Aude Guo, d’InnovaFeed – Grâce aux insectes, elle veut nourrir la planète

InnovaFeed

Se nourrir d’une manière plus éco-responsable pour préserver la planète, tel est le défi de la société Innovafeed, lancée en 2016 par Aude Guo, Bastien Oggeri et Clément Ray. Avec plus de 200 millions d’euros de financement sécurisés, un troisième site de production d’insectes créé aux États-Unis et plus de 150 collaborateurs, la start-up française poursuit son fort développement. Retour sur ce beau succès avec Aude Guo.

Interview d’Aude Guo, d’InnovaFeed 

Quel a été votre parcours professionnel avant de cofonder Innovafeed ?

Je suis ingénieur de formation. Après un passage dans l’aéronautique chez Safran, j’ai travaillé dans le conseil en stratégie chez McKinsey, avec un focus sur les sujets de développement dans le secteur public (emploi, éducation) et sur les sujets de fusion et intégration de groupes industriels.

Comment est née l’idée de cette start-up innovante ?

On s’est retrouvés avec mes associés autour de l’envie d’un projet entrepreneurial qui répondrait à l’un des défis majeurs de notre génération : comment nourrir mieux une population toujours croissante tout en préservant notre planète et ses ressources. Le défi est immense : notre système alimentaire est responsable de 30% des émissions carbones et la demande alimentaire devrait croitre de 50% d’ici à 2050. Et 70% des produits de l’agriculture sont destinés à la nutrition des animaux de rente qui nous nourrissent ensuite. Trouver des sources de nutriments de très haute qualité et beaucoup plus durables que l’existant permettrait d’avoir un impact significatif sur notre empreinte carbone, notre santé et notre bien-être.

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Pourquoi les insectes ?

Parce qu’ils sont très riches en nutriments et nécessitent peu de ressources pour croître. C’est la base fondamentale de la chaine alimentaire dans la nature mais très peu exploitée dans les sociétés occidentales. C’est en particulier le cas de l’insecte que l’on a choisi et qui s’appelle Hermetia Illucens. Il est unique dans son genre car il a la capacité d’extraire les nutriments non ou peu valorisés des résidus de l’agro-industrie, disponibles en très grande quantité notamment en France. Il les transforme en aliments de très haute qualité pour la nutrition animale et végétale. Notre ambition était de développer une technologie et un modèle industriel qui permettraient de produire à grande échelle des nutriments issus de cet insecte et qui soient à la fois performants, compétitifs et durables.

Vous vous êtes lancée très jeune dans l’entrepreneuriat. Comment l’avez-vous vécu ?

Dans le domaine de l’innovation, je ne pense pas que l’âge soit un problème, au contraire. Ce qui me parait important pour avoir de l’impact via une innovation majeure et dans un domaine non exploré jusqu’ici, c’est d’avoir une capacité à porter une forte ambition, à se montrer exigeant et à mobiliser une énergie importante. Cela permet de dépasser les obstacles et de faire face à tous les défis qui viennent avec l’inédit. La jeunesse me parait être un terreau très propice à ces forces.

Quelles qualités vous ont aidée à créer InnovaFeed ?

Quand je regarde ces cinq dernières années, je pense que notre envie d’apporter une contribution significative au défi de durabilité pour notre système alimentaire, la capacité à apprendre vite, à s’entourer (avec une équipe de plus de 150 personnes aujourd’hui et des partenaires scientifiques, industriels, commerciaux et financiers de premier rang) et probablement un brin d’inconscience nous ont portés pour franchir les obstacles.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontée en lançant cette activité ?

Développer une industrie innovante nécessite d’aligner plusieurs planètes et de résoudre de nombreux problèmes en perdant le moins de temps possible. En moins de cinq ans, il nous a fallu développer une technologie de pointe ; démontrer la performance sur le plan scientifique, technique et nutritionnel au travers de nombreux tests en R&D et à échelle commerciale (plus de 30 jusqu’ici) avec les acteurs de référence et donc très exigeants. Nous avons dû faire face aux règlementations qui sont parfois de vrais verrous lorsqu’il s’agit d’encadrer une activité inédite avec des textes parfois inadaptés à la réalité de notre industrie; convaincre les partenaires industriels et financiers de nous faire confiance en démontrant notre capacité à concrétiser et délivrer des projets ambitieux…

Sur quoi ou qui avez-vous pu vous appuyer pour réussir malgré tout ?

