Le temps des leaders pop ou comment ré-inventer un leadership en phase avec les mutations du monde

leader pop

Les crises successives qu’elles soient sanitaires, économiques ou géopolitiques remettent en cause un leadership traditionnel fondé sur un pouvoir uniquement vertical. L’heure est à la coopération, à la co-création et selon Marion Darrieutort à un leadership en phase avec les préoccupations sociétales et environnementales où le leader rentre dans l’arène pour écouter, consulter puis décider. Interview. 

Votre livre le temps des leaders pop est né d’une prise de conscience et d’une renaissance, vous l’expliquez en introduction. Expliquez-nous un peu !

J’avais envie de raconter des erreurs, des doutes, des tâtonnements, car le management ou le leadership sont des choses difficiles à appréhender. Il y a quelques ouvrages sur le sujet, mais rien ne remplace l’expérimentation personnelle. J’ai rencontré des difficultés notamment dans des moments de fusion d’entreprises. Cela prend beaucoup d’énergie et à ce moment-là, je pense que je n’étais pas tout à fait alignée avec le style de leadership que je souhaitais développer.

Ce leader pop, c’est finalement votre réponse à un type de leadership vertical très “top-down” ?

Oui,  j’avais envie de montrer qu’il y avait une alternative possible car ce style de leadership n’est plus complètement adapté à notre époque. Je parle d’un leadership où on est beaucoup dans l’entre-soi, entre élites, un peu déconnecté de la base, de la rue. C’est aussi un leadership qui est beaucoup dans la démonstration plutôt que dans le ressenti, très autoritaire où on donne des ordres et on demande des exécutions. Un leadership aussi où parfois, on fait du micro-management et donc on ne fait pas assez confiance. Je pense que, face à ce type de leadership qui est dans les codes de la puissance, le leader se dit qu’il n’a pas le droit de flancher, de faire d’erreur….Or, je pense qu’il y a une alternative possible.

Mini Guide Leader

Il y a un autre point que vous évoquez dans le livre : ce rapport au temps, cette absence de vision long terme dans un environnement où on est en crise perpétuelle, où le leader doit réagir dans le court terme. Est-ce que ce n’est pas cela aussi le problème ?

On entend beaucoup ce concept de poly-crises avec cette succession de crises. On peut comprendre que parfois, on puisse diriger au mois le mois. Mais c’est très important de se redonner du long terme. Pas forcément à 5 ans, peut-être 2 ans pour proposer aux équipes un cap et surtout redonner du sens et de l’engagement. Dans les organisations, on se rend compte que les gens tournent parfois comme des hamsters dans leur roue, car le leader ne partage pas toujours la vision alors que son rôle c’est véritablement d’impulser, de dessiner un horizon.

Vous avez expérimenté le concept d’entreprise libérée avec une forme d’autogestion, cela n’a pas fonctionné. Qu’est-ce qui n’a pas marché selon vous, malgré cette volonté de co-créer une vision ensemble ?

Je ne me reconnaissais pas dans un management vertical et je me suis dit qu’il fallait que j’ouvre l’entreprise, que je la libère. J’ai regardé les thèses d’Isaac Getz, mais je suis allée un peu loin dans la libération, je suis passée du tout au tout. Je me suis mise en position basse et j’essayais d’être vraiment dans l’écoute, la co-création, la collaboration, de faire sauter le cadre pour que mes collaborateurs soient plus libres. Mais on se rend compte que les gens ont besoin d’un chef, d’un cadre. Nous avons été éduqués comme cela. Désormais, je suis passée de l’entreprise libérée à l’entreprise libératoire où le collaborateur peut grandir, se libérer dans son énergie et dans son talent, mais dans un cadre qui est fixé et qui est le même pour tous.

Le leader pop doit, vous le dites, se remettre au centre de la société, au cœur des préoccupations à la fois sociétales et environnementales. Avez-vous un exemple de leader qui incarne justement cette nouvelle manière de diriger ?

