Catherine Ladousse : “En congé parental, j’ai appris l’espagnol et l’anglais. La carrière n’est plus linéaire !”

Catherine Ladousse

Les grandes entreprises n’ont plus beaucoup de secrets pour elle. D’IBM à American Express en passant par le Chinois Lenovo, Catherine Ladousse a piloté la communication de plusieurs groupes. Et ce n’est pas tout : cette spécialiste des questions de réputation a œuvré, des années durant, pour que les femmes prennent la place qui leur revient dans la sphère professionnelle, notamment en co-fondant le Cercle InterElles et en s’investissant dans d’autres réseaux. Une carrière de haut vol, couronnée, en 2022, par la proposition d’Elisabeth Moreno, alors ministre déléguée chargée de l’égalité entre femmes et hommes, d’intégrer le Haut Conseil à l’Egalité.

Après des années dans le secteur privé, vous avez été nommée, l’année dernière, au Haut Conseil à l’Égalité. Comment s’est opérée cette transition ?

Catherine Ladousse : Quand j’ai pris ma retraite il y a deux ans, j’ai continué, de façon assez naturelle, mes activités liées à ma vie associative, soit dans le cadre du collectif « ensemble contre le sexisme », que j’ai contribué à créer lorsque je dirigeais la communication internationale de Lenovo, ou au sein du CercleInterElles, que j’ai co-fondé en 2001. D’une manière générale, je prône l’investissement, en parallèle de la carrière à proprement parler, dans des collectifs et réseaux professionnels. Sur proposition de la ministre Elisabeth Moreno, Sylvie Pierre- Brossolette, à la recherche d’experts pouvant partager une compétence acquise lors de leurs parcours, m’a contactée, me proposant de m’occuper, au HCE, de la parité : un sujet que je connais très bien en entreprise et, certes, un peu moins en politique.

J’ai été nommée au HCE par la Ministre Élisabeth Moreno en accord bien sur avec Sylvie Pierre Brossolette qui m’a proposée de prendre la présidence de la commission Parité.

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Cette nomination vient couronner des années d’engagement pour une meilleure présence des femmes dans le monde professionnel. Vous avez notamment créé le Cercle InterElles, œuvrant pour plus de mixité et d’égalité dans les secteurs scientifiques et technologiques. Comment est née cette idée ?

Catherine Ladousse : En 1995, après des expériences au Crédit Agricole et chez American Express, je rentre chez IBM… où je constate une surreprésentation des hommes. Au moment où je prends la direction de la communication d’IBM France, le siège souhaite féminiser l’entreprise : en effet, très présentes au début du développement l’informatique, les femmes s’y sont ensuite raréfiées. Du coup, à cette époque, IBM crée un réseau féminin aux États-Unis et incite ses filiales à faire de même. Chez IBM France, on a donc mis en place un réseau ayant pour objet de veiller à une meilleure ambiance au travail, à la lutte contre le sexisme… Je précise que, dès le départ, nous l’avons pensé comme un réseau mixte… même si les hommes n’y ont jamais été très nombreux. À l’époque, General Electric avait déjà créé un réseau similaire. D’autres sociétés s’intéressaient à nos initiatives : nous avons décidé de monter un événement le 8 mars. Le CercleInterElles était né !

Aujourd’hui, ce réseau rassemble seize entreprises dont Dassault Systemes, EDF ou encore Engie. Quels sont ses principaux objectifs ?

Catherine Ladousse : L’idée était d’unir des groupes des secteurs scientifique et technologique. Désormais, nous ouvrons un peu plus le cercle : Renault, animé par la problématique de recrutement d’ingénieures, vient de nous rejoindre. L’ambition reste la même qu’au début : attirer et, surtout, retenir les talents féminins en créant un environnement plus propice à l’épanouissement des carrières. Nous avons également à cœur de démontrer que la mixité est un enjeu de performance pour toute structure. Par ailleurs, nous échangeons beaucoup de bonnes pratiques que ce soit sur la santé au travail ou l’intelligence artificielle.

Vous-même, avez-vous été confrontée au sexisme ?

