Marie-Christine Mahéas, ambassadrice de la mixité : “Les mesures destinées aux femmes permettent aux hommes un meilleur équilibre pro-perso. Nous y gagnons tous.”

Marie-Christine Mahéas

A la tête du centre Mazars pour la Diversité et l’Inclusion, Marie-Christine Mahéas dirige aussi le think tank « Observatoire de la mixité », dont les recommandations de bonnes pratiques viennent d’être référencées par le Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Un sujet qu’elle connaît bien : auteure et coordinatrice de deux livres collectifs sur le sujet, elle a également dirigé la branche française du Professional Women’s Network pendant plusieurs années. Un engagement chevillé au corps qu’elle décline aujourd’hui en animant, au sein de l’Observatoire de la Mixité, un club de dirigeants engagés aujourd’hui tous mentors de femmes à haut potentiel.

Après un diplôme d’ingénieur, vous avez beaucoup officié dans des secteurs masculins, notamment dans l’armée et dans l’aéronautique. Comment s’est opérée votre orientation professionnelle ?

Marie-Christine Mahéas : J’ai trois grands frères et ai été élevée comme eux par mes parents. Je n’ai pas reçu d’injonctions, même implicites, visant à m’orienter vers des voies dites féminines. Par ailleurs, mon père, en particulier, exprimait clairement avoir de l’ambition pour moi. Ainsi, il valorisait beaucoup le fait que je sois bonne en mathématiques. Cela m’a presque naturellement conduite à me tourner vers des études scientifiques une fois le lycée terminé, sans être toutefois certaine du type de carrière qui en découlait.

D’une manière plus globale, nos parents nous ont éduqués sans trop de stéréotypes, en nous laissant aller vers ce qui nous attirait. D’où des choix radicalement différents et très personnels : j’ai un frère professeur de mathématiques et de technologie, un autre agriculteur et le troisième prêtre !

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Avez-vous toujours été consciente de la condition des femmes dans la sphère professionnelle ?

Marie-Christine Mahéas : Non, mon engagement est venu très progressivement. Il faut dire que, dans les années 90, le féminisme n’était pas un sujet comme c’est le cas aujourd’hui ! Puis, il s’est passé deux choses : j’ai été expatriée au Canada. Là-bas, j’ai été confrontée à une sorte de féminisme que je qualifierais de hard core. En gros, les hommes osaient à peine regarder les femmes dans les yeux ! Je caricature à peine (heureusement cela a évolué et c’est moins violent aujourd’hui).

De retour en France, devenue presqu’anti-féministe, une chasseuse de tête m’a, entre autres, incitée à investir les réseaux féminins. Au début, j’ai freiné des quatre fers ! Mais elle a insisté. Sur ses conseils, je me suis rendue à une soirée du Professional Women’s Network (PWN). Au final, je n’en suis jamais repartie ! J’ai découvert la sororité… et ouvert les yeux sur un nombre incroyable d’injustices !

Vous-même, avez-vous été confrontée au sexisme ?

Marie-Christine Mahéas : Pas réellement, en tous cas je n’avais pas les lunettes pour le voir… Il serait mal venu de me plaindre, car j’ai pu occuper de beaux postes assez rapidement. Même si, bien sûr, j’ai essuyé quelques stéréotypes : par exemple, en réunion, lorsque j’étais la seule femme, il était induit que c’était à moi de servir le café ou de prendre des notes… Très sincèrement, au début de ma carrière, je ne réagissais pas, ne réalisant pas que cela n’était pas normal.

Au fur et à mesure, votre engagement grandit. Vous dirigez même PWN Paris. Selon vous, pourquoi est-ce important d’investir les réseaux féminins, plus que les réseaux mixtes ?

Quoi qu’on en dise, le pouvoir se conjugue encore essentiellement au masculin : les professionnels les plus influents ne se croisent donc pas nécessairement au sein des réseaux féminins.

Marie-Christine Mahéas : En réalité, je suis plus en faveur des réseaux mixtes que des réseaux féminins ! D’ailleurs, je constate que beaucoup de réseaux féminins muent progressivement vers la mixité : ainsi, SNCF au féminin est devenu SNCF mixité. Côté PWN, j’avais proposé, il y a plusieurs années déjà, de le rendre mixte. Je m’étais largement penchée sur la question à l’occasion de mon livre : Mixité, quand les hommes s’engagent (Eyrolles, 2015). Mais, à l’époque, ma proposition, certainement un peu trop en avance sur son temps, n’a pas obtenu la majorité des voix des administratrices. Et ce n‘est que quelques années plus tard que les hommes ont fait leur entrée.

