Et si nous ralentissions ?

ralentir

Anticiper un déjeuner à horizon 3 semaines ou un mois n’est pas une mince affaire tant nos agendas se retrouvent très rapidement noircis. Créneau après créneau, ils ne laissent guère de place à autre chose que des réunions, des comités et autres rendez-vous. Au lieu de courir sans arrêt, si nous décidions d’appuyer sur le bouton pause et de ralentir ?

« ‘Je suis speed’, ‘je suis charrette ou sous l’eau’, ‘je reviens vers vous très vite’, ‘ça urge’… toutes ces expressions autour de l’immédiateté sont nocives pour nous-mêmes », considère Jonathan Curiel. L’auteur de l’essai Vite ! et directeur général adjoint des programmes M6, W9, 6ter en charge des magazines et documentaires at GROUPE M6 nous invite à repenser notre rapport au temps. Il nous livre ses conseils.

Repensez votre consommation de l’actualité

Guide Dev Persot

Une notification ou une actualité diffusée en boucle et nous sommes comme absorbés par ce fil d’information qui ne cesse d’évoluer. « Nous vivons dans une société de l’urgence et de l’instant caractérisée par une sorte d’amnésie. On célèbre un événement d’actualité pour aussi vite en faire table rase. Un fait divers chasse l’autre. »

« Veillez à ne pas être sur l’information en permanence. Nous ne sommes pas obligés d’être au courant de tout, tout le temps. L’actualité nous met sous une chape de plomb et contribue à nous sentir comme obligés par les événements » analyse Jonathan Curiel notant « une vraie fatigue informationnelle et un rejet de l’information qui peut être anxiogène ». Il évoque ainsi « le besoin de temps long » que l’on retrouve dans le format podcast mais également dans de nombreux programmes télévisés et radiophoniques qui « prennent le temps et qui permettent de traiter des sujets en profondeur ». « On a besoin de fond et d’intelligence ».

« Ne soyez pas l’objet de votre téléphone »

Un sms, un swipe ou bien un nouveau mail… « Il nous faut mieux appréhender notre téléphone portable. Se déconnecter pour ne pas être en alerte en permanence est important afin d’être davantage apaisé. Acceptons ce moment de déconnexion pour enfin ne plus être l’objet de notre téléphone », conseille l’essayiste Jonathan Curiel qui veille ainsi à se discipliner en essayant de ne pas l’utiliser, par exemple, quand il est avec ses enfants. « Pour dégager du temps dans notre quotidien, il faut passer moins de temps sur nos téléphones portables et sur les réseaux sociaux, terriblement chronophages et addictifs. L’idée est de revoir ses priorités pour faire de la place aux choses qui ont du sens pour nous. Ce n’est pas toujours évident mais la déconnexion est importante ».

Il cite des activités qui rencontrent un grand succès et qui demandent du temps long comme le jardinage ou la cuisine. Ce sont des façons de se projeter dans un monde différent. Il y a d’ailleurs une tendance de fond autour d’une consommation plus réfléchie, moins fiévreuse. Vers moins de gaspillage et moins ancrées dans le « tout, tout de suite ». Cela va aussi dans le sens de la tendance croissante au « fait main » et à la réparation d’objets : « on fait durer plutôt que de sacrifier à l’immédiateté de l’achat ».

Allez au fond des choses

À une invitation, on répond souvent : « Je verrai si je passe » ou alors « je passerai une tête : ces expressions montrent un enchainement et une juxtaposition d’activités multiples. On se désengage ainsi progressivement, on ne se fixe plus de contraintes. La société de la vitesse et de l’immédiateté est une société du désengagement. », décrypte l’auteur de Vite ! « On veut être partout mais en réalité on est nulle part ». « Allez au fond des choses, concentrez-vous sur ce qui vous intéresse vraiment », conseille-t-il.

Nous sommes plongés dans une société de la réactivité plus que de l’activité. Dans le culte de la performance à tous les niveaux qui nous fait culpabiliser de ralentir, d’en faire moins. On pense qu’aller vite et qu’être actif tout le temps, c’est être performant. Le risque est de tendre vers la « dislocation de la vie quotidienne » que stigmatisait Paul Virilio qui a beaucoup écrit sur la vitesse.

Offrez-vous des moments de qualité

Veillez à vous réserver bien à l’avance des plages horaires de plusieurs heures à la suite dans votre emploi du temps. Vous vous offrirez, ainsi, un temps pour vous. « Il s’agit de moments de qualité en famille ou bien seul ». Occasion de « mettre un frein à une immédiateté envahissante et stressante
qui nous condamne à renouveler sans cesse des plaisirs instantanés. Cloisonnez temps de travail et temps personnel » conseille l’auteur de Vite !

Il faut aussi essayer de réapprendre la patience. Cela n’est pas facile. L’étymologie du mot patience vient de « endurance » et « souffrance », preuve que ce n’est pas évident…Sinon on devient des « boussoles dépolarisées », expression utilisée par Paul Morand pour qualifier son personnage principal dans « l’homme pressé » pour qui rien ne va assez vite.

Ennuyez-vous !

Du judo au flamenco, du tennis au foot, les enfants se retrouvent avec de nombreuses activités chaque semaine. « On empêche inconsciemment les enfants de s’ennuyer. On culpabilise beaucoup autour de l’ennui, de l’oisiveté qui serait assimilée à un certain désœuvrement, comme l’écrit Kundera dans La Lenteur. Or, l’ennui est essentiel. Il invite à la création d’un monde imaginaire. Darwin lui-même se définissait comme un « penseur lent » ; Einstein passait des heures dans son bureau de Princeton à regarder le plafond…  »

« Il faut retrouver un certain goût de l’ennui et accepter d’être dans un moment de creux », explique Jonathan Curiel évoquant un fragment des Pensées de Blaise Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ».

Ralentir sera la meilleure des réponses pour enfin sortir du « du tout, tout de suite et de donner sens à sa vie. Ralentir manifeste une volonté de liberté et de maitrise de son existence » conclue Jonathan Curiel.

Vite ! Les nouvelles tyrannies de l’immédiat ou l’urgence de ralentir, Jonathan Curiel. Plon

Mathilde Aubinaud

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