, je l’ai écrit pour cette ancienne version de moi, mais aussi pour toutes les gentilles filles d’aujourd’hui, qui se perdent à force de vouloir bien faire.
Mes plus grandes révélations ont été de comprendre que, bien souvent, la manière dont les autres me traitaient était le reflet de la manière dont moi-même je me traitais. Il y a cet effet miroir, dérangeant, que l’on a du mal à assumer. Parce que c’est très difficile pour l’ego d’accepter que nous avons une part de responsabilité dans la façon dont les autres nous perçoivent, nous parlent et nous considèrent.
Et pourtant, j’ai compris une chose essentielle : il ne tenait qu’à moi de changer les règles du jeu. De me respecter pour être respectée. J’ai découvert que je détenais un pouvoir immense, que je sous-estimais, dont je n’imaginais même pas la profondeur. Celui qui, un jour, vous fait prendre un tournant décisif dans votre vie.