Ceci étant dit, je trouve qu’il y a un avantage aux réseaux féminins, ou du moins à garder des espaces réservés aux femmes au sein des réseaux mixtes, afin qu’elles puissent parler assez librement des thématiques difficiles telles que celles liées au harcèlement, aux spécificités de carrière auxquelles elles sont confrontées. De la même manière, il est nécessaire de conserver des espaces d’expression pour les hommes, souffrant, par exemple, de ne pas progresser aussi vite qu’ils l’auraient souhaité parce que des quotas ont été mis en place. La problématique masculine, au cœur de la mixité, est aussi importante que la problématique féminine.

Justement, comment entraîner, sans les braquer, les hommes sur ces questions de mixité ?

Marie-Christine Mahéas : C’est effectivement l’un des sujets compliqués, sur lesquels il faut être franc, honnête et admettre cette vérité que l’on n’ose pas toujours assumer : via des politiques comme celle des quotas, certains hommes vont devoir attendre une promotion ou une augmentation un an de plus… La réalité est celle-ci : la mixité freine certains qui redoutent d’être moins considérés, de perdre en statut… En clair, ils ne voient pas bien ce qu’ils ont à y gagner !

À mon sens, la solution réside dans le fait d’adresser cette peur des hommes et de recadrer la question de la mixité afin d’en faire un sujet d’entreprise. Comment ? En donnant des chiffres, en faisant comprendre aux hommes que tout ce qui est mis en place pour aider les femmes à atteindre des grades plus élevés, leur permet, eux, de gagner sur le plan de l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle. Mais honnêtement, je pense que nous ne sommes pas arrivés, collectivement, au bout de l’analyse de cette question de la place et du rôle des hommes – nous y travaillons !

Puis, tout cela, au fond, est une question de comité exécutif, de dirigeants qui doivent intégrer que leur rôle ne consiste ni à réparer les femmes, ni à culpabiliser les hommes… Leur but est d’instaurer des process, de rattrapage salarial ou de lutte contre les stéréotypes notamment, afin que l’entreprise, construite par les hommes et pour les hommes, devienne bilingue. Cela passe par des initiatives concrètes : faire en sorte que les jeunes femmes prennent autant la parole en réunion que leurs homologues masculins, revoir la manière dont les questions sont posées lors des entretiens annuels (les statistiques montrent que les femmes se sous-évaluent…). Autre point majeur : celui de la maternité et de la charge mentale. L’entreprise doit proposer des solutions innovantes. Par exemple sur le plan des horaires et des services, pour donner aux femmes les outils leur permettant d’être des professionnelles performantes.

Aujourd’hui, vous ne faites plus partie de réseaux féminins. Vous animez un club de dirigeants et misez beaucoup sur le mentoring. Vous nous en dites plus ?

Marie-Christine Mahéas : J’ai beaucoup appris et bénéficié des réseaux féminins et aujourd’hui je suis davantage dans l’incitation des femmes au networking, qu’au networking à titre personnel. J’ai ainsi cofondé un réseau de réseaux féminins et mixtes (privés et publics) en 2020 avec une dizaine de camarades, 2GAP, et j’ai cofondé également un réseau de femmes dirigeantes. À titre personnel, je suis aujourd’hui dans des réseaux plus généralistes, comme celui des alumni de la Harvard Business School.

Je suis aussi coordinatrice de l’Observatoire de la mixité, un think tank composé d’experts et d’entreprises, parrainé par Michel Landel, ex-DG de Sodexo. Au sein de cet observatoire, nous avons créé un club de dix-sept dirigeants, échangeant deux fois par an, afin de brainstormer sur les meilleurs usages à propager.