Le leader pop doit être dans l’arène, il doit être dans la rue au sens où il doit être connecté à la société, il doit être en empathie avec la société. Quelques exemples : Zelensky, mais aussi l’ex première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardem qui vient de démissionner en avouant qu’elle n’avait plus la force. Et enfin un dernier exemple, Arthur Sadoun qui a annoncé son pledge pour le cancer, il a parlé de son propre cancer et là aussi, il est descendu de son rôle de CEO pour se remettre à notre niveau.

Vous parlez finalement d’un leadership authentique, un leader à visage humain comme Emmanuel Faber de Danone que vous citez, mais qui a dû partir. Comment analysez-vous cet échec ?

On a lu beaucoup de choses sur le management d’Emmanuel Faber. Je pense que c’est un leader pop parce qu’il est populaire au sens où il comprend la société et le monde. C’est un homme ouvert qui a fait un travail sur lui-même et puis enfin, il est politique parce qu’il a défendu à travers son business une vision du monde donc il est pop !

La question que je me pose c’est : n’était-il pas trop en avance sur son époque et étions-nous en capacité d’accepter un management un peu différent parce que ça peut bousculer aussi ? Le système des entreprises écrase parfois l’individu. La question est donc : peut-on être un leader pop dans des systèmes qui ne le sont pas ?

Il y a un point que vous évoquez qui paraît très important, ce sont les personnalités atypiques. N’a t-on pas encore du mal à intégrer ces profils dans les organisations ?

C’est un sujet qui me tient à cœur parce que je trouve que dans notre société et dans les entreprises, on stigmatise trop les gens qui sont atypiques. Ce que j’entends par atypique, ce sont ces gens qui vont être différents et qui peuvent faire de leur différence une force. Les entreprises écrasent trop la différence, on nous demande de rentrer dans une norme. Je pense qu’il faut aussi réussir à accepter la différence parce que c’est une source de créativité. C’est cette mixité de profils qui est hyper intéressante.

Cette question se pose notamment en France où on est beaucoup sur les “hard skills”, à la différence des pays anglo-saxons où les “soft skills” sont beaucoup plus mise en avant.

C’est exactement ça ! J’ai la chance d’avoir pu découvrir l’éducation anglo-saxonne et la façon dont on élève les enfants avec le développement des soft skills. Ils doivent être capables de faire plein de choses en plus du travail scolaire. On doit absolument s’ouvrir aux soft skills, on doit former dans les écoles et dans les entreprises . Et on devrait évaluer les gens aussi là-dessus.

Comment le leader pop doit-il gérer les individus dans l’entreprise ? Comment imaginez-vous finalement le style de management ?

Il a forcément de l’humilité et un ego mis à la bonne place. Il donne la parole, est capable de donner des feedbacks et d’en recevoir. C’est une position qui n’est pas toujours facile puisqu’on a souvent appris que le leader devait être le sachant. Le leader pop doit aussi laisser libre cours à son intuition et demander aux autres de la libérer. Enfin, un leader pop doit permettre à ses équipes de grandir sans tomber dans les dérivés du développement personnel en entreprise.

En filigrane, ne dressez-vous pas dans ce leader pop celui du leader femme ?

J’ai envie de dire non, le leader pop n’est pas forcément une femme. Pour autant, on voit que l’émergence du féminin et des femmes dans les entreprises impacte la façon de diriger. Mais je vois aussi des hommes qui ont de vraies valeurs féminines d’écoute et d’empathie ; et des femmes qui ont des valeurs masculines dans le pouvoir et la puissance. Pour autant, je suis assez convaincue que les femmes sont extrêmement bien placées pour incarner ce renouveau du leadership parce qu’effectivement la majorité des femmes sont plutôt dans l’écoute et dans l’empathie.

Propos recueillis par Véronique Forge

Marion Darrieutort, Le temps des leaders pop ! (Ed L’Aube)

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