#Balancetastartup : « la machine juridique est encore défaillante »

Sophie Barel, réseaux sociaux, témoignage, travail

Dans la lignée de #Balancetonporc ou #Payetontaff, le hashtag #Balancetastartup agite les réseaux sociaux depuis la semaine dernière. Dans le viseur : Lou.Yetu, une entreprise de bijoux fantaisie accusée de jouer faussement sur l’étiquette made in France, et dont la fondatrice est soupçonnée de dérives managériales. Chercheuse en sciences de l’information et de la communication, Sophie Barel décrypte pour nous cet épisode.

En quoi le hashtag #Balancetastartup s’inscrit-il dans le sillage de #metoo ?

Sophie Barel : Comme pour les autres campagnes, c’est le rapport au mensonge qui est dénoncé. D’un côté, il y a l’aspect public de l’entreprise, et de l’autre, ce qui se passe réellement en coulisses. Or, il n’est pas possible de prétendre faire du made in France alors que c’est faux. Ou encore se déclarer féministe alors qu’on traite mal ses employées. Les entreprises doivent vraiment jouer la carte de la cohérence à tous les échelons.

A l’ère de la transparence et des prétendues bonnes intentions, c’est encore plus insupportable de constater de tels écarts entre les discours et les faits ?

Sophie Barel : Aujourd’hui, il y a une injonction pour les salariés, notamment dans les startups, à être heureux. Alors certaines boîtes leur donnent des directives sur la manière dont ils doivent communiquer sur leur lieu de travail. Mais ce n’est pas parce que l’on met une table de ping pong que tout va bien. Je trouve cela dommage que ces dirigeants ne se posent pas de questions personnelles sur leur éthique.

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La communication, ce n’est pas magique. On ne peut pas dire n’importe quoi. Et surtout, on ne peut pas faire n’importe quoi. Le Code du Travail est là pour protéger les salariés, et le système a déjà été bien éprouvé. Le harcèlement au travail demeure une exploitation du corps de quelqu’un, de sa force de travail, et c’est aussi une question de rapports de pouvoir.

Est-ce que les réseaux sociaux peuvent être considérés comme de réels contre-pouvoir ?

Sophie Barel : Les entreprises aujourd’hui épinglées comme Lou.Yetu ont énormément joué la carte de la communication sur les réseaux sociaux. Et en retour, elles se prennent aujourd’hui cette déferlante de témoignages anonymes qui les surprend. Mais finalement, il s’agit seulement du revers d’une même pièce. Quant à parler de contre-pouvoir, je ne sais pas si l’on peut aller jusque là.

Dans tous les cas, je trouve que cela témoigne d’un manquement de la justice. Porter plainte ou passer par les Prud’Homme requière beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, sans certitude que l’on va gagner. Pour moi, ce n’est pas normal que les victimes de harcèlement au travail doivent se rabattre sur les réseaux sociaux. Si elles ne passent pas par la voie juridique, elles n’obtiendront jamais réparation à titre personnel. Cela freinera certainement les candidatures de futurs collaborateurs. Mais finalement, on retiendra seulement l’atteinte à l’image publique de l’entreprise.

Le bénéfice de ce type de témoignages est de permettre aux victimes d’une même entreprise de se retrouver, et ensuite d’attaquer en justice ?

Sophie Barel : Oui, et donc potentiellement d’attaquer ensemble avec beaucoup plus de réussite. De plus, quand on utilise les réseaux sociaux, on parle de délation et pas de dénonciation. Cela sous-entend qu’il y a déjà un certain jugement de valeur, comme si c’était quelque part méprisable de « balancer ». Pour avoir assisté à plusieurs procès de ce type, c’est long et éprouvant, car il faut étaler publiquement des choses intimes. Mais quand une victime arrive à obtenir réparation, c’est une délivrance, le moyen de clore le chapitre. Si l’on en reste à un témoignage anonyme, il peut demeurer un sentiment d’inachevé.

Les témoignages relayés sur le compte #Balancetastartup demeurent anonymes. Peut-on craindre des dérives ?

Sophie Barel : J’ose espérer que non. Sur ce compte, les personnes qui témoignent doivent pouvoir justifier qu’elles ont travaillé ou travaillent dans l’entreprise. Les témoignages sont diffusés quand ils sont nombreux à se recouper autour d’une même société. De plus, on a généralement beaucoup plus à perdre en faisant ce type de témoignage, que de choses à gagner. Les procès en diffamation, ce n’est pas une partie de plaisir. Je pense donc que les faux témoignages sont rares.

Quand une startup se trouve dans une telle tourmente, est-ce que décider de couper tous ses réseaux sociaux est une bonne stratégie ?

Sophie Barel : Clairement non, car une société qui fait cela semble encore plus coupable. Une autre stratégie consiste à se victimiser, mais je pense que la seule bonne réaction est de passer aux aveux et de promettre que l’on va rectifier le tir. Après une startup qui se retrouve au coeur d’un bad buzz peut toujours fermer, et ses fondateurs remonter une nouvelle structure. Cela arrive. Mais une fois encore, je pense que la meilleure chose à faire, c’est un mea culpa.

Doit-on s’attendre à voir déferler d’autres scandales sur des startups ?

Sophie Barel : Je ne serais pas surprise que d’autres scandales éclatent. Encore une fois, on ne peut que se désoler qu’il faille que tout soit étalé sur la place publique pour que les choses évoluent, et que cela ne soit pas fait par conviction profonde. Pour ma thèse, j’avais réalisé un questionnaire qui avait beaucoup tourné, dans lequel je posais cette question : Estimez-vous que vous pouvez faire ce que vous voulez dans la sphère privée tant que vous défendez le féminisme publiquement ? Et bien la réponse était oui pour une bonne partie des hommes. Mais non, il ne peut pas il y avoir de telle dichotomie. On ne peut pas être sympa dans sa vie privée, et tyrannique dans sa vie professionnelle. Et inversement. Et encore moins se mettre en scène personnellement alors que l’on n’est absolument pas aligné sur ces valeurs.

Propos recueillis par Paulina Jonquères d’Oriola

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