Hygiène intime : quand les femmes changent les règles (du jeu)

Hygiène intime : quand les femmes révolutionnent le business
Depuis les années 50, le marché était trusté par les géants de l’industrie ménagère. Mais il y a peu, de jeunes acteurs ont émergé dans le secteur de l’hygiène intime avec le désir de changer en profondeur les règles du jeu. Et nous devrions même dire de jeunes actrices, puisque ces business sont (enfin) portés par des femmes. Alors, on a voulu se pencher sur ce phénomène florissant, et comprendre ce que cela changeait vraiment pour les consommatrices et le secteur tout entier. Décryptage.

Il ne se passe plus un jour sans que mon fil Instagram ne soit peuplé de publicités pour des culottes menstruelles. Sisters Republic, Loop ou encore Mool, autant de marques digitales natives qui cumulent les abonnées.  Alors, cela m’a interrogée. Que s’est-il passé pour qu’un produit tel que l’hygiène intime qui n’était pas franchement considéré comme un produit désirable puisse devenir instagramable ? La réponse se trouve dans la société en général qui détabouise peu à peu le sujet des règles, mais ce n’est pas tout. Ce qui change aussi, c’est le mode de communication de ces marques décomplexées, et surtout leur engagement envers des produits responsables. Un combat porté par deux pionnières dans l’hexagone sur le marché des tampons et serviettes bios : Coline Mazeyrat et Dorothée Barth, les pétulantes fondatrices de la marque JHO (“Juste et Honnête”) que nous avions rencontrées à leurs débuts. Depuis 4 ans, toutes deux ont fortement marqué le marché de leur empreinte, jusqu’à influencer les stratégies marketing des grands industriels.

Plus blanc que blanc

Mais pour mieux comprendre cette petite révolution dans l’hygiène intime des femmes, faisons un bond en arrière. Au début du XXème siècle, la période menstruelle était encore un véritable cauchemar pour les femmes qui la géraient tant bien que mal en attachant des tissus de 50 cm avec des agrafes… “Les premiers tampons lancés dans les années 50 ont donc été une immense libération pour les femmes”, note Dorothée Barth. C’est la marque OB (Ohne Binde, qui signifie sans serviette) qui commercialise le premier tampon sans applicateur, même si l’on doit la création du tampon à un médecin généraliste américain en 1937. Une réelle avancée pour la condition féminine qui représentait aussi une immense manne pour les industriels comme Procter & Gamble (Tampax et Always) ou encore Johnson & Johnson (Nett) qui se sont rapidement engouffrés sur le marché. À l’origine, la spécialité de ces grands groupes était tout autre : la lessive.“On était dans l’hygiène : comme pour la lessive, il fallait que dans la culotte des femmes, ce soit plus blanc que blanc”, poursuit notre interviewée. Et pour cela, on ne lésinait pas sur les matières absorbantes ultra-chimiques : un cocktail détonnant de perturbateurs endocriniens que les femmes infligeaient sans le savoir à leur intimité. (Et infligent toujours pour partie).

Mais tout cela, on n’en parlait pas. D’abord par manque de recul scientifique, mais aussi et surtout par souci de rentabilité. Sans oublier le rapport tourmenté de la société avec les menstruations féminines. Dans son ouvrage “Ceci est mon sang”, Elise Thiébaut dépeint parfaitement les incroyables croyances autour des règles qui ont nourri des idées totalement folles. Saviez-vous par exemple qu’au début du XXème siècle, on envoyait les femmes courir dans les champs de choux pendant leurs règles en guise de traitement anti-chenilles ? Étrange, on vous l’accorde. 

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Les femmes entrent en scène

Revenons maintenant au XXIème siècle. Il y a encore quelques années, les acteurs sur le marché des tampons et serviettes bio étaient très peu nombreux. “Quand nous nous sommes lancées il y a 4 ans avec Coline, c’était complètement anecdotique. On trouvait une marque scandinave dans certains magasins bio. Nous avons été les premières à nous lancer sur le marché des tampons et serviettes bios sur abonnement”, se souvient Dorothée. Depuis, d’autres startups se sont positionnées sur ce créneau, mais n’ont pas résisté. En revanche, le marché de la culotte menstruelle a littéralement explosé et se trouve aujourd’hui complètement saturé par un nombre important d’acteurs. 

Ce qui est intéressant d’observer, c’est que les leaders du marché de l’hygiène intime, comme JHO, Sisters Republic ou encore Dans ma culotte, sont des startups portées par des femmes. Et ça, ça n’a rien d’anecdotique. “Ce sont des sujets extrêmement intimes. Il y a autant de manières de gérer ses menstruations qu’il y a de femmes. Je pense que c’est un sujet difficile à appréhender pour les hommes. L’autre élément qui a été moteur pour nous, c’est qu’en tant que consommatrices, nous voulions être respectées. Ce n’est pas parce que nous représentons un énorme marché que l’on doit nous filer des trucs merdiques”, lâche la cofondatrice de JHO. 

Coline Mazeyrat et Dorothée Barth

Changer la norme de l’hygiène intime

Pour les investisseurs, le fait que ce sujet soit porté par des femmes les a aidées à gagner en crédibilité. Une vraie différence par rapport aux autres secteurs où les équipes 100% féminines peinent plus à convaincre les investisseurs. “Ce qui nous a davantage pénalisées, c’est de ne pas être parisiennes et issues d’une école de commerce. Le plus étonnant, c’est que les retours les plus négatifs que nous avons eu ont émané de femmes investisseuses qui avaient la cinquantaine, et ne croyaient absolument pas au potentiel du marché”, se souvient Dorothée Barth. 

