La comparaison est humaine. Mais est-elle bénéfique, nous permettant d’évoluer ou néfaste, nous fragilisant ? Anne-Laure Buffet est thérapeute, conférencière et formatrice spécialisée dans l’accompagnement de personnes victimes de violences psychologiques. Elle est également l’auteure de Ces séparations qui nous font grandir, paru aux éditions Eyrolles*. Elle nous détaille combien la comparaison intervient dans tous les domaines de notre vie, depuis notre plus jeune âge. Et combien elle peut être positive… à condition qu’on pose des limites.
Pourquoi se compare-t-on aux autres ?
La comparaison fait partie de nos systèmes relationnels, elle en est souvent un des premiers moteurs. Nous sommes en lien plus ou moins proche avec différentes personnes, que ce soit professionnel, amical, familial, social… La comparaison permet de se situer, de s’évaluer, elle est une façon de se positionner dans le(s) groupe(s) auquel nous appartenons ou que nous souhaitons rejoindre. La comparaison est donc profondément inscrite dans notre construction émotionnelle et elle nous permet, lorsqu’elle est saine, d’apprendre et de nous enrichir.
Comment et quand commencent nos premières comparaisons ?
Nous commençons très jeunes à nous comparer, au sein de la fratrie ou de la famille. A l’adolescence, ces comparaisons viennent nourrir notre part narcissique. L’adolescence est l’âge à la fois de l’individuation face au système familial, et du mimétisme pour s’identifier aux autres et être accepté par eux. En se comparant, l’adolescent peut adopter des codes, des schémas, des systèmes comportementaux, parfois des goûts ou même des passions. Ces constructions de la pensée mises en place dès la prime enfance vont se rejouer à l’âge adulte. On le voit dans la vie professionnelle, quelle que soit la fonction, le statut.
Justement, quelles comparaisons sont fréquentes dans le milieu professionnel ?
En indépendante ou en salariée, le besoin d’affirmer sa croyance conduit et parfois oblige à se comparer, avec ces questions récurrentes : « Comment font les autres ? Quelles connaissances et expériences ont-ils du sujet ? Suis-je à leur niveau ? » Dans les comportements, on observe soit du perfectionnisme à outrance, avec ce désir constamment insatisfait de se hisser « à la hauteur » des autres, soit une forme de dilettantisme et/ou d’autoritarisme, s’appuyant sur la conviction de détenir un savoir, une forme de pouvoir, qui ne souffre ni la contradiction ni l’opposition.
Donc la comparaison est propre à chacune de nous ?
Oui, nous sommes tous, à un moment de notre vie, amenés à nous comparer. Et très souvent, nous sommes comparés, malgré nous. Ces comparaisons faites par autrui vont avoir des incidences sur nos schémas cognitifs et comportementaux. Un exemple assez évident est, au sein de la fratrie, la place du « chouchou ». Elle lui est souvent attribuée malgré lui, mais va avoir des incidences tant sur son comportement que sur celui de ses frères et sœurs et va donc conditionner le fonctionnement du système familial. Le « chouchou », qu’il le soit vraiment ou perçu comme tel, se retrouve dans une position ambivalente.
Oui car la comparaison faite par les autres, notamment son entourage, ne part pas forcément d’une mauvaise intention.
Oui, les parents qui mettent systématiquement en avant les qualités des cousins, des enfants de leurs amis… disent souvent le faire pour « secouer » leurs enfants, « pour leur bien ». Mais ils leur font un tort immense. L’enfant ancre l’idée qu’il n’est pas « assez », pas suffisant pour satisfaire ses parents. Pour leur plaire ou leur faire plaisir, et par déduction enfantine, pour être aimé. Si cette croyance n’est pas corrigée, le manque d’estime de soi va le suivre longtemps, le mettant systématiquement en difficulté, quelle que soit le lieu où il se trouve ou le lien dans lequel il est.