Catherine Ladousse : Lors de ma première expérience professionnelle, j’ai décidé, à l’occasion d’une mutation de mon mari au Caire, puis au Mexique, de prendre un congé parental de six ans. Au cours de cette période, j’ai eu trois petites filles. De retour en France, en 1991, je devais logiquement réintégrer l’entreprise qui m’employait. Je me souviens de la réaction du DRH : « Mais écoutez, vous avez trois jeunes enfants. Votre mari est haut fonctionnaire. Voulez-vous vraiment travailler ? » Heureusement, j’avais continué de développer mon réseau au cours de mon congé parental. J’ai appris qu’American Express lançait un programme de marketing direct. J’ai postulé et ils m’ont donné ma chance. Je suis très reconnaissante de ce management à l’américaine. Cette reprise n’a pas été si simple : par exemple, lorsque j’étais partie six ans plus tôt, personne ne travaillait sur ordinateur. Je reviens et tout le monde est devant un clavier !

Cette période de ma vie m’a marquée, au point qu’il m’est arrivé de pousser une personne de mon équipe, qui pouvait se le permettre financièrement, à prendre un congé parental de six mois. La carrière n’est plus linéaire et chaque expérience est enrichissante : dans mon cas, à l’étranger pendant cette pause professionnelle, j’ai appris l’espagnol et l’anglais.

Quels sont, selon vous, les meilleurs conseils pour s’affirmer au travail ?

Catherine Ladousse : Je suis partisane de la prise de risque : pour sortir du lot, le mieux est de quitter son cocon. C’est un peu ce que j’ai fait, notamment en partant d’IBM pour Lenovo. Il faut se persuader qu’on en est capable, mais si cela paraît compliqué. On passe tant d’heures à travailler qu’au bout d’un moment, la routine devient oppressante ! Puis, j’appelle à ne pas tomber dans certains pièges, en particulier ceux en lien avec le développement personnel. Quand j’entends certaines se dire, « je n’ai pas confiance en moi, je devrais me former sur le sujet », j’ai plutôt envie de leur conseiller de se former plutôt au numérique ou à un autre domaine. En clair, à mes yeux, la confiance en soi vient avec l’expertise. Enfin, j’invite à investir les réseaux : vous allez certes donner de votre temps, mais recevoir beaucoup en échange !

Dans le cadre de vos fonctions au Haut Conseil à l’Égalité, vous avez récemment publié un rapport sur la parité en politique. Quelles initiatives du privé pourrait-on importer pour une meilleure représentativité au sein de la sphère publique ?

Catherine Ladousse : L’un des principaux constats de ce rapport est que, sans loi, il est compliqué d’avancer ! En cela, la loi Copé-Zimmerman, instituant en 2011 un quota de 40% de femmes au sein des conseils d’administration, est un bel exemple : ceux des entreprises françaises en comptent aujourd’hui quelque 46%. Dans le privé comme en politique, le même problème se pose : le pouvoir est essentiellement détenu par les hommes… qui ont du mal à le partager. Ainsi, lors d’élections, les femmes sont encore trop souvent envoyées dans des régions ou de circonscriptions difficilement gagnables. Par ailleurs, les communes attribuent majoritairement les fonctions relatives à la vie sociale ou à l’éducation aux femmes. Quant au gouvernement, on les cherche dans les ministères régaliens, tandis que neuf secrétaires d’État sur dix sont des femmes !

D’où la nécessité d’instaurer certaines obligations. Dans notre rapport, nous avons ainsi proposé une série de mesures contraignantes, telles des formations obligatoires à l’Assemblée contre le sexisme, de la même façon que Lenovo propose à ses managers des formations de lutte contre les biais inconscients. Bien sûr, tout cela doit être contextualisé, s’accompagner d’explications, afin d’éviter un backlash ou l’émergence d’une « gender fatigue » chez certains. Plus globalement, nous demandons également à ce que la parité devienne un droit fondamental.

Quels sont vos prochains grands chantiers au Haut Conseil à l’Égalité ?

Catherine Ladousse : Un rapport sur la pornographie doit sortir en juin. Je planche par ailleurs sur un autre dossier concernant la représentation des femmes dans le numérique, la manière dont leur image est utilisée, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Rendez-vous à la rentrée prochaine pour les résultats !

Claire Bauchart

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