Malgré tout, les deux fondatrices n’ont finalement pas eu de mal à convaincre les financiers qui ont pu constater la forte croissance de leur business dès le démarrage. Parmi ces derniers, Marc Menasé, fondateur de Founders Future. “Marc a très vite saisi les enjeux et la profondeur du marché. A l’époque, il n’avait pas encore créé notre second fond dédié à l’impact et pour lequel j’ai été engagée. Mais il était déjà convaincu que les promesses responsables deviendraient la norme”, nous explique Sarah Corne, Partner Impact chez Founders Future et membre du board de JHO. 

Survivre face aux géants

Depuis le lancement de JHO, qui comptabilise plus de 70 000 clientes dans l’hexagone, les industriels ont effectivement essayé de rattraper leur retard en lançant des produits organiques, parfois bio, mais aux compositions pas toujours très claires. “Il ne faut pas se leurrer, la R&D sur le tampon bio, ce n’est pas compliqué. Mais la force de JHO, c’est leur absolue transparence et connaissance sur le sujet ”, analyse Sarah Corne. Pour continuer à occuper leur segment de marché, les fondatrices de JHO ont également dû faire évoluer leur modèle, à commencer par adopter une stratégie omnicanal en étant présentes dans les enseignes urbaines comme Monoprix, Franprix ou Carrefour market. “Cela est essentiel dans leur passage à l’échelle. L’objectif pour JHO, c’est aussi de sortir du produit de commodité pour devenir la marque qui s’engage dans tous les temps forts de la vie des femmes”, poursuit l’investisseuse. Depuis, la gamme s’est donc considérablement élargie avec des culottes menstruelles, mais aussi des soins pour le corps. Le nouveau défi des Nantaises ? La ménopause, le dernier grand tabou de la sexualité féminine. Une campagne sur Ulule a été lancée avec succès, mais tout l’enjeu pour JHO va être de se faire connaître auprès de ce public qui lui est encore étranger. Avec, en ligne de mire, une prochaine levée de fonds en 2023. 

 

 
 
 
 
 
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La communication, le nerf de la guerre

Alors que les industriels se mettent au bio, les fondatrices de JHO n’y voient pas uniquement une concurrence féroce. Elles en retirent également une certaine fierté d’avoir contribué à réhausser les exigences du marché de l‘hygiène intime. “Notre engagement nous prend aux tripes. Bien sûr, nous devons être viables. Mais nous ne sommes pas du tout dans la même logique de rentabilité que les acteurs traditionnels. Le plus important, c’est la santé des femmes”, affirme Dorothée. Pour conserver leur longueur d’avance, les fondatrices peuvent compter sur leur image de marque et leur sens aiguisé de la communication. “Elles sont cash et sans tabou. Au-delà de leur marque, elles sont presque devenues un média. Et cette confiance nouée avec la consommatrice, c’est vraiment ce qui les différencie d’un grand groupe industriel”, constate Sarah Corne.

Cette fraîcheur, c’est aussi ce qui a attiré la surfeuse Johanne Defay, qui figure dans le top 5 mondial, et qui a accepté de devenir ambassadrice de la marque. “J’ai découvert JHO quand les filles sont venues vers moi pour ce partenariat. J’ai tout de suite adhéré, à commencer par leur nom ! J’aime leur vision des choses, la façon dont elles s’expriment sans chichi. Et puis j’aime tout ce qui est bon pour mon corps. Je veux prendre soin de moi, je l’ai appris en tant qu’athlète mais aussi par mon éducation. Les choses les plus basiques comme le sommeil, l’exercice et la nourriture sont les premiers leviers pour être en bonne santé, puis vient le choix des produits que l’on utilise. Le tout en prenant soin de l’environnement, c’est encore mieux”, nous confie-t-elle.

 

 
 
 
 
 
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Malgré toutes ces avancées, le sujet de l’hygiène intime n’est pas encore totalement libéré. A ce jour, sur Instagram et Tik Tok, il n’est pas si facile de convaincre les jeunes influenceuses de parler de leurs menstruations. “Nous avons essuyé beaucoup de refus d’instragrameuses, car mettre des boîtes de tampons en photo, même si elles sont roses, cela n’allait pas avec l’esthétisme de leur compte, nous disaient-elles”, confie Dorothée. Outre la toile, cette sensibilisation à la question continuera à se faire de grande sœur à cadette, de mère à fille. Quant à Johanne, la surfeuse, voici le message qu’elle aimerait transmettre aux jeunes générations : “On peut être à l’écoute de soi et de sa féminité sans être dans l’extrême et renoncer à des choses juste parce que l’on est “indisposée”. Ou à l’inverse ne pas ignorer que notre corps fonctionne différemment de celui d’un homme donc prendre le temps de s’écouter de temps en temps. Je pense qu’il est nécessaire d’éduquer les jeunes filles pour qu’elles sentent le processus naturel et que ça ne les empêche en rien de faire ce dont elles ont envie comme du sport, sortir, parler du sujet, aller à la piscine ou à la mer”.  

Paulina Jonquères d’Oriola 

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