Santé féminine : des millions de femmes oubliées par la médecine

Santé féminine

Le travail, c’est la santé… L’adage a du plomb dans l’aile : en matière de santé féminine, les maladies graves ou moins graves surviennent pour moitié entre 20 et 64 ans souligne un rapport récent du McKinsey Health Institute pour le World Economic Forum. Autrement dit, elles apparaissent en pleine vie active.

Autres données parlantes relevées par le cabinet de conseil : elles sont 450 millions à travers le monde à être exposées à la ménopause ou périménopause. Le « marché » pour pallier les effets de ces deux maladies est estimé entre 120 et 230 milliards de dollars. Pourtant, seules 3% des levées de fonds HealthTech concernent la santé féminine.

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Ces statistiques alarmantes n’étonnent pas la professeure Claire Mounier-Vehier. Cheffe de service à l’Institut Cœur Poumon de Lille, cette cardiologue de renom est la co-fondatrice d’Agir pour le Cœur des femmes, fonds de dotation œuvrant pour une prévention accrue des maladies cardio-vasculaires. Elle est également l’autrice de Mon combat pour le cœur des femmes, agir avant qu’il ne soit trop tard (Marabout, 2019).

Malgré une espérance de vie plus longue, les femmes passent 25% de leur existence en mauvaise santé, selon un rapport du cabinet de conseil McKinsey pour le World Economic Forum. Que vous inspire cette statistique ?

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Claire Mounier-Vehier

Claire Mounier-Véhier : Elle est édifiante, bien évidemment. Elle confirme aussi les conclusions du rapport de Santé Publique France sur les maladies cardio-vasculaires, mettant en exergue que les femmes sont moins bien dépistées et traitées.

Cela se reflète aussi dans l’enquête qu’Agir pour le cœur des femmes vient de mener avec OpinionWay. Une femme sur trois décale ses rendez-vous médicaux. Plus précisément, elles sont seulement 40% à faire leurs mammographies en temps et en heure. Pourquoi ? La crainte d’avoir un cancer… Mais la peur n’évite pas le danger. Plus le diagnostic est précoce, mieux c’est.

Autre raison pour le report de ces rendez-vous : le manque de temps. Toujours cette fameuse charge mentale… Mais, il faut s’occuper de soi ! Les hommes consultent davantage. Et ils n’ont pas la même perception de la douleur que les femmes. Entre l’accouchement et les règles, nous y sommes plus habituées… et donc plus résistantes !

En résumer, nous sommes trop dures avec nous-mêmes. Moi-même, mon hypertension a été détectée par ma gynécologue, à une période stressante. Je ne m’étais pas auto-diagnostiquée : d’où l’important de consulter.

Pour ces raisons, nous avons édité un auto-questionnaire sur le site d’Agir pour le cœur des femmes. Il permet d’identifier des signaux d’alerte et de mieux préparer ses rendez-vous. L’idée : ne plus les reporter.

Manque de temps et peur du diagnostic… Si les femmes doivent moduler leur comportement par rapport au dépistage, le financement et la recherche, encore peu orientés vers la santé féminine, sont aussi à souligner.

Claire Mounier-Vehier : Évidemment ! J’ai été confrontée à ce phénomène. En 2020, Lorsque j’ai lancé au CHU de Lille le parcours de soin coordonné Cœur-artères-femmes, visant à soigner les maladies cardio-vasculaires de manière holistique, en intégrant notamment le paramètre gynécologique. J’ai rencontré de nombreuses résistances internes. Certaines persistent. On m’a dit que la santé féminine était juste « un thème à la mode. » Mais je rappelle que celle-ci est impactée par des situations hormonales spécifiques.

Par exemple, au centre des Bilans de l’Institut Cœur Poumon, nous avons instauré des filières de suivi à distance des cancers du sein. Beaucoup voient leur cœur abîmé par les traitements (chimiothérapie et radiothérapie). J’essaie de véhiculer ces idées par des voies annexes, notamment lors de congrès médicaux.

Un autre exemple révélateur : une femme de 30 ans, avec des antécédents familiaux d’AVC, souffre d’un torticolis. Chez une femme jeune, cela peut cacher une dissection de l’artère vertébrale ou carotidienne. Le kinésithérapeute qui l’a manipulée n’a pas identifié ce risque. Résultat :dissection aggravée, AVC massif auquel s’est ajouté un thrombus (NDLR caillot de sang), découlant de la prise de contraception avec œstrogènes. Cela a conduit à trois ans d’hospitalisation. Selon Opinion Way, seules 65% des femmes savent que la prise d’hormones contraceptives constitue un facteur de risque.

En formation initiale, les maladies cardio-vasculaires chez la femme restent peu abordées. Mais les étudiants s’y intéressent de plus en plus, notamment à la prévention et à la santé féminine.

Cela rejoint l’un de vos messages pivots : passer d’un système de santé curatif à un système préventif.