Par ailleurs, au sein de cet observatoire, au-delà de la recherche et diffusion des bonnes pratiques, nous menons diverses études, comme celle sur le phénomène d’opting out : cela renvoie aux femmes qui ne postulent pas pour une promotion. Avec BVA, Bureau Veritas et Safran, nous avons mené une enquête sur 1000 femmes et 1000 hommes et parmi les solutions plébiscitées pour y remédier, le mentoring était beaucoup mentionné. Ainsi, les dix-sept dirigeants de ce club, par exemple Olivier Andries (Safran), Jean-Pierre Farandou, encore Benoît Coquart (Legrand), Didier Michaud Daniel (Bureau Veritas) ou Hervé Hélias (Mazars), sont tous devenus mentors d’une femme d’une autre société ayant le potentiel d’atteindre un Comex ou une direction générale.

Puis, ce club a aussi pour vocation de formuler des propositions concrètes au niveau politique…

Marie-Christine Mahéas : En effet. Je suis assez fière, car l’équipe de l’Observatoire a identifié les bonnes pratiques liées à la mixité, désormais référencées sur le site du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Parmi elles : communiquer sur la mixité, en interne et en externe, des entreprises, fixer en la matière des objectifs ambitieux, ayant un impact sur la part variable des managers, ou encore présenter un engagement fort de la part du dirigeant ou de la dirigeante… Tout est entre les mains de Madame la ministre Isabelle Rome !

C’est d’ailleurs sur la base de la première et la plus importante de ces mesures, « l’engagement fort de la ou du dirigeant(e) », que Hervé Hélias, PDG du groupe Mazars, m’a proposé il y a deux ans de créer une offre de conseil au sein de son cabinet. Il s’agit d’animer les comités exécutifs avec pour objectif qu’ils s’approprient les enjeux, les objectifs chiffrés et la feuille de route mixité. C’est le virage à effectuer : pour que la mixité attire l’attention de tous et toutes, il faut que l’équipe dirigeante se l’approprie.

Quelles sont les femmes que vous admirez ?

Marie-Christine Mahéas : Simone Veil, cela va sans dire ! Elle a mené des combats remarquables, notamment celui sur l’IVG, dans un contexte où le point de vue et les états d’esprit sur le sujet étaient moyenâgeux. Ce qu’elle a réalisé est aussi surhumain que prodigieux ! Je citerais également Simone de Beauvoir qui m’a éveillée à travers ses ouvrages et notamment bien sûr Le deuxième sexe. Malgré ma prise de conscience tardive de la condition des femmes dans la sphère professionnelle, ces lectures de jeunesse ont établi un terreau favorable au développement ultérieur de mon féminisme.

Mais j’ai également mes héroïnes modernes, comme Tatiana Jama, Céline Lazorthes ou Valentine de Lasteyrie, les co-fondatrices du collectif SISTA, dénonçant courageusement les incompréhensibles écarts de financement entre les start-ups créées par des femmes et celles pilotées par des hommes. Je citerais également Anne-Cécile Mailfert et celles qui œuvrent quotidiennement au sein de la Fondation des femmes, pour lutter contre les violences faites aux femmes. Là aussi il y a beaucoup de courage et énormément de travail !

Plus proche de moi, j’ai toujours été impressionnée par ma grand-mère qui avait une force incroyable. Elle était accomplie, assumait ses responsabilités… et a été une cheffe d’entreprise avant l’heure !

Quel conseil donneriez-vous à une jeune fille de 18 ans ?

Marie-Christine Mahéas : Je n’ai pas de conseil précis en tête… mais plus un état d’esprit à transmettre. J’enseigne le management à Sciences Po. Dans ce cadre, j’ai à cœur de faire comprendre aux étudiantes, mais aussi aux étudiants, ce que sont les stéréotypes et les biais de genre : à quel point les filles sont amenées à moins prendre la parole en réunion, comment y remédier, comment nos rapports au pouvoir et à l’argent diffèrent…

Ceci est en partie basé sur ma propre expérience : j’ai réalisé, à un moment donné de ma carrière, être assez mal à l’aise avec la négociation salariale. Quand j’en ai pris conscience, je me suis sentie libérée ! J’ai fait en sorte d’acquérir certaines techniques, un mode d’emploi et ai pu résoudre progressivement ce problème. Plus qu’un conseil, c’est ce genre de message que j’aime faire passer aux jeunes femmes : penchez-vous sur les limites liées au genre féminin, et faites en sorte de les dépasser !

Claire Bauchart

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