Dans son ouvrage « L’art d’avoir toujours réponse à tout », à paraître le 6 juin 2024, Corentin Eveno, nous partage les techniques qui lui ont permis de dépasser son bégaiement pour devenir vice-champion du monde de débat. Il nous démontre que la répartie, ce n’est pas inné…
Quand on parle de répartie, on imagine bien souvent les punchlines, ces petites phrases qui font mouche, lancées sur les plateaux de télévision. Mais dans la vie, répondre du tac au tac avec des phrases percutantes peut aussi nuire aux relations et créer des tensions, notamment dans la sphère professionnelle ou familiale. Or l’idée est de préserver la relation. « La répartie, c’est selon moi une réponse juste qui permet de se sortir de toutes les situations, d’éviter des moments de gêne, d’être plus à l’aise pour défendre ses idées sans attaquer les autres », déclare Corentin Eveno, vice-champion international de débat, enseignant en rhétorique (Paris-Saclay, ESSEC, etc.), formateur en prise de parole en public, créateur de contenus sur les réseaux sociaux autour de la rhétorique sur le compte hopeloquence et auteur de « L’art d’avoir toujours réponse à tout » (éditions Eyrolles).
Certains diront qu’ils n’ont pas de répartie et c’est ainsi. A chacun ses qualités. Mais Corentin Eveno en est le parfait exemple car avant de s’illustrer brillamment lors de championnats mondiaux de débats, il était bègue et peu à l’aise avec la prise de parole en public. Avoir de la répartie, ça se construit.
Sortir de ses ressentis
Pour développer ses compétences orales et trouver la réplique la plus pertinente, l’enseignant en rhétorique conseille d’abord de s’extraire de ce que l’on ressent et du rapport à soi-même. « Souvent, on est un peu acculé car on interprète l’intention de l’interlocuteur, on se demande pourquoi il nous dit ça, on se sent mal et on cherche quoi répondre. Or un propos est rarement personnel. Je ne crois pas à la méchanceté pure », constate-t-il. Cette interprétation des propos de l’autre amène souvent à se remettre en question, empêche de réfléchir et de trouver une réponse pertinente. Or si une personne critique une tâche que l’on a faite, cela ne veut pas dire que l’on est un mauvais professionnel mais simplement qu’une tâche a été mal effectuée à un instant T.
Faire preuve d’empathie
Mieux vaut chercher pourquoi l’interlocuteur nous dit ça et donc faire preuve d’empathie émotionnelle (qu’est-ce qui se cache derrière cette remarque ?) et cognitive (pourquoi la personne est amenée à penser ça ?). On cherche alors à répondre à la raison qui peut amener la personne à tenir tel propos.
Gagner du temps
Dans le dictionnaire Le Robert, la répartie est définie comme « une réponse rapide et juste ». Mais « rapide ne veut pas dire instantanée », nuance Corentin Eveno. Il est possible de prendre 2 ou 3 secondes de silence, de respiration. C’est instant, presque imperceptible, permet de maîtriser son émotion au moment où l’on doit répondre, de choisir si on va le faire ou pas et si oui de trouver ses mots. Toujours pour gagner du temps, on peut remercier son interlocuteur pour sa question, la reformuler ou bien encore la complimenter d’un « c’est une bonne question »… Utilisées avec parcimonie, ces petites phrases peuvent avoir un intérêt.
Cibler les arguments en fonction de son interlocuteur
Pour répondre, on peut avoir tendance à chercher les arguments les plus forts à nos yeux. Mais l’enseignant en rhétorique préconise plutôt de chercher l’argument qui va toucher le plus son interlocuteur. Si l’on doit défendre, par exemple, un projet de modification de méthodes de management de l’équipe, on peut lui parler du gain de productivité, de la réduction du stress au travail… Ce qui compte c’est de trouver ce qui va intéresser le plus son interlocuteur. S’il développe un argument d’émotion, on aura plus intérêt à lui répondre sur ce terrain-là car c’est ce qui le touche. S’il est plus sensible aux conséquences, on rebondit sur cet aspect etc.
