Morgane Dion : Pourquoi les gentilles filles ne réussissent pas ?

Morgane Dion

Morgane Dion, cofondatrice et CEO de Plan Cash (plateforme francophone d’éducation financière pour les femmes), coach en négociation salariale et conférencière, vient de publier aux éditions Eyrolles « Les gentilles filles ne réussissent pas ». Dans cet ouvrage, elle revient sur les inégalités entre les femmes et les hommes au travail et encourage l’entraide féminine pour réussir professionnellement.

Le titre de votre livre interpelle. Les gentilles filles ne peuvent pas réussir

Morgane Dion : Le monde d’aujourd’hui n’est pas pensé pour les femmes. Si on joue le jeu, que l’on est gentille, que l’on obéit aux règles mises en place par le patriarcat, on obtient des miettes. Si on fait l’inverse, que l’on écrase ce jeu, que l’on est soi-même, on risque d’avoir un retour de bâton c’est vrai… Mais quand on gagne, on gagne plus, tout en restant fidèle à soi-même, sans s’être forcée à rentrer dans des stéréotypes qui ne nous ressemblent pas. Ça ne veut pas dire être méchante pour autant. Pour moi, l’inverse de gentille, c’est être déraisonnable, ça veut dire oser aller à l’encontre de ce qui est dicté, oser s’affirmer.

Vous écrivez que le problème ne vient pas d’un manque de confiance en soi des femmes ou de mauvais choix mais qu’il est systémique. Pourquoi ?

Morgane Dion : Ce sont les études qui le disent. Le syndrome de l’imposture, terme que je préfère à celui de syndrome de l’imposteur qui renvoie à la personne et non au comportement, laisse supposer que l’on est malade. Ce syndrome n’a à l’origine été étudié que chez les femmes alors que les hommes éprouvent aussi ce manque de confiance en soi. Simplement, ils sont plus à l’aise que les femmes à l’idée de ne pas savoir. On répète tellement aux femmes qu’elles manquent de confiance en elles, qu’elles finissent par croire à cette idée et à agir en s’y conformant. On le voit bien avec l’ampleur prise par le développement personnel à destination des femmes. Or la confiance en soi ce n’est pas inné, ce sont les expériences sociales qui la construisent.

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Comment changer ce paradigme ?

Morgane Dion : Ce n’est pas facile mais ça commence déjà par une prise de conscience, en lisant des études sur ce sujet par exemple. Pour lutter contre ce système, ça passe par diverses petites choses comme montrer plus de visages de réussites féminines, ou par le fait de ne pas mettre tous les noms au masculin par exemple mais d’utiliser leur forme féminine ou vraiment neutre.

En quoi les filles gentilles sont-elles particulièrement défavorisées par rapport aux hommes ?

Morgane Dion : Les femmes sont intelligentes et réussissent aussi bien que les hommes, sinon mieux dans les études supérieures notamment. Mais elles sont défavorisées par leur environnement. Leurs compétences sont toujours à démontrer, alors que celles des hommes vont toujours de soi. Les postes de pouvoir sont majoritairement détenus par les hommes qui valorisent d’autres hommes. Il y a très peu de rôles-modèles pour inspirer les femmes. Et quand il y en a, elles viennent souvent de l’industrie de l’apparence alors que les hommes ont des rôles-modèles plus nombreux et plus variés.

Vous évoquez aussi l’intersectionnalité, le fait d’être discriminée ou avantagée en fonction de diverses identités…

Morgane Dion : Oui. L’intersectionnalité, telle que l’a définie la chercheure Kimberlé Crenshaw, c’est le fait d’appartenir à plusieurs catégories d’identité : être une femme, être noire, être voilée, etc… Plus une femme est aux intersections de critères socio-démographiques discriminants, plus elle risque d’être confrontée à des discriminations, de ne pas être recrutée par une entreprise, de ne pas être promue… Une femme noire sur deux pense d’ailleurs que sa couleur de peau va être un frein pour sa carrière contre seulement 3% des femmes blanches.