Claire Mounier-Véhier : Oui, et ce, alors même que nous avons une population vieillissante, en proie à de multiples comorbidités… C’est dramatique sur le plan humain… et extrêmement coûteux pour les finances publiques ! Les pays nordiques l’ont compris. Au Danemark ou en Suède, la prévention est centrale.

Voici des chiffres simples qui le démontrent : le coût d’un bilan cardio-vasculaire, à l’instar de celui de notre programme Cœur-artère-femme qui a essaimé dans plusieurs hôpitaux hexagonaux, tourne autour de 800 euros. Un tel rendez-vous intervient après une consultation gynécologique au cours de laquelle une fatigue ou un facteur de risque cardio-vasculaire particuliers ont été identifiés (tension élevée, fort taux de cholestérol ou hérédité coronarienne…). Généralement, ce rendez-vous de repérage permet d’éviter le premier accident, tout en fixant des consultations de suivi ponctuelles. En parallèle, en 2021, le coût moyen d’un accident coronaire aigu est de 10 096 euros par patient ; 14120 euros dans le cas d’un accident vasculaire cérébral… sans compter le coût du suivi et des thérapeutiques à moyen et long termes.

La moitié des problématiques de santé pèsent sur les femmes entre 20 et 64 ans… au moment où elles travaillent donc ! Observez-vous une prise de conscience des entreprises sur ce point ?

Claire Mounier-Vehier : Elle est toute relative… et c’est bien tout l’enjeu de l’action de notre fondation. Nous l’avons créée en 2020 avec Thierry Drilhon, administrateur et dirigeant d’entreprises. Notre action tourne autour d’une idée centrale : la prévention n’est pas un coût, mais un investissement.

Notre action repose exclusivement sur le mécénat et la générosité du public. Depuis 2025, nous déployons des journées du cœur des femmes en entreprise permettant aux femmes de bénéficier d’un repérage cardio-vasculaire et gynécologique et de prendre conscience de l’importance d’être en bonne santé.

Par ailleurs, nous œuvrons aussi à la sensibilisation des pouvoirs publics. Avec Agir pour le cœur des femmes, nous avons organisé en mai dernier une journée de repérage du risque à l’Assemblée Nationale, proposée à toutes les femmes qui y travaillent, de celles qui entretiennent des bureaux aux députées. Une telle action envoie un signal fort : la santé féminine doit devenir une priorité collective.

Un dépistage crucial : on le sait peu, mais les infarctus tuent huit fois plus de femmes que le cancer du sein… Quels sont les comportements à risque ?

Claire Mounier-Véhier : En effet : en France, deux cents femmes décèdent chaque jour d’un accident cardio-vasculaire. La première cause reste l’AVC, suivie, chez les moins de 60 ans, par l’infarctus du myocarde et l’insuffisance cardiaque…

Dans 8 cas sur 10, la maladie cardio-vasculaire découle du mode de vie. Certains facteurs de risque ont progressé au cours des cinquante dernières années : tabac, stress, sédentarité… L’hérédité joue un rôle dans 30% des cas seulement. La prise d’une contraception, couplée au tabac, au stress ou à une grosse charge de travail, peut être délétère, voire source d’infarctus et d’AVC chez la femme jeune.

Un cas croisé récemment illustre mes propos : celui de cette Parisienne de 37 ans, stressée par son travail, sous contraception et fumeuse. Il y avait des cas de maladies cardio-vasculaires dans sa famille. Un soir, elle se sent mal, est écrasée par son travail. Elle annule une soirée avec ses copines en expliquant être très fatiguée et oppressée… Son conjoint la retrouve morte dans sa salle de bains le lendemain matin. L’autopsie a révélé qu’elle a été victime d’une dissection coronaire : en d’autres termes, son artère s’est dédoublée en deux. Il s’agit de l’une des formes spécifiques de l’infarctus de la femme de moins de 45 ans.

Quels sont les impératifs à intégrer à notre mode de vie afin de limiter la survenue d’accidents cardio-vasculaires ?

Claire Mounier-Vehier : Il est important de dormir au moins six heures par nuit. Si ce n’est pas le cas, il faut compenser par une sieste. Je prône aussi la cohérence cardiaque, la pratique d’une respiration lente, afin de remettre les pendules à l’heure et gérer son stress.

En journée, il est important de lutter contre la sédentarité (soit le fait de rester assise au moins six heures par jours), en se levant toutes les deux heures. Il est crucial de faire trente minutes d’activité physique par jour : la marche peut faire l’affaire. Privilégier aussi le fait de prendre les escaliers. Enfin, se dédouaner en se rendant deux fois par semaine dans une salle de sport ne contrecarre pas les effets de la sédentarité.

Ces gestes simples sont fondamentaux pour préserver sa santé cardiovasculaire, mais plus largement, ils doivent être intégrés comme des piliers de la santé féminine, encore trop souvent négligée dans les politiques de prévention.

Claire Bauchart

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