Nous avons eu la chance de pouvoir mobiliser une équipe de talents partageant des valeurs fortes d’impact, d’audace, d’exigence et de bienveillance les uns pour les autres. Je suis très fière du chemin que nous avons parcouru ensemble en moins de cinq ans.

En quoi le fait d’être associée avec deux personnes est-il un plus, selon vous ?

Au départ, le fait d’être plusieurs à partager une même ambition et d’avoir des méthodes de travail compatibles nous a permis d’aller beaucoup plus vite qu’une seule personne qui doit constituer son équipe pour avancer. On a divisé les sujets notamment ceux liés au développement technologique où chacun a été responsable d’une étape, depuis la R&D jusqu’à la mise en place de notre première usine pilote.
Aujourd’hui, il s’agit surtout de développer notre organisation qui croit très rapidement pour porter les nombreux projets d’InnovaFeed. Il faut beaucoup d’écoute, de structuration et d’organisation des équipes. Dans un environnement qui bouge très vite où il faut sans cesse s’adapter, le fait d’avoir des associés de confiance est vital. Nous avons chacun nos domaines de responsabilité (je suis en charge des opérations par exemple ainsi qu’une partie de la R&D) sur lesquels nous aidons nos équipes à se structurer, à prendre des décisions, en cohérence avec les autres.

InnovaFeed a déjà fait deux levées de fonds dont une dernière de 140 M d’euros fin 2020. Ces fonds vont servir à vous implanter aussi aux Etats-Unis et y construire une usine. Pouvez-vous nous en parler ?

Après avoir construit et démarré la plus grande usine de production d’insectes au monde fin 2020, nous accélérons notre développement et rentrons dans une phase de déploiement. Notre 3e site de production sera aux Etats-Unis, dans l’Illinois, en partenariat avec le groupe ADM, un leader de l’agro-industrie mondial. D’autres sites sont prévus en Europe dans les trois prochaines années.

Quels sont vos projets ?

Nous allons continuer à innover et optimiser nos process et technologies pour préparer les futures générations d’usines, en France et à l’international. Nous avons été pionniers côté filières et sommes les premiers à apporter dans l’assiette des consommateurs des produits issus d’élevage responsables utilisant l’insecte comme source de nutriments. Nous continuerons à développer des produits bons pour les animaux, pour l’homme et la planète. Après les poissons, les volailles et les porcs nourris à l’insecte que l’on peut retrouver aujourd’hui chez Auchan, nous prévoyons d’apporter nos nutriments à d’autres filières d’élevage et de culture dans les prochains mois.

Vous avez fait l’École nationale des Ponts et Chaussées, le collège des Ingénieurs. Vous travaillez dans un secteur plutôt masculin. Qu’est-ce qui vous a permis de trouver votre place à chaque fois ?

Il n’est pas toujours facile de trouver sa place dans ces univers qui donnent une place particulière aux femmes, à la fois marginale et au centre de l’attention. J’ai toujours plus apprécié les milieux où il y avait plus de diversité de parcours, au Collège des Ingénieurs par exemple où la plupart des élèves venaient d’horizons différents et avaient eu une ou plusieurs expériences professionnelles, dans des domaines très variés, avant de reprendre les études. Au-delà du genre, la diversité des expériences et parcours donnent un espace de liberté et d’échange beaucoup plus riche que des milieux plus homogènes, plus propices à des codes et comportements de groupe.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes souhaitant entreprendre ?

Dans mon cas, construire la bonne équipe, à commencer par avoir de bons associés, et développer une relation d’équipe saine, a été à la fois un moteur et un support fort dans mon expérience entrepreneuriale. Le fait d’avoir en interne une relation de travail équilibrée où l’on sait s’entendre (et ne pas s’entendre !) sans avoir l’impression d’être traitée différemment parce qu’on est une femme me permet d’approcher beaucoup plus sereinement les défis que l’on rencontre au quotidien dans la vie d’entrepreneur, en particulier ceux d’une entrepreneure femme. La culture d’entreprise que l’on crée est celle qui va nous porter en interne et à l’extérieur.

Crédit photo : InnovaFeed

Dorothée Blancheton

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