Pour lutter contre ça, on doit déjà prendre conscience que les femmes sont toutes différentes. Une femme blanche vivra des expériences différentes d’une femme noire. Aux États-Unis, des sondages démontrent la différence de salaire entre femmes selon leur couleur de peau ou leur origine. En Europe, on n’a pas ces informations. On invisibilise une grande partie des femmes. Si on le faisait, on constaterait aussi qu’une femme arabe ou noire par exemple est largement sous-payée par rapport à une femme blanche, pour un même poste. On verrait sûrement aussi qu’elles accèdent moins facilement à ces postes mieux rémunérés, qu’elles ont plus de difficultés à être promues.

Mais même si elles ne doivent pas affronter les mêmes discriminations, les femmes doivent se soutenir dans leurs luttes face aux obstacles opposés aux unes et aux autres.

Vous écrivez dans votre livre : « Le concept de plafond de verre n’existe que parce que nous acceptons de jouer selon les règles établies ». Comment changer ces règles ?

Morgane Dion : Il n’y a pas une seule réponse mais le plancher collant. C’est-à-dire l’ensemble des mécanismes qui maintiennent les femmes en bas de l’échelle des emplois (type de mission, faible rémunération, mobilité réduite…, Ndlr), est le vrai problème pour moi. Les femmes sont maintenues en bas de l’échelle avec des horaires de travail longs, des horaires décalés, loin de chez elles… Pour faire progresser les femmes tout en haut, il faut déjà leur donner accès aux premiers postes de management. S’il y a plus de femmes qui passent les premiers échelons, forcément il y aura plus de candidates aux échelons les plus hauts – qui sont aussi mieux rémunérés.

Les quotas sont sujets à débat. En quoi sont-ils une bonne chose selon vous ?

Morgane Dion : On comprend que les quotas sont une bonne chose quand on a compris qu’il s’agit d’une solution provisoire. Il est alors plus simple d’accepter de les mettre en place. C’est comme un vaccin qui rétablit l’équilibre d’un corps dans le but que celui-ci parvienne à se réguler seul ensuite. Les quotas forcent les systèmes à s’équilibrer plus rapidement.

Certaines femmes se méfient effectivement de ces quotas car elles craignent que leur arrivée ne soit perçue comme du favoritisme plutôt qu’une reconnaissance de leurs compétences. Mais instaurer des quotas participe à augmenter le niveau global d’un groupe car le nombre de candidatures et donc la concurrence augmente. Les décisionnaires vont porter une meilleure attention aux compétences et pouvoir recruter les meilleurs parmi un panel plus large.

Certains recruteurs ou managers, y compris des femmes, ont des biais inconscients qui les conduisent parfois à freiner l’ascension des femmes. Comment l’expliquer ?

Morgane Dion : Ce n’est pas la faute de ces femmes. Elles sont arrivées là car elles ont elles-mêmes accepté de faire des sacrifices : travailler tard, moins voir leurs enfants, supporter des blagues sexistes… Inconsciemment, elles trouvent injustes que les autres femmes ne passent pas par ces mêmes étapes. C’est aussi une technique de survie : pour arriver là et y rester, elles jouent selon les règles des hommes. Et puis, comme il y a très peu de places pour les femmes, elles peuvent aussi les percevoir comme des concurrentes potentielles. Mais pendant qu’elles se tapent dessus, les hommes poursuivent tranquillement leur ascension.

Comment sortir de ce piège ?

Morgane Dion : Ça me semble important de se trouver des alliés, par exemple un mentor homme qui donne accès à son réseau. Il faut également être solidaires entre femmes et appliquer par exemple la « shine theory », inventée par Ann Friedman et Aminatou Sow (créatrices du podcast Call your girlfriend, Ndlr). Il s’agit de se valoriser les unes les autres lors de réunions, de communiquer sur les succès des autres collègues femmes etc… Ça évite d’être en concurrence permanente et permet à chacune de grimper les échelons plus vite.

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui veut réussir professionnellement ?

Morgane Dion : Je lui conseillerai d’arrêter de prêter l’oreille à ce qui se dit de négatif sur elle et de se rappeler qu’elle peut y arriver. Elle rencontrera des obstacles c’est certain, mais elle doit bien s’entourer pour avoir plus de force pour les dépasser. Et se former aussi, pour réussir ses entretiens par exemple.

Dorothée Blancheton

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