En résumé, si l’enfant grandit dans un environnement où il est valorisé, encouragé, où « l’autre », celui à qui il est comparé, ne devient pas sujet principal, mais repère pour avancer, il saura, devenu adulte, recourir à un système de comparaison profitable et motivant. En revanche, si la comparaison a été faite en le discréditant, il ne saura pas se défaire de ce système. Il va recourir, seul, à la comparaison, en se dénigrant systématiquement, répétant ainsi, malgré lui, le système qu’il a connu enfant.
Est-ce que la comparaison peut avoir des effets positifs ?
Toutes les comparaisons ne font pas du tort, bien au contraire. Elles peuvent et sont souvent une émulation, une stimulation, elles ouvrent le champ des possibles, elles permettent de décaler la pensée, d’envisager d’autres hypothèses ou solutions que celles que nous sommes amenés à penser, seul. C’est alors une comparaison – observation qui permet, de manière positive, de partager, d’échanger, de s’informer, de prendre conseil, d’accepter également la critique lorsque celle-ci peut-être constructive. Tout dépend de la manière dont la comparaison est formulée. Si l’objet est de montrer des qualités, des compétences, des possibilités mises en action par un autre que soi afin de chercher à développer ses propres compétences, renforcer sa personnalité, acquérir ce qui peut nous être utile ou profitable, la comparaison est alors très positive. Et en allant plus loin, elle peut même alors conduire à de la joie, ce dont nous avons tous besoin.
Dans quels cas cela peut être contre-productif, voire néfaste ? Pourquoi ?
La comparaison perd tout sens et tout intérêt quand elle s’impose en constat de manquement, d’infériorité ou d’insuffisance, d’insatisfaction ou de frustration. Si elle n’est utilisée que pour (se) rabaisser, elle atteint la confiance en soi et l’estime de soi, parfois si profondément que certains troubles vont se développer. Peur de l’abandon, absence de discernement et d’esprit critique, tendance à l’acceptation soumise, dépendance et addictions, trouble anxieux et/ou dépressif, conduites à risques… Elle peut aussi favoriser le harcèlement et l’incapacité à répondre à des agressions.
Quelles sont vos astuces pour ne pas sombrer dans le piège de la comparaison ?
Commencer par ne jamais oublier l’adage : Comparaison n’est pas raison. Certes ce n’est qu’un adage ; mais plein de vérités. Il invite à se comparer, tout en restant « critique » sur la comparaison que nous faisons. Et en ne minimisant jamais notre pouvoir de décider ou nos facultés à choisir. Autrement, ce serait donner en effet toute raison à « l’autre ».
Et de là, se soumettre en se retirant toute faculté d’opinion. Au-delà de l’adage, il est nécessaire de se questionner, de s’auto-confronter. Pourquoi suis-je en train de me comparer ? Qu’est-ce que cette comparaison me fait ressentir ? Qu’est-ce que j’en attends ? Suis-je en train de faire une comparaison juste et équilibrée ? Par exemple, si je commence un sport, avec qui suis-je en train de me comparer : avec un champion ou avec quelqu’un qui comme moi, débute ? Écouter ses émotions est aussi essentiel. Lorsque je me compare, suis-je dans la tristesse, dans la peur ? Ou est-ce que je ressens une stimulation, une envie « motrice », une joie ?
Et quand la comparaison, vient des autres et nous est imposée ?
Si nous nous retrouvons à être comparée, écouter ses émotions est tout aussi important. On peut alors s’autoriser à laisser à l’autre ce qui lui appartient si on ne s’y retrouve pas. Car, finalement, ce qui nous blesse dans la comparaison, et peut affecter nos actions et nos pensées, c’est le sentiment d’être mal jugé ou d’être incompétent. Il est alors important de se recentrer, de se demander pourquoi l’opinion de l’autre nous touche tellement. Et si, objectivement, elle est fondée, ou ne sert qu’à nous blesser. Enfin, ultime conseil, relire le « Principe de Peter ». Tout « compétent » a toujours plus compétent que lui, toute compétence connaît ses limites. Et si la pensée peut se partager, c’est toujours pour l’élever. Sinon, à quoi serviraient les brainstormings ?
Vanina Denizot