Rouvrir les écoles : premiers retours d’expérience

écoles, coronavirus, santé, enfants
Rouvrir les écoles, un casse-tête qui mérite de se pencher sur les expériences internationales.

Didier Jourdan, Université Clermont Auvergne

La réouverture des écoles en France est planifiée à partir du 11 mai. Certains pays n’ont pas fermé leurs écoles, d’autres les ont déjà rouvertes, quelques-uns ont décidé d’attendre la rentrée de septembre et pour certains le débat est encore en cours.

Ces différentes situations témoignent de la diversité des contextes : conditions de vie, organisation politique, système de santé, calendrier scolaire, intensité de l’épidémie… Elles illustrent aussi le fait que les décisions politiques en matière de santé publique ne peuvent s’appuyer sur des données univoques simples, claires et définitives.

Ces décisions font toujours intervenir un large ensemble de paramètres, et une part d’incertitude. En effet, même s’il s’agit d’un facteur qui agit aujourd’hui sur la santé de façon saillante et évidente pour chacun, l’épidémie de Covid-19 n’est que l’un des déterminants de la santé parmi de nombreux autres.

La recherche montre que la santé des individus et des populations est sous l’influence d’un large ensemble de déterminants biologiques, socioculturels, environnementaux, comportementaux, liés au système de soins et que les inégalités de santé trouvent leur source dans ces différents facteurs.


Read more: Réouverture des écoles : sur quels savoirs s’appuyer ?


À titre d’exemple, la décision de fermer les écoles conduit à une augmentation des inégalités en matière d’éducation. Les conditions de confinement dépendent des conditions matérielles (accès à un espace calme, à des outils numériques performants à des espaces privés pour pratiquer une activité physique) et de la relation à l’école entretenue par les familles, qui est elle aussi fortement déterminée par inégalités socio-économiques. Les études, y compris longitudinales, montrent que ce qui est fait hors de l’école (pendant les vacances en temps ordinaires, confinement aujourd’hui) influence directement la réussite éducative, le statut socio-économique et donc la santé[i].

Si les déterminants sociaux et éducatifs ne sont pas aussi visibles, ils ont cependant un impact majeur. Comme le souligne Michael Marmot, le Président de la commission des déterminants de la santé de l’OMS, les inégalités tuent à grande échelle. Les réponses mises en œuvre dépendent ainsi de la priorité accordée respectivement aux enjeux à court et long terme et à la prise en compte des différents déterminants de la santé. En France, le gouvernement a arbitré en faveur de la réouverture des écoles et d’une démarche de déconfinement différencié.

Annonces sur le calendrier de la réouverture des écoles.

Au-delà de la dimension politique, la question de la faisabilité et des modalités concrètes de la réouverture est centrale. Dans un précédent article, nous nous sommes intéressés aux données disponibles quant aux politiques à mettre en œuvre. Nous proposons ici de nous focaliser sur les questions concrètes posées à l’échelon des écoles, des collèges et des lycées.

Pour cela, nous avons synthétisé les questions qui émergent du côté des parents et des professionnels de l’éducation français et les avons posées à trois chefs d’établissement à Taiwan : un directeur d’école, un principal de collège et le proviseur d’un lycée professionnel.

Nous avons également fait le point de la situation avec les chercheurs du département de santé publique de l’Université Fu Jen de Taipei. Ce pays a en effet rouvert ses écoles le 25 février, après avoir prolongé les vacances d’hiver de deux semaines. Les équipes d’école et d’établissement ont ainsi deux mois de recul.

Le respect des mesures barrières

Ont été mises en œuvre de façon différenciée selon les établissements, plusieurs mesures de prévention :

  • mesure de la température corporelle
  • port du masque par les élèves, les parents et les personnels dans les transports scolaires et à l’école
  • lavage régulier des mains
  • contrôles à l’entrée

Le port du masque à l’école primaire n’a pas posé de problème. Les salles de classe ont été réorganisées de façon à avoir plus d’espace entre les élèves et chacun, y compris les adultes, doit s’asseoir sur son propre siège.

Il est demandé aux parents ne pas entrer dans l’école et de respecter les mesures de distanciation sociale autour de l’école. S’ils doivent néanmoins entrer, ils ont à porter un masque, mesurer leur température corporelle, se laver les mains et s’enregistrer nominalement à l’accueil.

Les mesures diffèrent selon la taille et le type d’établissement. Dans le collège, le chef d’établissement a instauré la mesure de la température (thermomètre frontal) à la maison avant d’arriver à l’école, à l’entrée et pendant l’heure du repas à midi. Dans le lycée professionnel, la circulation et les regroupements ont été repensés pour éviter que trop de personnes ne soient au même endroit au même moment.

En ce qui concerne la cantine, la situation est très différente selon les établissements, puisque les repas peuvent être pris en classe ou à la cantine selon les cas. Lorsque les repas sont pris à la cantine, des mesures strictes sont prises lors de la distribution de la nourriture (masques, gants, couvre-chefs).

Pour les transports scolaires, le respect du port du masque et de la distanciation sociale a été facilité par le fait que ces mesures sont généralisées à l’ensemble des transports en commun (train, bus, métro). La valorisation des gestes barrières et des comportements positifs par les adultes favorise le respect des règles par les élèves et leur vigilance.

Interrogations de parents et d’élus sur les conditions pratiques de la réouverture des écoles le 11 mai (France 3).

Le fait que l’ensemble de la société se mette en situation de combattre l’épidémie rend possible le travail des équipes d’établissement pour faire respecter les mesures barrières.