Faire preuve d’auto-dérision à bon escient
Il est parfois judicieux de faire preuve d’auto-dérision face aux attaques, à condition que ce soit face à une personne sans rapport hiérarchique pour ne pas accentuer un déséquilibre et se décrédibiliser. « On ne va pas continuer d’attaquer quelqu’un qui s’attaque lui-même ou alors on va en rire », analyse Corentin Eveno. On peut aussi recourir l’égo-trip, une forme d’arrogance simple et au second degré pour ne pas passer pour une personne arrogante. « Dans les médias, Zlatan Ibrahimovitc, le footballeur suédois qui jouait au PSG, faisait ça. Quand on lui disait qu’il était un peu fatigué, qu’il avait du mal à récupérer, il répondait : « les lions ne récupèrent pas comme les humains ». Mais ça doit rester une pointe d’humour et le préciser au besoin », ajoute Corentin Eveno. Il est aussi possible de feindre l’incompréhension pour mettre mal à l’aise l’interlocuteur et se sortir d’un mauvais pas.
Répliquer face à une critique
Si l’équipe est prise à partie et que l’on est critiqué face à tout le monde par son N+1 par exemple, si le motif est infondé, il est préférable d’essayer d’en discuter en privé pour éviter de le mettre dans l’embarras face à tout le monde. Cela lui ferait perdre en crédibilité et ne serait positif pour personne. Si la critique est fondée, Corentin Eveno encourage à demander des justifications objectives : « je comprends totalement qu’il puisse y avoir des difficultés sur ce sujet-là. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Que faudrait-il faire différemment ? ». Cela évite toute escalade et amène une discussion constructive.
Entretien d’embauche ou annuel d’évaluation : Se faire valoir grâce à sa répartie
Avoir le sens de la répartie peut également servir à mettre en valeur son parcours, sa personnalité notamment lors d’entretiens professionnels. Un entretien d’embauche peut s’anticiper, se préparer. On connaît les points plus sensibles, ceux sur lesquels on risque de se faire « attaquer ». On peut prévoir des réponses types en usant d’un peu d’humour par exemple pour dédramatiser la chose, montrer que l’on est à l’aise et que l’on a confiance en soi.
La technique dite du « tiroir » consiste en fait à préparer plusieurs réponses possibles selon les questions que l’on pourrait nous poser et à ressortir la plus judicieuse. « Ce qui peut aider également c’est de savoir structurer rapidement son propos, pas juste une petite phrase. Ça peut convenir pour tout type de réponse à n’importe quel propos. J’utilise beaucoup le canevas de l’AEI : j’affirme, j’explique, j’illustre. Dès qu’on me pose une question, j’affirme en une phrase mon idée, je l’explique sereinement et après je l’illustre. Ça m’évite de me perdre dans mes pensées et mes paroles », confie Corentin Eveno. Une astuce pratique pour structurer son propos même en entretien, faire la différence en montrant que l’on sait s’exprimer et amener ses idées.
Entrepreneuriat : convaincre des investisseurs
Vous êtes entrepreneure et devez pitcher votre projet devant des investisseurs ? A l’issue de votre présentation, il peut y avoir une partie consacrée aux questions. Soyez attentives au type de personnes devant vous et à leurs intérêts. S’il s’agit d’investisseurs qui investissent plutôt financièrement, mieux vaut avoir des arguments liés à l’économie, au business plan, business model etc. S’il s’agit plutôt de business angel qui vont aussi vous aider à construire le projet, mieux vaut répondre sur l’intérêt du projet, son fonctionnement… Il faut également s’adapter au niveau de connaissance du sujet par l’interlocuteur et adapter ses réponses en les vulgarisant ou au contraire en rentrant dans la partie technique.
Là aussi, on anticipe les types de questions et on prépare des réponses possibles en suivant par exemple le canevas de l’AEI. « Chaque projet a ses faiblesses et ce sera toujours mieux de préparer ses arguments en amont. Quand on voit la répartie de certaines personnes, ça semble relever du génie. Mais si on les regarde à plusieurs reprises, on s’aperçoit que ce sont souvent les mêmes tiroirs qui ressortent », explique Corentin Eveno. A vous de remplir les vôtres de vos meilleures répliques.
Dorothée Blancheton