La mise en œuvre de ces mesures n’a pas généré de difficultés particulières du fait à la fois d’un cadre national précis, d’un engagement de tout le corps social et d’une large marge de manœuvre des équipes d’établissement pour adapter les mesures à l’âge des enfants et aux locaux.

Les conditions de la réussite

D’une façon générale, les responsables d’établissements soulignent que leur action a pu être efficace du fait de quatre éléments clés :

  • une préparation en amont via le volet santé de leur projet d’établissement
  • un cadre national précis notamment sur les mesures d’exclusion en cas de suspicion de Covid-19
  • une autonomie dans la mise en œuvre des mesures
  • une communication et un accompagnement permanent des enseignants, parents et élèves

Les directeur et chefs d’établissement concernés se sont appuyés sur le volet santé de leur projet d’établissement et l’équipe qui l’anime – l’équivalent de « comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté » des établissements français.

Leur politique d’école, de collège ou de lycée est fondée sur une démarche de promotion de la santé qui inclut six dimensions : un plan basé sur une approche éducative de la santé intégrée au projet d’établissement, l’environnement physique de l’école, les relations au sein de la communauté éducative, les compétences individuelles en matière de santé, les liens avec les partenaires, les services de santé scolaire.

C’est sur cette base (politique éducative de santé, comité préexistant, expérience) que les écoles et établissements ont bâti leur stratégie pendant l’épidémie.

Les chefs d’établissements insistent également fortement sur l’enjeu du numérique et de l’enseignement à distance. Pour eux, la priorité est de s’assurer que les élèves aient de quoi travailler à la maison en cas de suspension totale ou partielle des cours. L’enjeu est de mettre en place un dispositif hybride durable intégré au volet santé du projet d’établissement, permettant de faire face à l’épidémie dans la durée.

Le maintien d’un enseignement à distance est une question cruciale. Shutterstock

La communication et l’accompagnement des élèves, parents et acteurs de la communauté éducative est une priorité pour les chefs d’établissement interrogés. Ceux-ci soulignent la charge de travail supplémentaire pour les professionnels et insistent sur la nécessité d’un accompagnement très étroit des équipes.

Il en est de même du côté des familles avec lesquelles la communication est intense. Il faut répondre aux inquiétudes des parents, expliquer ce qui est attendu de leur part… Bien que les modalités varient d’un établissement à l’autre, ils utilisent les outils de communication visuelle (affiches, écrans) et les réseaux sociaux. Des chat groups sont organisés avec les enseignants.

Les difficultés recensées ont concerné la mise à disposition des masques et des moyens de prévention par le ministère, ainsi que la charge de travail pour l’équipe en charge de la promotion de la santé et pour les enseignants (gestes barrières pour eux, adaptation de l’enseignement…).

L’école, acteur de santé

Les problématiques auxquelles sont confrontés les chefs d’établissements taiwanais diffèrent peu de celles de leurs équivalents français. Même s’il faut être très prudent dans les comparaisons, leur expérience peut être instructive.

Les éléments saillants concernent d’abord l’intégration de la problématique de la gestion de la crise du Covid-19 dans une vision éducative de la santé au-delà des seuls enjeux médicaux. L’approche concerne à la fois l’établissement comme lieu de vie et comme espace privilégié d’éducation. La gestion d’une épidémie est un élément parmi d’autres de l’action en faveur de la santé des élèves qui concerne à la fois la protection, la prévention et l’éducation à la santé.

Toutes les mesures sont pensées en référence au développement des élèves et à la citoyenneté. En France, nous disposons également des outils permettant aux écoles et aux établissements scolaires de mettre en œuvre une démarche de promotion de la santé durable et ainsi d’insérer les mesures prises pendant l’épidémie dans un cadre structurant.

Covid-19 : retour en classe pour une partie des élèves de Nouvelle-Calédonie (France 24, 22 avril 2020).

C’est ensuite l’équilibre entre un cadre national et la garantie de disposer des moyens dédiés (masques notamment), d’une part, et l’autonomie nécessaire à une adaptation au contexte et aux besoins des élèves d’autre part.

C’est également le lien entre l’école et la société. Les chefs d’établissement soulignent le fait que le respect des mesures barrières est rendu possible par le contexte social (notamment le port du masque dans les transports). L’école n’est pas une baguette magique et il convient de ne pas renvoyer aux établissements plus de responsabilités qu’ils en peuvent assumer.

On peut ici rappeler que sans une communication claire avec les parents, ceux-ci résistent à l’idée d’envoyer leurs enfants à l’école. Il suffit pour s’en convaincre de suivre le groupe Facebook intitulé « My child should not be a guinea pig for Covid-19 » « Mon enfant ne doit pas être un cobaye pour le Covid-19 » qu’ont déjà rejoint plus de 40 000 personnes au Danemark. C’est toute la société qui est engagée dans la lutte contre l’épidémie et l’école y contribue en référence à sa mission centrale qu’est l’éducation de tous.

Cet exemple met en lumière le fait que l’enjeu central est avant tout de s’assurer que les questions de santé à l’école soient traitées du point de vue scolaire, en référence à l’éducation des élèves. L’école comme acteur clé de la santé de tous via les conditions de vie qu’elle offre aux élèves et l’éducation qu’elle dispense et non comme simple instrument de santé publique.


Merci à Min Chien Tsai de l’université Fu Jen et aux directeurs et chefs d’établissements qui ont pris part aux échanges.

Didier Jourdan, Professor, holder of the UNESCO chair and WHO collaborating center for Global Health & Education, Université Clermont Auvergne

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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